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Marine Le Pen tente d’encaisser le choc après son débat raté

La candidate du Front national était, jeudi, à Ennemain, village de 220 habitants de la Somme, entourée de ses fidèles et de ses partisans

Par  (Ennemain (Somme) - envoyé spécial)

Publié le 05 mai 2017 à 06h40, modifié le 05 mai 2017 à 13h24

Temps de Lecture 5 min.

Marine Le Pen en campagne électorale à Ennemain (Somme), lors d’une fête populaire organisée par le FN.

Ils sont venus, ils sont tous là, même ceux de Rome ou de New York, pour sa dernière soirée de campagne, jeudi 4 mai. Ils ont entendu le cri, la complainte de Marine Le Pen qui ne supporte pas que les « élites » et les « marquis poudrés » critiquent sa prestation lors du débat de l’entre-deux-tours face à Emmanuel Macron, la veille.

La candidate vient de finir son discours. La rue principale d’Ennemain, village de 220 habitants de la Somme, est barrée pour les besoins de la « grande fête populaire » qu’organise la représentante du Front national (FN) à l’élection présidentielle.

L’orchestre joue Radiohead et The White Stripes, les enfants renversent leurs frites sur l’herbe, les adultes crient d’effroi dans le manège qui tourne de haut en bas puis de bas en haut et les supporteurs se pressent aux grilles de la mairie pour prendre une photo. Leur star est à l’intérieur, avec tous ses amis : son directeur de campagne, David Rachline, son bras droit, Florian Philippot, et Jean-Lin Lacapelle, son secrétaire général adjoint au FN.

Frédéric Chatillon est là, lui aussi, l’ami, le prestataire sulfureux à plus d’un titre, car impliqué dans les affaires sur le financement du parti et soupçonné de sympathies néonazies. Salarié de la campagne frontiste, mais installé à Rome, il est venu avec un autre résident de la capitale italienne, Jildaz Mahé O’Chinal, un ancien, comme lui, du groupuscule étudiant radical le GUD. Ce dernier, un entrepreneur dans le domaine de la gastronomie, a cofondé l’association Egalité et réconciliation avec le polémiste antisémite Alain Soral.

La carte Trump

Deux autres personnages, moins facilement remarquables que l’imposant Chatillon, composent l’aréopage. Guido Lombardi, homme d’affaires italien installé aux Etats-Unis depuis les années 1970, tend sa carte de visite, barrée du nom du président américain Donald Trump – un ami – et du slogan « Make America Great Again ».

C’est lui qui avait reçu Marine Le Pen, en janvier, dans son appartement de la Trump Tower, à New York, et qui avait organisé une réception mondaine en son honneur. Pierre Ceyrac, ancien député FN du Nord entre 1986 et 1988, qui dispose de nombreux relais outre-Atlantique, était aussi de la partie. Il l’accompagne ce soir.

Frédéric Chatillon, à Ennemain, le 4 mai.

Les deux hommes ne font pas mine de croire à une victoire de la chef de file du FN, dimanche, et n’ont pas de message à transmettre de la part du président américain. Mais ils soulignent que le Tweet écrit par le milliardaire le jour du premier tour – « très intéressante élection en cours en France » – peut être vu comme un premier pas en direction de la frontiste. Ce soir, d’ailleurs, Marine Le Pen a joué la carte Trump à la tribune. « J’incarne l’irruption du peuple dans l’entre-soi suranné des élites », a-t-elle lancé au millier de ses sympathisants réunis entre les stands.

Les remarques sur son agressivité lors du débat, sa propension au mensonge ou aux insinuations, ses lacunes sur le fond des dossiers, ne viseraient selon elle qu’à stigmatiser le « peuple », qu’elle prétend représenter. « J’ai été à la table de ce débat la voix du peuple, l’expression de la colère de cette majorité silencieuse qui n’en peut plus de l’abandon à laquelle on la confine », a-t-elle estimé, se faisant l’émissaire, sur le plateau de télévision, de différents personnages : « la veuve du paysan qui s’est suicidé », « le chef d’entreprise qui n’arrive plus à payer ses factures », « le chômeur qui voit passer les travailleurs détachés dans les bus de M. Macron », etc.

