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Au Venezuela, un mois de manifestations politiques sur fond d’émeutes de la faim

Le président Nicolas Maduro s’est inquiété d’un risque de « guerre civile », alors que 29 personnes sont mortes depuis début avril dans des affrontements avec les forces de l’ordre.

Par  et

Publié le 20 avril 2017 à 18h42, modifié le 03 mai 2017 à 09h43

Temps de Lecture 5 min.

La poussée de fièvre ne retombe pas. Pour la dix-huitième fois en trente-trois jours, l’opposition au gouvernement de Nicolas Maduro a appelé à un « méga rassemblement » dans les rues de Caracas, mercredi 3 mai, pour « maintenir la pression » sur le pouvoir vénézuélien, à qui elle réclame l’organisation d’élections anticipées.

Lundi, devant une foule de ses partisans, le président contesté s’est inquiété pour la première fois d’un risque de « guerre civile », alors que 29 personnes sont mortes depuis début avril dans des affrontements avec les forces de l’ordre. Mais loin d’apaiser les tensions, le discours de Nicolas Maduro a renforcé un mouvement d’opposition dont les racines sont anciennes et multiples.

Le modèle chaviste mis à mal

Depuis son accession au pouvoir en 2013, Nicolas Maduro n’a jamais réussi à égaler la popularité de son prédécesseur, Hugo Chavez, mort en 2013. Arrivé au pouvoir en 1999, le leader de la « révolution bolivarienne », régulièrement accusé de dérive populiste, voire autoritaire, a permis à son pays de connaître des années de réussite économique et sociale.

Au plan international, Hugo Chavez a incarné une opposition résolue à la domination des Etats-Unis – longtemps alliés du Venezuela –, notamment grâce à la création de l’Alliance bolivarienne pour les Amérique (ALBA) avec Cuba en 2004. Il a également relancé l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), favorisant une remontée du prix du baril de 10 dollars à la fin de 1998 à 25 dollars au début de 2000. Une manne cruciale pour un pays qui dispose des premières réserves mondiales de pétrole brut. Grâce à ses ressources nationalisées depuis 1974, le Venezuela est devenu le pays le plus riche d’Amérique latine en 2001.

Fort de cette conjoncture favorable, Hugo Chavez a placé le contrôle de l’industrie pétrolière dans les mains du gouvernement à l’hiver 2002-2003 et a lancé de grands chantiers sociaux financés par la rente pétrolière. Ces programmes ont permis, entre autres, une réduction de la grande pauvreté, la fin de l’analphabétisme et l’accès gratuit à la médecine pour tous. Un succès qui a permis à Hugo Chavez de maintenir une confortable majorité politique.

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Mais le modèle de développement a fait long feu, alors que le prix du baril, qui atteignait 107 dollars en juillet 2014, est tombé à 56 dollars un an après, jusqu’à plonger à 30 dollars en janvier 2016. Conséquence : les revenus du pays ont fondu à partir de 2014, moins d’un an après l’arrivée de Nicolas Maduro au pouvoir. Le successeur d’Hugo Chavez a dû supprimer des aides sociales en 2015. Les réserves de dollars du pays se sont étiolées, handicapant ses importations et provoquant des pénuries.

Émeutes de la faim

En 2016, près de 80 % des produits de base (principalement issus des importations) manquaient au Venezuela, soumettant les habitants à un rationnement drastique. La pénurie de médicaments de base a également touché 76 % des hôpitaux publics en 2016, et le taux de mortalité infantile a augmenté de 45 % par rapport à 2013.

Le president Nicolas Maduro, à Caracas, le 19 avril.

Selon les statistiques officielles, le PIB ne cesse de se réduire depuis 2014, et a chuté de plus de 18 % en 2016, selon des chiffres provisoires de la banque centrale dévoilés par Reuters. Le déficit public est supérieur à 20 % du PIB, et la situation économique fait craindre un défaut sur la dette. Selon l’institut national de la statistique, l’augmentation générale des prix atteignait 150 % en 2015 (20 % en 2012), et 350 % pour les seules denrées alimentaires. En 2016, l’inflation aurait atteint 800 % et devrait encore doubler en 2017.

