Hervé Guéry, vous êtes spécialiste de l’observation territoriale des besoins sociaux, tout particulièrement en Guyane. Comment expliquez-vous l’explosion de colère actuelle qui a conduit le gouvernement à ouvrir des négociations très tendues sur place ?
La situation sociale guyanaise est un concentré de problématiques extrêmement fortes. Il y a tout d’abord la question des inégalités très vivaces sur un territoire dont plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté tout en constatant l’opulence de quelques familles richissimes. Les immigrés dont la situation est souvent irrégulière ne peuvent d’ailleurs demander l’accès à aucune prestation sociale et se retrouvent donc à devoir vivre de la débrouille. La sur-rémunération de la fonction publique notamment territoriale alimente également ces crispations. Aujourd’hui, il n’existe pas de classe moyenne en Guyane.
La sur-rémunération de la fonction publique notamment territoriale alimente également la question des inégalités.
Autre sujet de très grande préoccupation pour les Guyanais, la question de l’insécurité et de la délinquance. Les vols et les cambriolages sont une conséquence directe des inégalités en Guyane.
Que peuvent aujourd’hui faire les collectivités en Guyane, à commencer par le département pour que la situation commence à s’améliorer ?
Si, d’un point de vue constitutionnel, la République française est une et indivisible, il pourrait être pertinent, en Guyane, de mettre en place des expérimentations. Par exemple, le versement du RSA dans des territoires très isolés fait que les bénéficiaires viennent en pirogue à La Poste retirer leur allocation et dépensent tout dans la journée, en l’absence de commerce dans leur village. Ne serait-il pas judicieux de plutôt verser le RSA d’une façon globale à leur commune ?
Autre exemple, les enfants qui sont contraints de rester tout un trimestre loin de chez eux pour aller à l’école. Hors de question en effet de rentrer chaque soir à la maison quand on habite dans la jungle. Les enfants doivent donc rester dans des pensions de famille pendant plusieurs semaines, et ce, sans aucun encadrement des collectivités ou de l’Etat. De nombreux enfants y sont exploités alors que le département pourrait organiser des lieux d’accueil dans lesquels les parents s’organiseraient pour s’occuper à tour de rôle des pensionnaires. A l’heure actuelle, les politiques publiques créent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.
Vous préconisez donc aujourd’hui un statut à part de la Guyane…
Il est temps d’ouvrir ce débat. On discute de l’amélioration des rythmes scolaires en Guyane alors que la principale préoccupation est d’avoir assez de classes pour accueillir des enfants qui sont souvent cinq à six par famille. Il serait intéressant de recentrer les priorités des politiques publiques sur les besoins sociaux quotidiens des Guyanais. Le territoire doit aussi pouvoir se tourner vers les régions frontalières sans toutefois espérer de miracle. La Guyane a en effet pour voisin la région du Brésil la plus pauvre.
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