Chimamanda Ngozi Adichie : Manifeste pour une éducation féministe

Chimamanda Ngozi Adichie - détail du livre © Gallimard

We should all be feminist, proclamait la Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie dans un manifeste paru l’an dernier chez Gallimard sous le titre français très programmatique (ou optimiste) de Nous sommes tous féministesIl n’est donc pas étonnant qu’une amie s’adresse à elle pour lui demander comment donner une éducation féministe à sa petite fille qui vient de naître. Ce n’est pas Rousseau et son roboratif Émile ou l’éducation mais un texte court, percutant, écrit depuis une expérience, destiné à être lu par tous, facilement.

Chimamanda Ngozi Adichie rappelle d’abord que « le féminisme est toujours affaire de contexte » et doit s’appuyer sur deux principes d’airain qu’elle nomme « outils » : toujours penser « je compte autant » sans jamais ajouter à ce verbe un quelconque modalisateur, « pas « à condition que ». Pas « tant que ». Je compte autant. Un point c’est tout ».
Et, second outil, ne pas hésiter à renverser toute question pour se demander si, en se plaçant à la place de l’homme, on arriverait au même résultat. Si oui, il s’agit bien d’un « choix féministe ».

Chimamanda Ngozi Adichie déploie son guide d’éducation féministe en quinze suggestions qui, certes, s’adressent à un petit bout de femme en devenir mais peuvent être lues par quiconque, même de sexe masculin : ainsi la première suggestion, le « sois une personne pleine et entière », ou l’hymne à la diversité en toute fin de cette lettre. Le programme est humaniste, pas uniquement féministe.

Pourtant être femme (et être mère) est encore et toujours une différence. Il est donc un certain nombre de principes à rappeler, à marteler, tant éducations, cultures et sociétés empêchent encore de les considérer comme des évidences : aucune mère ne doit s’excuser de travailler, d’aimer travailler, elle doit accepter de le vivre dans un plaisir non coupable, mais aussi de se faire aider, d’être secondée, refusant par là-même deux images aussi réductrices l’une que l’autre : être réduite à la mère au foyer se sacrifiant à l’enfant ou incarner la superwoman, capable de tout gérer, avec le sourire et sans une plainte, bien sûr. Car ce sont bien les deux faces d’un même poids « socialement conditionné du devoir ».

On laissera aux lecteurs et lectrices le plaisir de découvrir les quatorze autres suggestions de l’auteur d’Americanah, toutes écrites par une femme qui, au-delà d’être une auteure engagée, se présente comme ex-baby-sitter, tante et désormais mère, soit dans une écriture « sincère et pragmatique ». On en jugera à l’aune de ces quelques citations qui devraient vous convaincre de vous plonger d’urgence dans ce texte nécessaire :

« Faites les choses ensemble. Tu te souviens qu’à l’école primaire nous avons appris qu’un verbe est un mot d’« action » ? Eh bien, un père est un verbe autant qu’une mère. »

« Savoir cuisiner n’est pas une compétence préinstallée dans le vagin. Cuisiner s’apprend. »

« Être féministe, c’est comme être enceinte. Tu l’es ou tu ne l’es pas. »

« Éduque-la à la différence. Fais de la différence une chose ordinaire. Fais de la différence une chose normale. Apprends-lui à ne pas attacher d’importance à la différence (…). Parce que la réalité de notre monde, c’est la différence. Et en l’éduquant à la différence, tu lui donnes les moyens de survivre dans un monde de diversité. »

Chimamanda Ngozi Adichie, Chère Ijeawele ou manifeste pour une éducation féministe (Dear Ijeawele, or a Feminist Manifesto in Fifteen Suggestions), traduit de l’anglais (Nigeria) par Marguerite Capelle, Gallimard, 2017, 78 p., 8 € 50 — Lire un extrait