Derrière la photo du CRS en feu, l'histoire d'un photographe de guerre syrien

Le cliché, montrant un policier brûlé par l'explosion d'un cocktail Molotov lors d'une manifestation du 1er mai, a fait le tour du monde. Son auteur est un réfugié syrien, photographe de guerre à Alep.

Un CRS pris dans les flammes pendant le défilé du 1er mai à Paris
Un CRS pris dans les flammes pendant le défilé du 1er mai à Paris AFP PHOTO / Zakaria ABDELKAFI

    L'image est saisissante. En plein milieu de la photo, un CRS est recouvert par les flammes. A sa gauche, trois de ses collègues sont également touchés par le feu. La puissance de la photo, prise par lors des manifestations du 1er mai lundi à Paris, lui a rapidement assuré une diffusion importante sur les réseaux sociaux.


    La préfecture de police de Paris s'en est servie pour dénoncer les blessures dont ont été victimes six de ses policiers dans les débordements tandis que le «New York Times» l'a choisie pour illustrer sa Une de mardi.

    Mais le cliché, immortalisant les conséquences de l'explosion d'un cocktail Molotov, possède une histoire assez incroyable et son auteur un destin saisissant. S'il s'est retrouvé au milieu des affrontements entre policiers et manifestants lundi dans les rues de Paris, le photographe de l'AFP Zakaria Abdelkafi a connu des situations bien plus dangereuses. Des scènes de guerre. Ce Syrien a couvert l'enfer d'Alep de 2013 à 2015 pour le compte de l'Agence France Presse.

    «Avec mon passé, je sais comment me placer pour être au bon moment au bon endroit, explique-t-il au Parisien. Dès que j'ai vu la photo, j'ai su qu'elle allait faire le tour du monde, car elle est difficile à prendre. En même temps, j'étais triste car je savais que le succès de cette photo se ferait sur la douleur de cette personne en train de brûler. Mais c'est mon travail, je suis là pour montrer ces choses.»

    VIDEO. Zakaria Abdelkafi sur le plateau de «Quotidien» en novembre 2016

    Dans les rues d'Alep, Zakaria Abdelfaki photographait les rebelles et les combats mais s'attachait surtout à montrer le quotidien des habitants de la ville, comme lorsqu'il immortalise des bus empilés sur la route par des civils pour les protéger des tirs de snipers. «Moi, je n'ai pris qu'une seule arme : mon appareil photo, pour documenter les crimes du régime de Bachar Al-Assad contre les citoyens et les civils, racontait-il déjà à «L'Obs» en mars 2016. Et, sur le terrain, je devenais tour à tour ambulancier, infirmier, je donnais de la nourriture aux gens. C'était ma manière de résister.»

    Sa carrière locale s'interrompt le 15 septembre 2015. En début d'après-midi, il se rapproche de miliciens rebelles pris pour cible par des soldats loyalistes dans le quartier de Sahaleddine. Et se retrouve en plein dans la ligne de mire d'un tireur d'élite du régime. «Une balle a touché le cadre métallique de la porte et est venue percer l'arcade de mon œil gauche, que j'utilisais pour les prises de vue. J'ai vu le sang couler, j'ai crié "mon œil, mon œil!", puis je me suis évanoui», explique-t-il à «Mediapart».

    Emmené dans un hôpital à la frontière turque, Zakaria Abdelkafi est opéré mais perd l'usage de son oeil. Après deux mois de convalescence en Turquie, il poursuit son traitement en France, où on lui implante un oeil artificiel. «Je n'en ai besoin que d'un seul pour travailler», poursuit-il. Depuis février 2017, le photographe, hébergé dans une famille d'accueil, a repris le travail pour l'AFP, couvrant ainsi l'extinction de la Tour Eiffel en hommage aux victimes de l'attentat de Londres en mars.

    La Tour Eiffel éteinte en hommage aux victimes des attentats de Londres, le 22 mars. ZAKARIA ABDELKAFI / AFP

    En-dehors de ses missions, le Syrien s'attelle à trouver un appartement pour accueillir sa famille en France. «Admnistrativement, je suis en règle et bénéficie maintenant d'un titre de séjour, raconte-t-il. Après, mon objectif serait d'aller en Turquie pour une exposition ou en Irak pour travailler. La Syrie ? Je ne peux pas y retourner, je suis réfugié politique. De toute façon, les journalistes y sont interdits. Ici, je peux faire mon travail. Là-bas, je suis une cible.»