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David Vann : «La pire régression de l’histoire américaine en matière d’environnement»

L'auteur et rédacteur en chef du «Libé des écrivains» est «horrifié» par les décisions de l'administration Trump et son mépris pour les programmes de recherche sur le changement climatique.
par Isabelle Hanne
publié le 23 mars 2017 à 10h09

Le rédacteur en chef du Libé des écrivains, en kiosques ce jeudi, David Vann, né en Alaska en 1966 – où se situe notamment l'intrigue de Sukkwan Island –, a quitté les Etats-Unis en 2003, au moment de la guerre en Irak. Très critique envers son pays et fortement engagé contre le libre commerce des armes – «les pro-armes m'appellent "le diable"», précise-t-il en riant – et la protection de l'environnement, il vit depuis entre la Nouvelle-Zélande et la Grande-Bretagne, où il enseigne. Ce voyageur, plongeur et navigateur, se dit «très inquiet» de la détérioration de la biodiversité océane et de la perte de leadership des Etats-Unis dans la gouvernance climatique.

Que vous inspire la charge en règle de l’administration Trump contre l’Environmental Protection Agency (EPA), et notamment le projet de coupe de 31% des fonds qui lui sont alloués ?

Je suis horrifié de voir que l'EPA risque tout simplement d'être dissoute. La personne à sa tête [Scott Pruitt, ndlr], veux tout simplement éliminer cette agence. C'est vrai pour plusieurs membres de l'administration que Trump a nommés, et qui veulent faire imploser les agences fédérales qu'ils dirigent. Mais c'est particulièrement brutal concernant l'EPA : désormais, ce sont les énergéticiens et l'industrie fossile qui vont tenir les rênes. La nouvelle administration a dit très clairement qu'elle ne se sentait pas concernée par le changement climatique. Idem pour les programmes de la NASA qui étudient la Terre, pour lesquels ils veulent tout simplement réduire voire couper les financements [l'administration Trump s'intéresse en revanche aux programmes liés à la recherche spatiale, ndlr]. De nombreux programmes de recherche très précieux de la Nasa et de l'EPA vont tout simplement disparaître. Dans le même temps, ils éliminent des réglementations et des normes censées contraindre les entreprises liées à l'énergie et à l'environnement. C'est une attaque sur tous les fronts. Ça va être la pire régression de l'histoire américaine en matière de protection de l'environnement.

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Quelles peuvent être les conséquences ?

Ce retour en arrière intervient alors que l’environnement est probablement le sujet le plus important dans la politique mondiale. Ou devrait l’être : le changement climatique met une pression dingue sur les sociétés humaines, avec la désertification des océans, qui sont de moins en moins source de nourriture, avec la progression des déserts, la disparition des zones humides, la montée des eaux… Des populations entières doivent se déplacer pour trouver des ressources en eau et en alimentation. Alors qu’en face, les résistances face à l’immigration, et le désir de construire des murs et de rétablir des frontières vont croissant. Les questions environnementales vont être, de plus en plus, les poudrières des conflits politiques. Pour les populations les plus vulnérables, les famines vont se multiplier. C’est ça le vrai risque auquel il faudra faire face, avant même de s’inquiéter de combien de degrés la planète va se réchauffer, ou de combien d’espèces de poissons vont disparaître : des gens vont mourir. C’est ça, la conséquence du changement climatique.

Comment réagissent les Américains à ces retours en arrière ?

Ce qui m’a vraiment choqué, c’est de voir que tant d’Américains semblent satisfaits, et même plus que ce que je croyais. Ils se moquent de l’affaiblissement de la protection de l’environnement.

Comment mesurez-vous ce désintérêt ? Il y a tout de même des grosses manifestations de scientifiques ou de militants de l’environnement, comme celles prévues fin avril à Washington.

Ces décisions n’ont pas provoqué de tollé aux Etats-Unis. Donald Trump a beau avoir la pire cote de popularité d’un président américain en début d’exercice, il a toujours une bonne cote de popularité chez ses soutiens républicains. Beaucoup pensent que ce qu’il fait, c’est ce qu’il faut faire. C’est ça, son vrai pouvoir : le fait que des millions d’Américains sont passifs face à ses positions racistes, anti-immigration, anti-Europe, avec le détricotage des programmes de protection de l’environnement, avec des décisions qui vont littéralement les arnaquer financièrement, leur retirer leur protection sociale, l’accès à une eau potable propre… Ces gens-là restent assis et continuent à dire que tout va bien ! C’est dingue de voir ce qu’ils sont prêts à accepter.

Quelle relation entretenez-vous avec la nature ? Vous passez beaucoup de temps sur et sous l’eau.

J'aime les poissons [au cœur de son dernier roman traduit en français, Aquarium] depuis ma plus tendre enfance. Je fais énormément de plongée, j'adore passer du temps au milieu des poissons : ils nous disent beaucoup de la nature humaine. D'une certaine manière, je trouve qu'ils agissent comme une métaphore. Mais aujourd'hui je me sens triste quand je plonge : des millions d'espèces disparaissent des océans, surtout près des barrières de corail. C'est un monde si délicat, si beau, si étrange. C'est une vie passionnante qu'on est en train de perdre. Personnes ne connaît des espèces comme le poisson feuille, ou le poisson fantôme, qui sont si sensibles, improbables, incroyablement jolis, et ils vont juste disparaître de nos océans.

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Qu’est-ce qui a évolué, entre vos premières plongées et aujourd’hui ?

En Australie, la majeure partie de la Grande Barrière de corail a blanchi. Les éponges ont disparu d’une partie de la Méditerranée. En parallèle, des populations paupérisées sont de plus en plus sous pression pour trouver de la nourriture. Aux Philippines par exemple, où je plonge souvent, avec la puissance de l’Eglise catholique, et l’absence de contrôle des naissances, la démographie explose, tout comme la faim. Ça pousse les Philippins à pêcher à la dynamite, ce qui cause de gros dégâts sur les récifs. C’est très courant en Asie du Sud. Ça nous montre ce qu’il se passe quand les populations sont mises sous pression : elles dévastent leur environnement.

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