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SECONDE GUERRE MONDIALE

Commémorations du 8-Mai : Madeleine Riffaud, 91 ans, en perpétuelle résistance

À l'occasion des commémorations du 8-Mai et du 71e anniversaire de la victoire de 1945, France 24 a rencontré une grande figure de la libération. À 91 ans, la franc-tireuse Madeleine Riffaud conjugue toujours la résistance au présent.

Soixante et onze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’ancienne résistante s’étonne toujours qu’on vienne la trouver pour parler de cette période.
Soixante et onze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’ancienne résistante s’étonne toujours qu’on vienne la trouver pour parler de cette période. Stéphanie Trouillard, France 24
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Dans l’appartement parisien de Madeleine Riffaud, dans le nord du quartier du Marais, rien ne fait spécialement penser à la guerre. Quelques livres sur la résistance, un modèle réduit de voiture des Forces françaises de l'intérieur (FFI), une ou deux photos en noir et blanc. Dans son salon et son bureau, la place est plutôt réservée à ses souvenirs de reportage lorsqu’elle était correspondante de guerre et surtout à ses oiseaux, sa grande passion. L’ancienne combattante de l’ombre n’a jamais cherché les honneurs ni la lumière. Soixante et onze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’ancienne résistante s’étonne toujours qu’on vienne la trouver pour parler de cette période. "Qui cela intéresse-t-il encore ?", glisse-t-elle avec un petit sourire avant de prendre place sur son canapé.

Elle a pourtant bien conscience que son histoire, celle d’une jeune fille devenue la passionaria de la libération de Paris, n'est pas banale. Madeleine Riffaud est entrée dans la légende de l’insurrection en abattant un sous-officier allemand en juillet 1944, à 19 ans. Cette étiquette d'héroïne, elle a toujours voulu s'en défaire. "On ne pouvait pas me voir sans me dire : ‘Ah c’est toi la petite fille qui a zigouillé l’Allemand !’, regrette-t-elle. On parle de moi parce que j’ai eu cette aventure. J’en ai beaucoup d’autres, peut-être plus dangereuses et utiles, mais on ne parle que de celle-là."

"Les armes de la douleur"

À 91 ans, cette grande dame n’a rien perdu de son franc-parler. Chez elle, pas de faux-semblant. Dans le regard de Madeleine Riffaud, on retrouve toute la fougue de Rainer. C’est sous ce pseudonyme que cette amoureuse des mots et du poète Rainer Maria Rilke est entrée en résistance en 1942, à peine âgée de 18 ans. "Une évidence", selon elle. Alors élève sage-femme dans le Quartier latin, elle œuvre dans l’ombre comme agent de liaison avec ses copains communistes, des Francs-tireurs et partisans (FTP) de la faculté de médecine.

Quelques mois plus tard, son engagement prend une tournure plus radicale lorsqu’elle passe à la lutte armée. Au printemps 1944, les coups de main se font plus fréquents, le danger plus intense. Lorsque le mot d’ordre est donné de s’en prendre à l’occupant, elle n’hésite pas. En ce dimanche 23 juillet 1944, dans les rues de Paris, la jeune Madeleine Riffaud enfourche son vélo avec en tête le récent massacre d’Oradour-sur-Glane, un village qu’elle connait bien pour y avoir passé des vacances, et la mort de l’un de ses camarades de combat. "J’avais ce que Paul Éluard appelait ‘les armes de la douleur’. C’est bien ce que je ressentais. C’est mon chagrin qui me faisait pédaler vers un hypothétique Allemand que j'aurais pu trouver au bout de mon fusil. J’en ai vu un au milieu du pont de Solférino et je me suis dit : 'Il faut en finir’", raconte-t-elle calmement en tirant sur son cigarillo, comme si elle revivait ce moment.

Alors qu’en ce beau dimanche ensoleillé, les Parisiens sont de sortie, Madeleine appuie "sans haine" sur la gâchette de son revolver : "Je ne voulais pas l'abattre dans le dos comme mon copain l’avait été trois jours avant. C’est très difficile de s’approcher de quelqu’un et de le tuer en face comme ça. Il n’a pas souffert en tout cas, il est parti en quelques secondes". La résistante remonte alors sur son vélo, mais est arrêtée quelques mètres plus loin par un milicien qui a assisté à la scène. Livrée à la Gestapo et conduite à son siège rue des Saussaies, Rainer goûte à la torture allemande. Entre deux passages à tabac, elle se souvient des paroles d’un officier qui lui lance : "Ce ne sont pas les lois de la guerre Mademoiselle !" en parlant de son action sur le pont. "Et là, je lui ai dit ‘Et à Oradour, est-ce que c’étaient les lois de la guerre ? C’est tout ce que j’ai pu dire. J’avais la bouche en sang", décrit Madeleine sans faiblir, alors que derrière, dans leur cage, ses petits oiseaux chantent.

Mais pour elle, le pire, ce ne sont pas les coups, l’absence de sommeil, ni les humiliations. Le plus difficile à endurer, c'est la souffrance de ses camarades. Dans la salle d’interrogatoire, les agents de la Gestapo s’en prennent sous ses yeux à d’autres résistants pour la faire craquer. "Ils torturaient le mari devant la femme, la femme devant le mari, la fille devant sa mère. C’était horrible…" Rainer est finalement condamnée à mort, mais par un incroyable concours de circonstances, elle échappe à l’exécution puis à la déportation. Le 18 août 1944, elle est finalement libérée au cours d’un échange de prisonniers grâce à l'intervention du consul de Suède Raoul Nordling. Tout juste sortie de sa cellule, elle rejoint ses camarades et participe à la libération de la capitale : "J’ai été très heureuse. C’était merveilleux, comme une grande fête". Le 23 août, Madeleine souffle d’ailleurs ses 20 ans sur une barricade.

