Benoît Hamon et François Fillon pris au Piège des Primaires.

Yves-Marie Cann
5 min readMar 15, 2017

Le quotidien “Le Monde” se fait l’écho des interrogations de la gauche “sur l’avenir de sa primaire”. Interrogations d’autant plus légitimes — quoique tardives — que les primaires ouvertes sont un “produit” importé, qui ne correspond ni à l’esprit des institutions de la Cinquième République, ni à celui du mode de scrutin mis en oeuvre pour l’élection du Président de la République. Si tout avait parfaitement fonctionné en 2011/2012 — du moins en apparence — le “double échec” des quinquennats de Nicolas Sarkozy et François Hollande a changé la donne et nous révèle désormais leurs limites.

Les primaires ouvertes mettent d’abord en lumière l’affaiblissement inédit des partis traditionnels de gouvernement, et l’absence de leadership incontesté en leur sein. S’ajoute à cela le décalage — parfois profond — entre la base militante, ses aspirations… et le socle électoral que leur candidat doit constituer pour passer l’étape du premier tour de la présidentielle. L’onction du suffrage populaire lors des primaires ne résout strictement rien. Je tendrais même à croire qu’elle accentue les difficultés et conduit les candidats désigné dans une impasse, sur fond de défiance généralisée et de désaffiliation partisane. Que ce soient 1 million d’électeurs pour Benoît Hamon ou 3 millions pour François Fillon, nous sommes encore loin des 6 à 7, voire 8 millions de voix nécessaires pour la qualification au second tour.

Benoît Hamon est dans une impasse qui n’a rien de surprenant. Il faut le rappeler, l’électorat socialise est sorti fracturé des “primaires citoyennes”, raison pour laquelle j’évoquais dès le 30 janvier une “clarification en trompe-l’oeil”. Son programme, aussi intéressant et stimulant soit-il sur le plan intellectuel (notamment sur la question du travail), ne dit rien aux Français de la façon dont il est possible de retourner au plein emploi pendant son quinquennat. Je comprends que son discours sur “la fin du travail” d’ici 30 ou 40 ans puisse séduire. Et qu’il soit nécessaire de l’anticiper est tout à fait louable (nous reprochons suffisamment à nos élus leur incapacité à se projeter au-delà de la fin de leur(s) mandat(s))… mais l’électeur a ses raisons que tout candidat se doit de prendre en compte en campagne électorale.

Or le discours du candidat socialiste n’entre pas en résonance avec les préoccupations immédiates d’électeurs qu’il lui faudrait pourtant convaincre pour élargir sa base électorale, en particulier sur la question du travail. Benoît Hamon nous parle d’après-demain sans évoquer le jour d’après son élection. Pour l’électeur, le discours qu’il a développé tout au long de la primaire à gauche, revient à acter le fait que, pour l’avenir, il y aura moins de travail. Perspective peu réjouissante pour les 6 millions de Français au chômage ou en situation de sous-emploi, qui aspirent avant tout de vivre de de leur travail. Perspectives anxiogènes pour les autres, et qui contribuent à renforcer une insécurité économique et sociale qui gangrène depuis au moins 30 ans la société française. Partant de ce constat, difficile pour beaucoup d’électeurs d’associer un “futur désirable” à Benoît Hamon au-delà de son premier cercle, celui des primaires. Et compliqué pour ce dernier d’enclencher une dynamique lorsque sa proposition consiste en un “revenu universel” qui n’a plus d’universel que le nom (étant conditionné au niveau de revenus) et qui s’apparente avant tout à des minima sociaux améliorés lorsque le rejet de “l’assistanat” n’a jamais atteint des niveaux aussi élevés au sein de la population.

A droite, la situation de François Fillon n’est guère plus enviable, mais elle semble nettement moins désespérée. Le candidat soutenu par “Les républicains” et l’UDI se trouve lui aussi piégé par une primaire dont les votants étaient avant tout issus de ce que j’appelle la “droite patrimoniale”. Un électorat majoritairement composé de seniors et de retraités, majoritairement sorti du marché du travail et ayant, pour beaucoup de ses électeurs, suffisamment accumulé de patrimoine pour ne pas avoir à s’inquiéter de leur avenir. On mesure d’ailleurs combien ce socle, qui maintient aujourd’hui François Fillon au niveau de la ligne de flottaison des 20% dans les enquêtes d’intentions de vote, est foncièrement attaché à son programme, que le candidat qualifie lui-même de “radical”. Le problème, c’est qu’avec ce programme François Fillon ne parvient pas à convaincre les électeurs issus de la population active, et plus particulièrement ceux des classes moyennes modestes et populaires, pourtant indispensables pour accéder au second tour…

A la question “quel est selon vous le candidat qui propose le meilleur programme pour la France” dans un sondage Elabe pour BFMTV diffusé le 15 mars, François Fillon ne recueille ainsi que 18% des réponses parmi l’ensemble des personnes interrogées, derrière Emmanuel Macron (29%) et Marine Le Pen (22%). En cohérence avec son électorat à la primaire de novembre, le candidat de la droite et du centre arrive toutefois nettement en tête auprès des plus de 65 ans (35% contre 30% pour Macron, et seulement 13% pour Le Pen)s. Il est, en revanche, largement devancé par l’ancien ministre de l’Economie chez les classes moyennes (39% pour Macron contre 19% pour Fillon). La situation s’avère même dramatique auprès des milieux populaires : François Fillon recueille seulement 8% des réponses, contre 34% pour Marine Le Pen et 24% pour Emmanuel Macron (Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon faisant quasiment jeu égal, avec respectivement 15% et 16% des citations).

A moins de 40 jours du premier tour de l’élection présidentielle, l’impasse dans laquelle semblent se trouver les représentants des deux principaux partis de gouvernement s’explique donc par des logiques comparables. Le “double échec” des quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande a provoqué une radicalisation des bases électorales des primaires ouvertes. En résulte des candidats très (trop ?) marqués idéologiquement, et des socles électoraux à la fois numériquement trop faibles et exclusifs car arc-boutés sur leur programme. Et si cette radicalité entrave la capacité des candidats à l’élargir leur base électorale, elle a pour corollaire de libérer un espace central, dans lequel s’est opportunément engouffré Emmanuel Macron.

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Yves-Marie Cann

Spécialiste des enjeux d'opinion et de communication. Ancien sondeur (Ifop, Institut CSA, Elabe) et conseiller ministeriel. Compte personnel.