REPORTAGE«Pourquoi ça changerait»? A Bonnevaux, on ne veut pas donner de voix au FN

Présidentielle: «Pourquoi ça changerait»? A Bonnevaux, on veut continuer à ne donner aucune voix au FN

REPORTAGE« 20 Minutes » vous emmène dans une ville au comportement électoral particulier (2/3)...
Julien Laloye

Julien Laloye

De notre envoyé spécial dans les Cévennes,

D’où que l’on vienne, Bonnevaux est un endroit qui se mérite. Il faut monter depuis l’Ardèche, le Gard, la Haute-Savoie, ou même la Lozère, percer le plafond de cette forêt de pins haute comme le ciel, pour, enfin, distinguer ces maisons en roche de schiste typique du plateau cévenol. Evidemment, ce n’est pas Hollywood boulevard à l’heure de pointe, surtout à 11h du matin, mais on sait pourquoi on est venus. Comprendre comment ce dernier village d’irréductibles résiste encore et toujours au vote Front national, qui fait pourtant ses 20 % réglementaires dans le voisinage.

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Presque 100 inscrits sur les listes électorales, et jamais un bulletin en faveur du parti d’extrême-droite. Une curiosité locale bien gardée. Aurélia et Fabien, un couple de touristes alsaciens venus profiter des sentiers de randonnée pour les vacances, ne savaient pas : « On pourrait penser au contraire que dans un village qui a su conserver une telle qualité de vie, un peu caché du monde, des gens soient tentés de voter FN pour garder leur chez-eux ».

Un petit plaisantin en 2014 ?

C’est le moment de vous faire un aveu. Un habitant de Bonnevaux a bien glissé un bulletin frontiste dans l’urne lors des dernières élections européennes. Peut-être le même qu’en 2007, la seule fois où on avait aussi relevé un vote FN. La nouvelle a fait jaser dans les chaumières. L’explication la plus rationnelle dans les petites rues escarpées du village après moult conciliabules ? « Une mauvaise blague pour qu’on arrête de parler de Bonnevaux dans les médias », résume Sabine, une retraitée installée définitivement il y a deux ans. Le petit insolent a eu le mérite de décomplexer les nouveaux arrivants, dont certains n’osaient pas s’inscrire sur les listes de peur qu’on les regarde de travers en cas de montée soudaine du vote Marine.

Le vilain (ou la vilaine).
Le vilain (ou la vilaine).  - L'express.fr

On a vérifié auprès des derniers «immigrés», Magalie et Franck, un couple d’agriculteurs qui a repris la bergerie du col de Péras, à la sortie du bourg, sans rien savoir de sa couleur politique. La parole à Magalie : « C’est sûr qu’il ne faudrait pas deux voix Le Pen dans quinze jours, sinon on va nous mettre dehors (rires) ». Plus sérieuse, elle s’avoue dans le flou le plus total : « J’irai voter mais mon choix peut encore aller de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, je n’ai pas encore eu le temps de lire les programmes. Ce qui est sûr, c’est que je me déciderai en fonction des mesures prévues pour les agriculteurs ». Et tant pis pour la spécificité de Bonnevaux ?

On s’était bêtement imaginé un village idyllique aux relations de voisinage plus pacifiques qu’une rencontre entre Gandhi et Mandela, où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, à l’image du petit malin qui a dessiné un sourire à l’arrière de tous les panneaux de signalisation menant à l’entrée des premières fermes. Il se trouve que c’était une vision prématurée. Sourire entendu de Roseline Boussac, maire sans étiquette depuis 2004 : « On a nos tensions aussi, vous savez. La vie à Bonnevaux n’est pas un long fleuve tranquille ». D’ailleurs, ses quatre prédécesseurs ont tous démissionné, usés précocement par la vie d’édile.

Envie de sourire?
Envie de sourire? - Julien Laloye

Des néo-ruraux qui veulent vivre écolos

Dernièrement, c’est une histoire de clèdes pas vraiment déclarés – d’anciennes fermes abandonnées servant autrefois à faire sécher les châtaignes, qui crée des jalousies. C’est que l’impôt foncier est une ressource vitale pour un village de cette taille, où le travail est rare. Monique a eu de la chance. Arrivée en 1975 pour fuir la ville, elle a fait dans le ramassage scolaire et le secrétariat de mairie. Son mari, un menuisier, n’a pas tenu. Ses enfants non plus, sauf une grande fille, qui tient un petit glacier un peu plus haut l’été, quand la population double avec le tourisme et le remplissage des maisons secondaires. « C’est très difficile de s’adapter à la vie ici. Beaucoup ne tiennent pas, à une période on a eu beaucoup de va-et-vient. Pourtant, on s’aide quand on peut ».

