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Présidentielle 2017

La communication de Macron contre la rumeur, la Russie et la post-vérité

A la surprise générale, Emmanuel Macron a évoqué une rumeur touchant à sa vie privée, pour la démentir. Une communication qu'il faut juger non en communicant, mais en communicant politique, car l'enjeu est plus que politique.

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Emmanuel Macron a décidé lui-même de porter le fer dans la plaie. De la plus élégante des façons, sans doute, puisque empreinte d’ironie et d’humour.

DAMIEN MEYER / AFP

Donc, Emmanuel Macron a évoqué lui-même une rumeur le visant. Le cas est unique. D’ordinaire, les politiques ciblés par des rumeurs feignent de les ignorer, dans le but de ne pas leur donner plus de corps encore. Mais pas Macron. Les communicants ne vont pas aimer, qui prétendent qu’il ne faut pas communiquer sur des rumeurs. Et si, pour une fois, Macron avait raison contre les communicants?

Expliquons-nous.

"Un mensonge répété un milliard de fois finit par devenir vérité". Le propos est signé Joseph Goebbels. Et il fait écho à la définition donnée récemment par Donald Trump de la construction d’une post-vérité qui serait la vérité. Ou au défilé des éditorialistes télévisés dans les minutes suivant la déclaration de François Fillon. Il a fait preuve de conviction ont-ils dit. Il a rétabli la vérité ont-ils dit. La vérité ? Au fond, Trump, Fillon et les éditorialistes se rejoignent. Le mensonge répété finit par devenir vérité.

Etrange sphère publique qui, d’un côté, consacre la post-vérité et, de l’autre, demeure hébétée quand Emmanuel Macron, publiquement, décide de faire un sort à une rumeur qui le poursuit depuis des mois. Rumeur qui a fini par devenir elle-même vérité. Le candidat d’En Marche aurait une double vie.

Macron a décidé lui-même de porter le fer dans la plaie. De la plus élégante des façons, sans doute, puisque empreinte d’ironie et d’humour. Il s’est abandonné à l’exercice devant ses militants, ce lundi soir à Bobino. Et pour le coup, sans langue de bois. Ni allusion, ni évocation, mais la réalité, dans sa pureté.

Il a dit les choses. Il a nommé la rumeur. Il en a ri. Il l’a détruite. "Si on vous dit que j'ai une double vie avec Mathieu Gallet, c'est mon hologramme, mais ça ne peut pas être moi" a-t-il dit. Et d’ajouter : "Je suis tel que je suis, je n'ai jamais rien eu à cacher", "J'entends dire que je suis duplice que j'ai une vie cachée ou autre chose… C'est désagréable pour Brigitte [Macron], et comme je partage mes jours et mes nuits avec elle, elle se demande comment je fais". La salle a ri, aussi. Elle a eu raison.

"Cachez cette rumeur que je ne saurais voir"

La meilleure façon de tuer la rumeur, c’est d’en rire. Le ridicule tue, surtout les rumeurs. Et les colporteurs avec. Ne pas se taire. Ne pas fuir. Ne pas feindre l’ignorance. Ne pas opter pour l’indifférence. Parce que la rumeur vous rattrape toujours, dès lors que répétée un milliard de fois, elle finit par devenir vérité. Et cette rumeur menaçait devenir vérité. Et pas seulement dans le microcosme politico-médiatique. Il y a longtemps qu’elle s’était répandue partout, insidieuse et vicieuse. Et elle a contribué pour partie à la construction du personnage Macron que dénonce souvent ses adversaires, tout en esquive et faux-semblant. Car c’est bien à cela que servent les rumeurs que l’on répand sous le manteau, les répétant sans cesse, à donner corps aux attaques publiques. Et cela ne date pas d’hier. Talleyrand ne disait-il pas que "La vie privée doit être murée" ?

A la fin il faut bien dire la réalité. Des responsables politiques se sont amusés à propager eux-mêmes la rumeur, auprès de journalistes, la condamnant tout en l’entretenant, expliquant, la main sur le cœur, que vraiment cette rumeur était terrible, et que ce serait terrible s’il empêchait Emmanuel de devenir président de la République. "Cachez cette rumeur que je ne saurais voir"… Oui, cela a eu lieu. Souvent.

