Etre ouvrier, en France, aujourd'hui

Ouvrières Bonnetières de Lacoste ©Maxppp - PHOTOPQR/EST ECLAIR/MAXPPP
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Ouvrières Bonnetières de Lacoste ©Maxppp - PHOTOPQR/EST ECLAIR/MAXPPP
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La classe ouvrière, enjeu de la campagne de l'entre-deux-tours, est d'abord un monde qui subit de profondes mutations. Des mutations liées notamment aux transformations de la relation au travail. Témoignages d'ouvrières et d'ouvriers du secteur des services. Un dossier signé Anne-Laure Chouin.

L'ouvrier "d'usine, masculin, qualifié" qui était autrefois l'image de la "classe ouvrière" a laissé la place à une catégorie tellement hétérogène et éclatée que les sociologues étudient désormais plutôt les "classes populaires" que les "classes ouvrières". Ces mêmes classes populaires que les deux candidats du deuxième tour disent vouloir défendre, on l'a vu encore sur le site de Whirlpool ce mercredi.

Selon l'INSEE, les ouvriers représentent aujourd'hui 20% de la population active. Ils sont toujours classés en trois catégories: ouvriers qualifiés, non qualifiés, et agricoles. Mais hors de ces statistiques, le monde ouvrier s'est élargi, en englobant notamment les ouvriers du secteur tertiaire.

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Travail ouvrier: travail difficile, reconnaissance minimale

C'est loin d’être le cas dans tous les secteurs, mais le travail ouvrier aujourd'hui se caractérise par son intensification: plus de tâches données à moins de salariés. Un secteur illustre parfaitement ce phénomène: les entreprises de nettoyage ou d'aides à la personne. Le témoignage d'Aïcha, 62 ans, qui travaille à Paris dans le secteur de la propreté :

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Je suis fatiguée. On travaille sous pression. L'employeur, quand on lui demande des choses, quand on l'appelle pour dire que des heures supplémentaires n'ont pas été payées ou autre chose: rien, il ne répond même pas. Pour l'employeur, l'ouvrier c'est quelqu'un qui n'est pas important.

Dans ce secteur de la propreté, beaucoup d'ouvriers sont issus de l'immigration. Sans diplômes et sans maîtrise de la langue, ce sont parfois les seuls métiers qui leur sont accessibles. C'est surtout le cas en Ile-de-France. Demba est arrivé du Mali il y a de longues années. Il travaille depuis 14 ans dans la propreté :

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Nous les étrangers, on n'a pas beaucoup de métiers à notre portée. Je suis arrivé en France et j'ai travaillé comme ouvrier dans des magasins. On fait tout. Les poubelles, les saletés, les bureaux, les toilettes. C'est un métier qui est dur. Mais c'est mon métier. Au début, j'étais au SMIC. Après je suis monté chef d'équipe et j'ai gagné 1 400 euros nets par mois. Nous, on n'a pas de diplômes, on n'a rien. On est obligés de faire ça.

A la CFDT, le plus gros bataillon des adhérents vient du secteur de la propreté. La convention collective qui couvre ces employés est minimale. Mehmet Buhallut est secrétaire général de la SFP CFDT. Il décrit les difficultés des ouvriers de ce secteur, et les plaintes les plus fréquentes qui remontent au syndicat :

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Les conditions de travail aujourd'hui dans le nettoyage sont vraiment dégradées: horaires décalés, temps partiels, ce sont des gens qui dorment peu, qui font beaucoup de trajets, parfois 4 trajets dans la journée. Ce sont des salariés qu’ont mute parfois du jour au lendemain, quelque fois sans justification. Une charge de travail qui s'intensifie, beaucoup de licenciements, des heures supplémentaires non payées, des maladies. Et ce à cause d'une concurrence sauvage que se livrent ces sociétés de nettoyage. Or ce sont toujours les sociétés les moins-disantes qui sont choisies par les donneurs d'ordre. C'est l'ouvrier qui en paye le prix au final.

La classe ouvrière a muté à mesure que la relation au travail s'est transformée

Les sociologues analysent aujourd'hui le monde ouvrier en termes d'expérience de la relation au travail: une relation qui s'est dégradée avec les nouveaux modes de gestion de la main d'oeuvre: sous traitance, intérim, etc... Le travail s'est souvent intensifié, et parmi toutes les catégories socio-professionnelles, ce sont les ouvriers qui en ont le plus souffert.

L'analyse à ce sujet de Pauline Seiller, maître de conférence en sociologie à l’université de Caen, qui étudie les classes populaires :

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La peur du déclassement, du chômage et de la précarité pèse sur l'ensemble du monde ouvrier. Les relations avec les employeurs sont marquées par ça. Les conditions d'emplois sont de moins en moins favorables, et le contenu même du travail s'est dégradé. On parle d'un monde éclaté, fragmenté, fragilisé. On est passé d'une réflexion sur les classes ouvrières à une réflexion sur les classes populaires.

Ouvrier, employé: une frontière floue

Sociologiquement, un employé est plutôt dans le domaine des services et de l'interaction. Un ouvrier dans celui de la production et du travail manuel. Mais cette frontière est poreuse: une femme de ménage qui répète les mêmes taches sans interaction avec son employeur, des clients, ou des collègues: à quelle catégorie appartient-elle?

Elsa est femme de ménage justement. Venue du Pérou avec son mari dans les années 80 pour trouver du travail en France, elle travaille pour 6 employeurs différents, 10 heures par jour, pour un salaire total de 3 000 euros. A 62 ans, elle dit avoir le sentiment de n'appartenir qu'"à moitié" à la classe ouvrière :

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Je me sens utile, je me sens contente. Je gère mon temps, j'organise mes horaires, je n'ai pas de chef derrière mon dos qui me dit "fais ça, fais ça, fais ça". Je sais que je fais partie du monde ouvrier mais j'ai l'impression d’être polyvalente.

Avec la baisse des effectifs dans le secteur industriel et la hausse presque parallèle dans le secteur tertiaire, on a assisté à un autre phénomène: leur invisibilisation. Dans le champ syndical, politique, et médiatique. En 2016, 3% des personnes apparaissant à la télévision sont des ouvriers, 62% sont des cadres ( source CSA).

Ci dessous, une vidéo partagée par un Internaute (Patrice Coquelin) décrit l'ouvrier tel qu'il apparaît encore majoritairement dans l'imaginaire collectif. Un type d'ouvrier "qualifié, masculin, d'usine" qui existe encore bien entendu, mais qui n'est plus qu'une facette, minoritaire, du monde ouvrier tel qu'il a évolué aujourd'hui. Dans cette vidéo, c'est l'engagement corporel (la difficulté physique du travail) qui est mise en avant, ainsi que la répétition des gestes, la soumission à la hiérarchie, et la crainte du déclassement.

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Des liens pour aller plus loin

Statistiques et documents INSEE, qui catégorisent le monde ouvrier en termes sociaux-professionnels:

Les ouvriers et employés non qualifiés, un niveau de vie inférieur d'un quart à la moyenne des salariés. Etude INSEE de 2009

Etude Insee de 2017 sur le revenu salarial de 2014: plus dispersé chez les ouvriers et les employés

Les hommes cadres vivent toujours 6 ans de plus que les hommes ouvriers: étude INSEE 2016

Qui sont les ouvriers aujourd'hui? Article du Monde daté de juin 2016

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