Josef Koudelka, la photo comme énigme

Peut-on maîtriser l’errance ? Construire le hasard ? Entre non-lieu et abstraction, les images énigmatiques du photographe brillent par leurs compositions sans faille. Elles sont à découvrir sans tarder au Centre Pompidou, dans l'exposition “fabrique d’Exils”.

Par Joséphine Bindé

Publié le 04 mars 2017 à 15h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h51

En 1968, les chars soviétiques envahissent la ville de Prague. Deux ans plus tard, le photographe d’origine tchèque Josef Koudelka choisit l’exil et, durant vingt ans, parcourt le monde armé de son appareil. En 2016, ce nomade à l’œil aiguisé fait don au Centre Pompidou de 75 images de sa série Exils dont il a tiré un livre. Au hasard des chemins, l’errance y rencontre la maîtrise formelle…  

Polar kafkaïen 

L’ombre d’un homme coiffé d’un chapeau se profile sur un mur. Un corbeau gît, suspendu par les pattes sur fond de ciel d’orage… Une ambiance de polar inquiétant se dégage de ces images où les personnages semblent fuir, cachés derrière un poteau ou dans l’embrasure d’une porte. « Malgré quelques rayons de soleil, il y a une atmosphère assez sombre dans Exils » confirme le commissaire d’exposition et historien de la photographie Clément Chéroux. « Les tirages sont très noirs, les ombres très présentes et les visages ne se donnent jamais complètement. On y ressent tout le poids de la Mitteleuropa, l’Europe centrale décrite par l’écrivain pragois Franz Kafka ». Exilé dans un monde instable, Josef Koudelka y dépeint le monde tel qu’il le ressent intérieurement…

Plusieurs histoires à la fois

Serait-ce une scène de théâtre ? Sur cette photographie prise en France, trois hommes se délassent dans un champ. Un chemin blanc barre le décor d’une ligne oblique. Un cabanon se pose sobrement sur la ligne l’horizon. Au fond à droite, un cheval nous tourne le dos. Au premier plan, l’un des personnages lance une balle en l’air, figée dans le ciel comme un point d’interrogation… 

France, 1973.

France, 1973. © Josef Koudelka / Magnum Photos © Centre Pompidou / Dist. RMN-GP

« Pour être photographe, il faut avoir quelque chose à dire », décrète Josef Koudelka. Mais quoi ? « Ce n’est pas à moi de le dire. Je ne crois pas en la ‘’picture story’’ [une séquence d’images racontant une histoire, genre prisé par les reporters de l’époque, ndlr]. Pour moi, c’est une seule photo isolée qui doit raconter plusieurs histoires aux différentes personnes qui la regardent ».

Brouiller les pistes

Un poteau électrique planté dans la brume, un graffiti en forme d’éclair : semés ça et là, d’étranges signes apparaissent comme des indices cryptés. Dans cet univers mystérieux, difficile parfois de comprendre ce que l’on voit… et surtout de deviner dans quel pays a été prise chaque image. Sans les cartels, impossible de savoir que ce panneau routier, capté en pleine nuit sous les flocons, a été photographié en Suisse. Pour brouiller davantage les pistes, d’autres images (une bâche accrochée à un échafaudage, un morceau de tissu posé dans l’herbe, un pan de mur défraîchi) évoquent de purs collages abstraits.

Irlande, 1976.

Irlande, 1976. © Josef Koudelka / Magnum Photos © Centre Pompidou / Dist. RMN-GP

Une errance maîtrisée

Les cadrages d’Exils donnent une impression d’errance et de hasard… mais affichent un parfait équilibre graphique. Pilier, triangle d’ombre, carré de mur : les formes s’imbriquent les unes dans les autres comme les pièces d’un puzzle. « L’ombre au milieu, la diagonale de lumière, la béquille posée à gauche : supprimez un seul de ces éléments et la photographie ne fonctionne plus. C’est cela, la grande qualité de ses compositions » commente Clément Chéroux, arrêté devant un cliché pris au Portugal en 1976. En effet très méticuleux, le photographe tenait durant cette période des journaux de voyage. Et collait ses images en petit format sur des planches annotées (dont certaines sont présentées à Beaubourg), les organisant par thèmes ou réminiscences de formes.

Bureaux de Magnum Photos, Paris, France, 1984.

Bureaux de Magnum Photos, Paris, France, 1984. © Josef Koudelka / Magnum Photos

Jamais exposée auparavant, la série des Réveils documente elle aussi les coulisses d’Exils. On y voit Koudelka blotti dans un sac de couchage, allongé dans l’herbe, au bord d’une route ou dans un bureau de l’agence Magnum. « Le soir au coucher ou le matin au réveil, encore endormi, il posait son appareil et le mettait sur retardateur ou le déclenchait à bout de bras, comme un selfie. Sauf qu’il ne s’agit en rien de narcissisme : on est face à un photographe photographiant sa vie comme il vit sa photographie, comme une expérience », explique Clément Chéroux. Pour lui, ces clichés prouvent que « la figure rimbaldienne du photographe aux semelles de vent » était « loin d’être un mythe »...

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