La communauté finit en effet par se rassembler autour d’un même style de vie. Ici, on aime la nature, et on a une certaine idée du partage. On se retrouve souvent autour des deux machines à laver communales : à 80 centimes d’euros la tournée de linge, c’est plus rentable que d’avoir l’engin chez soi. En hiver, c’est chauffage au bois pour tout le monde, et la mairie se charge de distribuer les stères aux plus fragiles. Comme Michel, le mari de Sabine, ils sont beaucoup à avoir découvert Bonnevaux dans leur jeunesse hippie au début des années 1970, au moment où les habitants descendaient plus bas dans la vallée pour travailler dans les mines à charbon. Patiemment, ils ont reconstruit des maisons à l’abandon, puis se sont installés définitivement. « Je cherchais un coin sauvage, préservé de la pollution. Ici tout le monde est écolo, et ça nous réunit bien plus que la politique ».

Roselyne Boussac dans l'ancienne mairie de Bonnevaux.
Roselyne Boussac dans l'ancienne mairie de Bonnevaux.  - Julien Laloye

La bergerie du col a été reprise sans difficultés : Magalie et Franck ont intégré des brebis laitières pour une fabrication sur place de fromage de chèvre et de yaourt. D’autres ont choisi l’apiculture ou le maraîchage, et madame la maire est à la pointe du combat pour l’écologie. « J’ai gagné une petite célébrité en prenant un arrêté anti gaz de schiste contre une grosse société texane. Il n’y avait aucune chance qu’elle creuse à Bonnevaux, mais comme on était dans la zone de recherche, j’ai pris les devants ». D’abord assignée au tribunal par la compagnie pétrolière Schuepbach Energy LLC, Roseline Boussac remporte le bras de fer.

Elle aurait bien aimé, également, faire de sa commune un refuge pour les personnes allergiques aux ondes électromagnétiques. Perdu. « 95 % de la population me réclame le confort numérique ». Le dernier conseil municipal a approuvé le principe d’une installation d’un réseau hybride fibre optique-réseau hertzien. A condition que le fonds de soutien à l’investissement local accorde une subvention de 40.000 euros pour laquelle Bonnevaux est éligible.

Des courriers de félicitation à la mairie

En attendant, ceux qui n’ont pas internet peuvent venir se connecter dans l’ancienne mairie… juste à côté de l’isoloir, un vieux placard dépoussiéré pour l’occasion. Un électeur osera-t-il braver les habitudes et y déposer un bulletin FN ? « C’est difficile de savoir, on ne parle pas plus politique qu’ailleurs, réfléchit Monique. Personne ne se revendique spécialement d’un parti ou d’un autre, même si la grande majorité vote à gauche. Moi ? Je ne sais pas encore même si je me tiens au courant. Ce qui est sûr, c’est que ce ne sera ni Fillon, ni Le Pen ! ».

Michel pense choisir Hamon au premier tour, puis Macron au second. Il dépanne sa voisine Saïda d’un plat de lasagnes pour le repas de midi. Saïda est belgo-marocaine, comme ses frères, eux aussi résidents à Bonnevaux. Des étrangers avec qui tout se passe bien. « Le racisme, on a du mal avec ça dans ce coin. Mais je me demande si une candidate populiste comme Marine Le Pen n’a pas plus de chances de séduire qu’un affairiste comme Macron, avec son passé d’ancien banquier ».

Les panneaux électoraux de Bonnevaux (montage maison).
Les panneaux électoraux de Bonnevaux (montage maison).  - Julien Laloye

Une crainte que ne partage pas Roseline Boussac. « Je ne vois rien qui a changé dans la vie du village pour que le FN sorte du bois ». Elle nous parle des courriers qu’elle reçoit en nombre après chaque élection. Des gens de toute la France qui la félicitent et qui lui écrivent « pour dire qu’ils viendraient bien vivre dans ma ville ». Un jour, une anonyme a même offert 50 euros aux habitants pour qu’ils fêtent ça autour d’un apéro. A Bonnevaux, tout le monde reprendrait bien une tournée le 7 mai.