3426 1958. "Charles de Gaulle s’impose à un pays au bord de la guerre civile."

Le gŽnŽral de Gaulle tient meeting, le 04 septembre 1958 place de la RŽpublique ˆ Paris, pour prŽsenter le projet de la nouvelle Constitution et inciter les Franais ˆ voter "OUI" au rŽferendum du 28 septembre 1958, rŽferendum qui donnera naissance ˆ la Vme RŽpublique. La nouvelle Constitution qui rŽduit le pouvoir du Parlement et renforce celui du prŽsident, qui sera dŽsormais Žlu au suffrage universel, a ŽtŽ approuvŽe ˆ 82,60 % des suffrages exprimŽs.
French President General Charles de Gaulle flashes V-sign with his arms as he addresses the crowd gathered 04 September 1958 at the Republic Square in Paris to promote his project of the new constitution. / AFP PHOTO / INTERCONTINENTALE / STAFF

1958. "Charles de Gaulle s'impose à un pays au bord de la guerre civile."

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L'Express. Pourquoi publier aujourd'hui une histoire politique de la France républicaine? Parce que la république est à nouveau menacée?

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Michel Winock. De fait, notre république démocratique ne se porte pas très bien. Une crise de confiance profonde s'est installée entre les citoyens et le système politique. Depuis 1958, puis la fin de la guerre d'Algérie et la décision prise par de Gaulle de faire élire le président de la République au suffrage universel direct, nous avons connu le régime politique le plus stable depuis le second Empire, lequel du reste avait duré moins de vingt ans. Un coup de fièvre en 1968, mais sans plus.

La gauche arrivant au pouvoir en 1981 était un autre signe de stabilité, puisque désormais l'alternance était possible sans violence, comme dans les autres démocraties. Cette stabilité reposait largement jusque-là sur le développement économique, la hausse des niveaux de vie, le plein-emploi. Tout a commencé à se gâter au milieu des Trente Glorieuses et avec l'installation progressive du chômage de masse.

Face à celui-ci, l'impuissance des gouvernements de droite et de gauche qui se sont succédé a créé le scepticisme sur la qualification du pouvoir politique. L'abstentionnisme électoral, la montée aux extrêmes, le pessimisme généralisé sont autant de manifestations de l'écart qui s'est creusé entre l'opinion et les pouvoirs.

"Le principe de la démocratie est le contraire de la corruption"

L'Express. Dans votre livre, vous vous intéressez, notamment, aux ennemis de la république et de l'idée républicaine. Sur la durée, répondent-ils à des traits caractéristiques communs qui transcendent les époques?

M. W. Notre vie politique moderne a pour matrice la Révolution. La république qui en est sortie, en 1792, a eu comme principaux ennemis les partisans irréductibles de la monarchie. Le courant contre-révolutionnaire a eu ses théoriciens, ses écrivains, ses militants tout au long du XIXe siècle et jusqu'au régime de Vichy. Longtemps, l'Eglise catholique, fidèle à l'alliance du trône et de l'autel, a fustigé la démocratie et particulièrement la république laïque.

Les catholiques se sont ralliés au régime républicain, mais, en leur sein, l'intégrisme a maintenu l'intransigeance des principes antirépublicains. D'autres formes d'opposition ont rivalisé: les bonapartistes, les nationalistes, les fascistes... Qu'avaient-ils en commun? Sans doute une demande d'autorité, une exigence d'Etat fort, l'hostilité au système parlementaire, un sens hiérarchique de l'organisation sociale. D'après des sondages récents, 30% environ des Français récusent le bien-fondé des régimes démocratiques.

3426 Le livre de Michel Winock alerte sur les rejets de la république.

Le livre de Michel Winock alerte sur les rejets de la république.

© / SDP

L'Express. Quelles sont, selon vous, les expressions actuelles les plus inquiétantes de l'antirépublicanisme?

M. W. Les intégrismes religieux, catholique ou musulman, sont les groupes les plus antirépublicains. Au-delà, et de manière plus dangereuse, il existe un antirépublicanisme qui ne dit pas son nom et qui est composé par tous ceux qui placent leurs intérêts personnels au-dessus de l'intérêt général - ce qui fait beaucoup de monde, à commencer par des responsables politiques. Montesquieu écrivait dans L'Esprit des lois que le principe de la démocratie est la vertu, le contraire de la corruption, du népotisme, de l'arrivisme. Tout le monde ne peut pas vivre au niveau du désintéressement éthique, soit! Mais aux mandataires de la nation de donner l'exemple.

"Le libéralisme n'est pas le génotype de la politique en France"

L'Express. Le FN est-il un parti néoboulangiste?

M. W. Il y a, effectivement, des ressemblances entre le boulangisme des années 1880 et le lepénisme d'aujourd'hui. L'un et l'autre sont des populismes, et même des national-populismes, à la fois protestataires et identitaires. L'exaltation démagogique du peuple, supposé détenteur instinctif du juste et du vrai, vise à balayer les élites gouvernantes, toutes pourries, corrompues, indignes. Cette tendance a des racines de gauche.

"Pour être bon, expliquait Robespierre, le peuple n'a besoin que de se préférer lui-même à ce qui n'est pas lui." D'où s'ensuit la préférence du référendum comme institution centrale. Paul Déroulède, chantre du boulangisme, projette ainsi l'instauration d'une "république plébiscitaire". Ce peuple sacralisé, c'est le peuple français, national, "de souche", qu'il faut protéger contre les étrangers, les immigrés, les métèques.

Maurice Barrès, futur député boulangiste, organise sa campagne sur la dénonciation des étrangers qui viennent prendre le travail aux ouvriers français. La principale différence est que le boulangisme a été un mouvement éphémère, alors que le Front national n'a cessé de progresser depuis plus de trente ans.