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La contestation sociale et politique qui agite actuellement le pays se nourrit de cette crise économique. Pour Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques, ce sont ces « émeutiers de la faim » qui ont grossi les rangs de la contestation politique contre le président Maduro.

Avec 91,8 morts violentes pour 100 000 habitants, le Venezuela est devenu le pays le plus violent au monde

Alors qu’il avait été élu d’une courte majorité en avril 2014, le chef de l’Etat a vu sa popularité baisser à 24 % en 2015. Les pénuries provoquent des pillages et des manifestations (590 par mois en moyenne en 2016). L’Observatoire vénézuélien de la violence soulignait en 2016 que le contexte économique et social avait fait grimper la violence et l’insécurité. Avec 91,8 morts violentes pour 100 000 habitants, le Venezuela est devenu le pays le plus violent au monde, après le Salvador, loin devant la Colombie ou le Brésil (respectivement 25,3 et 25,1 pour 100 000).

Capitalisant sur ce désespoir social, l’opposition a gagné du terrain et est devenue majoritaire au Parlement en décembre 2015. Grâce aux trois cinquièmes des sièges qu’ils acquièrent, les opposants de M. Maduro se sont retrouvés en position de convoquer un référendum pour destituer le président, réunissant 1,8 million de signatures en ce sens en quelques jours (soit plus que le 1 % du corps électoral nécessaire).

À la fin d’octobre 2016, l’autorité électorale a cependant suspendu le processus au motif que des fraudes auraient été signalées dans le recueil des signatures. Depuis, la situation s’enlise entre un pouvoir et une opposition qui s’accusent mutuellement de s’arroger un pouvoir illégal. Nicolas Maduro blâme ainsi régulièrement l’opposition de se soumettre à une certaine forme d’ingérence américaine.

Le « coup d’Etat » de la Cour suprême

Le 30 mars, la tension est encore montée d’un cran quand la Cour suprême, considérée favorable à Nicolas Maduro, a décidé de s’octroyer les pouvoirs du Parlement, contrôlé par l’opposition, et de lever l’immunité des parlementaires. À la suite de très nombreuses critiques internationales fustigeant cette rupture de « l’ordre démocratique » et à des manifestations d’ampleur dans tout le pays, la Cour suprême a finalement fait marche arrière moins de quarante-huit heures plus tard.

Des manifestants lors d’une marche contre le président vénézuélien Nicolas Maduro, à Caracas le 19 avril.

Mais face à ce qu’elle a qualifié de « coup d’Etat », l’opposition a décidé de poursuivre la mobilisation en appelant à une élection présidentielle anticipée — la prochaine doit avoir lieu en 2018, et à la tenue immédiate des élections municipales, qui aurait dû avoir lieu en 2016. La contestation s’est encore amplifiée le 7 avril, quand le chef de l’opposition, Henrique Capriles Radonski, deux fois candidat à la présidence de la République, a été privé de ses droits politiques pour quinze ans.

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Face à ces soubresauts politiques, Nicolas Maduro a proposé lundi 1er mai de convoquer une Assemblée nationale constituante citoyenne, chargée de rédiger une nouvelle Constitution pour remplacer celle de 1999. Mais l’opposition a dénoncé une « manœuvre politicienne » du pouvoir, soucieux de gagner du temps. « C’est une mesure désespérée d’un gouvernement qui ne peut pas convoquer des élections car il les perdrait », a estimé pour sa part l’analyste Diego Moya-Ocampos, du cabinet britannique IHS, qui rappelle que plus de 70 % des Vénézuéliens rejettent le gouvernement de Maduro, selon les sondages.

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