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« Ma voix n’a été que l’écho de la violence sociale qui va exploser dans ce pays », a-t-elle lancé. Une manière d’anticiper les possibles soubresauts du quinquennat Macron. Et d’entériner, donc, l’hypothèse de sa défaite le 7 mai. Mais au lendemain du débat, il n’y a pas que le « système » qui a jugé durement la prestation de la candidate. Des critiques ont été émises jusque dans son camp, et en grand nombre – un fait suffisamment rare pour être noté dans cette famille politique qui chérit l’autorité et l’ordre.

Son père, Jean-Marie Le Pen, qui la soutient malgré son exclusion du FN en 2015, a jugé que sa fille « a peut-être manqué de hauteur ». « Marine n’a pas convaincu les indécis… », regrette pour sa part un député européen, tandis qu’un bon connaisseur de la candidate tranche carrément : « Une catastrophe. » « Ce n’était pas digne d’un débat présidentiel, déplore un patron de fédération frontiste. Macron, on avait l’impression qu’il avait un projet. Marine, à part les fondamentaux, ce n’était franchement pas top. Tous les électeurs ou les élus FN autour de moi le disent. »

L’agressivité de la députée européenne dans ce débat pose question, alors que ce type de rendez-vous offre en général une occasion de se présidentialiser et de dérouler son projet. « La violence attribuée à Marine est le symbole d’une exaspération des Français face à la violence du programme de Macron. Mais il n’est pas certain que ça serve son image, hélas, soupire un conseiller régional. La punchline [phrase coup de poing] du début était parfaite. Ensuite, il fallait dérouler le positif de son programme, et ne pas revenir sans cesse à Macron. »

Le dépit ne se cache même plus. Sur Twitter, Jean Messiha, coordinateur du programme de la candidate, a tenté de battre le rappel des troupes : « Patriotes, ressaisissez-vous enfin ! Où est votre foi en la France ? Comment convaincre si vous doutez ? Chargez, que diantre ! » On entend encore une forme d’écho.

Car certains amis de Marine Le Pen ne comprennent toujours pas pourquoi leur championne a adopté une telle posture, et ruiné au passage son travail mené depuis des années pour apparaître comme une responsable crédible, à même d’exercer le pouvoir. Pourquoi avoir sacrifié la « France apaisée », son slogan de 2016, sur l’autel d’un débat télévisé devant plus de 15 millions de personnes ? « Les gens qui voulaient voter pour elle vont voter pour elle. Mais ceux qui étaient indécis ne le feront pas », estime-t-on parmi ses soutiens.

Marine Le Pen à la fin de son meeting de campagne à Ennemain, le 4 mai.

Dévoiler « le vrai Macron »

Plutôt que de se projeter vers l’Elysée, l’objectif poursuivi par Mme Le Pen semble avoir été avant tout de chercher à détourner des urnes de potentiels électeurs d’Emmanuel Macron qui voudraient faire barrage à l’extrême droite ou offrir une large victoire à l’ancien ministre de l’économie.

Jeudi matin, sur RMC, la présidente « en congé » du FN a expliqué avoir « bousculé un peu les codes » pour dévoiler « le vrai Macron » aux yeux des Français. Pour le faire passer, en quelque sorte, comme un extrémiste de la finance et de l’Union européenne, qui se montrerait volontiers complaisant avec l’islamisme en cas d’arrivée au pouvoir.

Celle qui se présente comme un « challenger » a donc joué son va-tout lors de ce débat, alors que la plupart des sondages continuent de donner son adversaire vainqueur avec environ 60 % des suffrages.

« La campagne de premier tour a parfois été jugée trop sage, notamment lors des deux premiers débats, rapporte Philippe Olivier, conseiller et beau-frère de la candidate. Au deuxième tour, on prend un peu plus de risques. Il fallait bousculer Macron, qui est l’enfant chéri des médias, qu’on présente sans aspérités. » Au risque de trop montrer les siennes.

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