Les communicants de l’époque vont disserter à l’envi sur le choix qu’a fait Emmanuel Macron de tuer la rumeur en riant. Il n’aurait pas dû. Il a pris le risque d’entretenir lui-même la rumeur. Il ne fallait pas en parler. Mais les communicants de l’époque, s’ils causent de politique, ne font pas la politique. Pire, ils ne la sentent pas. Ils ne jugent qu’à raison de leurs commandements généraux, qui sont sociétalement et culturellement datés. Et sont le plus souvent déconnectés de la perception des vrais enjeux politiques. Comme c'est le cas en espèce.

L'opération de communication Macron est inséparable de l’irruption brutale de l’ombre de la Russie, via Sputnik et Russia today dans l’élection présidentielle française. L’affaire a été éclipsée, ce lundi, par le dernier rebondissement du feuilleton Fillon, et pourtant elle pèse. Deux médias russes, liés au pouvoir Poutine, ont fait savoir qu’ils détenaient des informations susceptibles de nuire au candidat Macron, informations tirées pour l’essentiel des propos (qu’il faut bien se résigner à qualifier de délirants) d’un député français Les Républicains.

Couper court à la post-vérité

Il faut lire les propos de ce député, Nicolas Duicq, pour prendre la mesure de l’opération. A partir de la rumeur visant Macron s’élabore une hallucinante théorie du complot : "Concernant sa vie privée, ça commence à se savoir à l’heure où nous parlons. Macron est ce qu'on appelle un 'chouchou' des médias français, qui sont la propriété de quelques personnes, comme nous le savons tous". Notons bien le "nous le savons tous", référence à la post-vérité qui dit que les médias tenus par des oligarques dirigent le monde. A partir de là, il suffit d’enchaîner: "Parmi les hommes qui le soutiennent, on trouve le célèbre homme d'affaires Pierre Bergé, associé et compagnon de longue date d'Yves Saint Laurent, qui est ouvertement homosexuel et préconise le mariage homosexuel. Il y a un très riche lobby gay derrière lui. Ça veut tout dire". Le danger pour Macron était là. Par l’équation posée: argent=médias=pouvoir=gay=Macron. CQFD.

Il fallait couper court à la post-vérité qui se construisait à partir de la rumeur méticuleusement entretenue depuis des mois par un conglomérat hétéroclite, vaste coalition d'intérêts que la candidature de Macron indispose, pour un ensemble de raisons parfois contradictoires. Et du point de vue du candidat Macron, il fallait le faire maintenant, afin de ruiner la production à venir annoncée par les médias Poutine. Avec Julian Assange en soutien puisque l’intrigant lanceur d’alerte a menacé aussi, dans un média russe (décidément) qu’il comptait lancer Wikileaks contre Macron. Petit rappel en passant: Assange, c’est aussi celui qui a déjà ruiné la campagne d’Hillary Clinton, et est en partie responsable de la mise en marche de la folle machine ayant mené à l’élection de Donald Trump. L’enfer électoral est pavé de bonnes intentions.

En réalité, derrière l’humour, Emmanuel Macron a fait plus que de la communication pour les communicants qui dissertent sur la communication. Il a fait de la communication POLITIQUE. Il s’est donné les moyens de tordre le cou à une rumeur qui menaçait de dépasser le cercle des voyeurs jamais disparus et de poser bien des problèmes au candidat à l’élection présidentielle. Désormais, tout signal qui sera émis, de l’intérieur ou de Russie, touchant à la vie privée du candidat Macron, sera considéré comme manipulation, suspect par nature, coupable par définition, condamné par raison. Ici se situe l’enjeu de la communication Macron, et c’est bien là l’essentiel. Le mensonge répété un milliard de fois ne risquera plus de devenir vérité. Sauf pour ceux qui auront intérêt à le croire. Les sots et les gredins.

 

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