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Analyse

L’UE prise en tenaille

Entre un Kremlin agressif, une future Maison Blanche qui souhaite le démantèlement de l’Union et le Brexit dont Londres a confirmé la ligne dure, les Européens sont face à un défi historique. Et vont devoir se ressouder s’ils veulent survivre.
par Jean Quatremer, BRUXELLES (UE), de notre correspondant
publié le 17 janvier 2017 à 20h26

L'Union résistera-t-elle aux coups de Washington, Londres et Moscou ? Soixante-dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle est confrontée à une situation inédite et follement angoissante, en tenaille entre deux blocs qui souhaitent sa disparition. A l'Est, une Russie qui a renoué avec l'agressivité de l'ère soviétique, comme en témoignent les conflits qu'elle entretient aux marches de l'UE et ses liens avec les partis démagogues d'extrême droite ou d'extrême gauche européens, qui ont l'europhobie en commun. A l'Ouest, et c'est inattendu, ceux qui ont été durant plus d'un demi-siècle ses indéfectibles alliés, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, parient sur son éclatement, même si la Première ministre Theresa May affirme ne pas le souhaiter (lire ci-contre), contrairement au président élu Donald Trump (lire page 5).

«Démembrement»

Ces deux blocs sont décidés à se rapprocher. L’Union, qui s’est fondée sur le règlement pacifique des conflits et qui s’est toujours pensée dans un monde sans ennemi, se retrouve donc dangereusement démunie pour affronter une tempête que rien ne laissait prévoir.

«Dans le monde d'avant, les Américains, les Britanniques et les Russes étaient prévisibles, analyse un proche de François Hollande. Désormais, les Etats-Unis sont devenus imprévisibles, les Britanniques ne savent pas ce qu'ils veulent et les Russes sont capables d'agir contre leurs intérêts.» «Il faut se rendre compte de ce qui se passe : pour la première fois depuis 1945, les Etats-Unis jouent contre l'Union, Trump pariant sur son démembrement, surenchérit un diplomate européen. Il veut même mettre fin à tous les mécanismes de coopération internationale» qui ont permis l'extension de la paix sur la planète. Pire, «Trump est prêt à se lancer dans une guerre économique et commerciale contre l'Union», s'alarme Daniel Cohn-Bendit, ancien président du groupe Vert au Parlement européen et tenté par Emmanuel Macron.

Ce changement pose un défi redoutable aux Européens : vont-ils être capables de faire bloc face à cette nouvelle donne mondiale ou chacun va-t-il tenter de sauver les meubles en solitaire, qui en jouant Washington et Londres, qui en jouant Moscou ? «Il faut espérer que les Européens n'en tirent pas comme conséquence qu'ils doivent désarmer», souhaite le membre de l'entourage de Hollande. Tant à Paris qu'à Berlin (lire page 5), on estime que l'avenir de l'Union se joue d'abord sur les rives du Rhin. «Les défis sont tellement immenses que le couple franco-allemand tiendra», assure le même. Et c'est autour de lui que la résistance s'organisera.

Désastreux silence

Mais l’Union européenne n’aborde pas ce tournant historique dans les meilleures conditions : l’Allemagne et la France sont à l’orée d’une année électorale délicate, sans compter que l’Espagne et l’Italie restent politiquement instables… Les institutions communautaires ne sont pas mieux loties, entre une Commission qui ne parvient pas à faire de la politique, comme le montre le désastreux silence observé depuis le Brexit et l’élection de Trump par son président, Jean-Claude Juncker, et un Parlement européen qui se déchire autour de l’élection de celui qui prendra la succession, au perchoir, du socialiste allemand Martin Schulz, son camp ayant dénoncé l’accord de grande coalition qui le liait aux conservateurs du PPE.

Autant dire qu'à la fin de l'année, le paysage politique européen pourrait être totalement bouleversé. Toujours optimiste, Daniel Cohn-Bendit pense que «Trump va ressouder l'Union». «C'est une phase très délicate, mais nous sommes obligés de réagir, dit-on à l'Elysée. Au sommet de décembre, personne n'aurait cru qu'on arriverait à faire autant de progrès sur la défense.» On veut aussi pour preuve la visite à Paris du Premier ministre danois, dont le pays n'est pas précisément fédéraliste, au lendemain de l'élection de Trump, et au cours de laquelle Lars Rasmussen a plaidé pour que les Européens arrêtent de dépendre des autres pour leur croissance. On ajoute, à Bruxelles, que l'Union est loin d'être diplomatiquement isolée : ainsi, dès que Trump a confirmé qu'il se retirerait du TPP (accord commercial transpacifique), les Japonais ont débarqué dans la capitale de l'Union pour demander l'accélération des négociations de libre-échange entre les deux blocs. Sécurité, croissance, commerce : les trois piliers sur lesquels l'UE veut justement se renforcer. Et si certains veulent jouer en solitaire, «il faudra qu'ils partent», tranche un diplomate de haut rang : «Mais personne n'a manifesté l'intention de le faire alors que les pessimistes avaient prédit le contraire après le Brexit.» Bref, l'Union tiendra, on veut le croire.

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