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L'Express. Vous déployez une vaste réflexion sur les freins à la culture libérale. D'où vient, selon vous, ce que Pierre Rosanvallon nomme l'"illibéralisme" français?

M. W. Il existe de grands auteurs libéraux dans le patrimoine intellectuel français: Mme de Staël, Benjamin Constant, Alexis de Tocqueville et jusqu'à Raymond Aron, sans parler des économistes libéraux, dont Frédéric Bastiat a été un des grands esprits. Mais, c'est un fait, le libéralisme n'est pas le génotype de la politique en France.

A cela plusieurs causes sans doute, je n'en retiens qu'une: la passion de l'égalité. Chateaubriand écrivait que l'"idole des Français" était non pas la liberté, mais l'égalité. Les libéraux, eux, sont les défenseurs de l'autonomie individuelle, qui est facteur d'inégalité; l'égalité devant la loi, oui; l'égalité des chances, oui; mais, pour eux, le mérite individuel prime sur les entités collectives.

La gauche étatiste, collectiviste, socialiste dame le pion à la gauche libérale; la droite contre-révolutionnaire, légitimiste, bonapartiste ou gaulliste l'emporte sur la droite orléaniste. Ajoutez à cela qu'aujourd'hui, par une singulière dérive sémantique, le mot "libéralisme" est devenu synonyme de capitalisme - l'horreur, quoi!

"Les grandes démocraties ont besoin de dirigeants respectés"

L'Express.Le paysage politique contemporain est, à bien des égards, extrêmement mouvant, voire chaotique. Faut-il regretter l'absence de "grands hommes" ou de figures "providentielles"?

M. W. En 1877, Edmond de Goncourt, témoin des funérailles de Thiers, écrivait: "Cet enterrement, cette idolâtrie d'un homme, est pour moi le témoignage le plus frappant du tempérament monarchique de la France. Elle voudra toujours dans un président un monarque, un dominateur et non un serviteur des assemblées gouvernantes." Outre que la passion de l'égalité a des complicités secrètes avec le césarisme, les querelles de chapelle appellent l'arbitrage salvateur.

Bonaparte, son neveu le futur Napoléon III, de Gaulle lui-même, en 1958, s'imposent à un pays au bord de la guerre civile. L'homme "providentiel" va de pair avec l'inaptitude à la démocratie, aux démarches consensuelles, à l'acceptation des compromis. Le contraire, donc, de la démocratie. Mais il ne faut pas se leurrer: les grandes démocraties, les grands partis politiques ont besoin, sinon de "sauveurs", du moins de dirigeants respectés, estimés, admirés même. C'est une observation banale: aujourd'hui, tous les partis souffrent d'une crise de "leadership" (sauf le Front national!), d'où résultent les "primaires", elles-mêmes révélatrices de la déliquescence des partis.

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L'Express.Sous le second Empire, le pamphlétaire Rochefort écrivait: "La France contient 36 millions de sujets, sans oublier les sujets de mécontentement." Les divisions de la France ont-elles un soubassement dans la psychologie collective?

M. W. La guerre de religions est restée notre modèle. Elle a d'abord opposé catholiques et protestants au XVIe siècle, mais elle s'est poursuivie en changeant d'objet: luttes de classes, luttes idéologiques, in surrections, révolutions, coups d'Etat, luttes constitutionnelles: nous sommes si fiers de compter déjà 15 Constitutions que 3 candidats à la présidentielle en revendiquent une de plus, la VIe République! En 2002, pour ne parler que de la gauche, Lionel Jospin, candidat socialiste, se trouve opposé à un dissident du PS (Jean-Pierre Chevènement), un écologiste (Noël Mamère), une radicale (Christiane Taubira), un communiste (Robert Hue) et à 3 trotskistes! On comprend sans mal que Jospin n'arrive pas au second tour!

"Le clivage droite-gauche tient de l'erreur d'optique"

L'Express. Le clivage droite-gauche est-il en train de perdre son sens?

M. W. A vrai dire, ce clivage tient de l'erreur d'optique. La vie politique française est moins déterminée par l'opposition de la droite et de la gauche que par le multipartisme. La gauche a toujours été plurielle, tout comme la droite, sans parler du centre. La naissance et la progression du Front national suggèrent que le prétendu bipartisme français est devenu au moins un tripartisme. De son côté, Emmanuel Macron attire un grand nombre de Français qui jugent dépassé le clivage gauche-droite. On est très loin du modèle démocratique-libéral, qui, à l'instar du Royaume-Uni, organise la politique en duel majorité/opposition.

L'Express. Vous consacrez un chapitre à la célèbre "tripartition" de la droite de René Rémond. Elle date du milieu des années 1950. Est-elle toujours valide? Peut-elle aussi, et dans quelle mesure, s'appliquer à la gauche?

M. W. L'ouvrage de René Rémond sur les droites reste un outil de compréhension politique toujours efficace. Cependant, aux trois droites analysées - légitimiste, bonapartiste et libérale (orléaniste) -, j'y ajoute une quatrième, cette extrême droite née dans les années 1880 et dont la filiation arrive au Front natio nal. Dans un de ses derniers ouvrages, du reste, René Rémond l'avait admis. La gauche, elle aussi, est composite; on pourrait en distinguer trois, quatre ou cinq, auxquelles il faudrait ajouter de multiples subdivisions. En son temps, Voltaire l'avait déjà dit: "Il n'y a, je crois, nul pays au monde où l'on trouve tant de contradictions qu'en France."

La France républicaine (coll. Bouquins, Robert Laffont) 1280p., 32¤. Parution le 9 mars.

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