"Une détresse sans borne"

Mais après la liesse populaire, le retour à la vraie vie est difficile. Parce qu'elle est une femme et parce qu'elle est mineure, la résistante se voit refuser le droit de continuer le combat avec l’armée régulière. Profondément déprimée, elle croise la route du poète Paul Éluard qui lui tend la main et l’aide à publier ses poèmes : "Je lui avais demandé ce qu’il avait vu dans mes yeux ? ‘Une détresse sans borne’, m’avait-il répondu." Car au plus profond de son esprit, les images de la rue des Saussaies la hantent. Pour ne pas sombrer, Madeleine met une croix sur cette période et part le plus loin possible : "Je ne voulais à aucun prix me souvenir de tout cela".

Une nouvelle vie de grand reporter commence, notamment pour le journal L'Humanité. Pendant des années, elle se consacre à d’autres guerres : celle d’Indochine, d’Algérie ou encore du Vietnam. Elle manque encore une fois à plusieurs reprises d’y laisser sa peau. De son passé de FFI-FTP, elle ne parle pas jusqu’au jour où dans les années 1990 Raymond Aubrac la sort de son amnésie. "Il m’a engueulée. ‘Dis donc, tu vas continuer à la fermer, toi, tu ne veux pas l’ouvrir un peu ? En somme, cela t’est égal que tes petits camarades qui ont été fusillés, certains à 16 ans, soient complètement oubliés !' Évidemment, face à de tels arguments, j’y suis allée".

Depuis plus de vingt ans, l’ancienne combattante transmet la mémoire de ses années de résistance. La petite Rainer fait désormais face aux jeunes d’aujourd’hui. À plus de 90 ans, elle continue inlassablement de se rendre dans des collèges et des lycées : "Je suis très bien avec eux. Je leur fais un petit topo au début et après c’est un échange entre eux et moi".

"Quand on demandait à Raymond Aubrac, ce qu'était résister, il disait toujours, aux jeunes : ‘Ne laisse jamais passer une injustice, sans t’opposer, même par une parole. Oppose-toi à l’injustice qu'elle quelle soit", répète inlassablement Madeleine Riffaud.
"Quand on demandait à Raymond Aubrac, ce qu'était résister, il disait toujours, aux jeunes : ‘Ne laisse jamais passer une injustice, sans t’opposer, même par une parole. Oppose-toi à l’injustice qu'elle quelle soit", répète inlassablement Madeleine Riffaud. Stéphanie Trouillard, France 24

"Comment fait-on pour résister ?"

Le 13 novembre 2015, c’est pour eux qu’elle tremble. De son appartement parisien du 3e arrondissement, elle ressent "une grande douleur au cœur. Je me suis souvenue de mes petits copains du quartier qui m’avaient dit qu’ils allaient boire des verres au Petit Cambodge ou au Carillon", explique-t-elle. "D’ici à vol d’oiseau, il n’y a pas loin. J’entendais, j’analysais tout. Je savais si c'étaient des tirs de Kalachnikov. Quand il y a eu la riposte des forces de l’ordre au Bataclan, j’ai compris. Il faut dire que j’ai l’oreille exercée, même si je deviens un peu sourde", admet-elle avec malice.

Dans les heures qui suivent, son téléphone se met à sonner. Ses petits jeunes sont sains et saufs. Soixante-dix ans après les combats de la libération de Paris, c’est tout naturellement vers l’ancienne résistante qu’ils se tournent : "Ils m’ont appelée pour me raconter qu’ils étaient sur les lieux et qu’ils avaient tout vu. Après les avoir écoutés, je me suis rendu compte que j’étais en train de les 'déchoquer'. Moi, à l’époque, j’aurais eu besoin de ça, c’est clair, mais personne ne le proposait. J’ai donc été heureuse d’avoir été utile pour eux".

Au-delà du traumatisme, ces jeunes cherchent aussi des réponses : "Il y en a un qui m’a dit ‘Madame, comment fait-on pour résister ? J’ai trouvé cela formidable, cela me fait presque pleurer". Celle qui n’a jamais cessé d’être la Rainer des barricades et qui porte encore sa natte de petite fille, sait trouver les mots justes. "Je lui ai répondu : résister c’est aimer les gens, ne pas haïr. Il faut aussi rester soi-même. Il ne faut pas paniquer parce que l’ennemi qui est en face, c’est ce qu’il veut". Modeste jusqu’au bout, Madeleine Riffaud ne prétend pas avoir la recette miracle. Mais pour elle, c’est son âme de révoltée qui lui a permis de survivre : "Si nous on a tenu, c’est parce qu'en toute situation, au lieu de nous dire : 'Je suis un martyr, je suis une victime', on s'est toujours dit : 'Je suis un résistant ! Je suis un combattant !'. L’écrivain Vercors* avait l’habitude de dire qu’on est plus ou moins homme si on se rebelle ou si on se laisse crever".

* Le pseudonyme littéraire adopté en 1941 pendant la résistance par l'illustrateur et écrivain français Jean Bruller.

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