Françoise Nyssen, la ministre de la Culture, veut «réenchanter notre pays»

L'ouverture des bibliothèques le dimanche, le passe Culture, la Maison de la musique... Françoise Nyssen a accordé à notre journal sa première interview. La nouvelle ministre de la Culture nous livre ses chantiers.

Paris (Ier), mardi 19 juin. La nouvelle locataire de la Rue de Valois, Françoise Nyssen, a fait de l’éducation musicale une des priorités de son ministère.
Paris (Ier), mardi 19 juin. La nouvelle locataire de la Rue de Valois, Françoise Nyssen, a fait de l’éducation musicale une des priorités de son ministère. (LP / PHILIPPE DE POULPIQUET)

    Françoise Nyssen nous accueille en musique. «Je vais peut-être couper le disque, non ?» Et Françoise Nyssen, 66 ans, aussi simple que chaleureuse, démarre aussitôt la conversation sur Federico Mompou, compositeur espagnol «très minimaliste, très jazzy», qu'elle adore. Ça tombe bien. Pour sa première véritable interview, la ministre de la Culture a choisi de prendre la parole sur la musique qui sera fêtée un peu partout en France demain.

    Vous avez des souvenirs particuliers de la Fête de la musique ?

    Françoise Nyssen. Je l'ai toujours suivie à Arles. Et j'ai joué un peu de piano, mais je n'avais pas tellement confiance en moi. J'ai tenté d'apprendre le violoncelle à 50 ans, mais j'ai abandonné faute de temps...

    Quelle musique écoutez-vous ?

    J'aime toutes les musiques. Dans notre salle d'Arles (NDLR : l'ex-dirigeante de la maison d'édition Actes Sud a ouvert un centre culturel qui comprend une salle de concert), nous sommes spécialisés dans la musique baroque. J'ai une passion pour la musique de chambre. Je me suis fait ma discothèque toute seule. L'une des plus belles chansons du monde pour moi est «Une sorcière comme les autres» écrite par Anne Sylvestre et reprise par Pauline Julien (en 1977), une grande chanteuse québécoise militante.

    Vous irez où demain ?

    J'irai écouter des jeunes. L'éducation artistique et culturelle est l'un des axes forts pour moi. Elle aide les enfants à se constituer, à prendre confiance en eux, à s'exprimer. Toutes les études sur le cerveau montrent que c'est important d'appréhender la musique dès le plus jeune âge. La culture n'est pas juste un supplément d'âme, elle aide à se construire.

    Pourquoi avez-vous accepté d'être ministre ?

    Si on a la chance de pouvoir tenter quelque chose pour son pays, ce serait indécent de ne pas la saisir. J'ai rencontré Emmanuel Macron une fois, au Salon du livre. J'ai lu attentivement son programme culturel avant de dire oui. Ce qui m'a le plus convaincue, c'est l'idée que par la culture, on peut réenchanter notre pays.

    Quels sont vos projets pour l'école ?

    Des projets existent, comme Orchestre à l'école (des orchestres créés avec les élèves d'une même classe) ou Demos (Dispositif d'éducation musicale et orchestrale à vocation sociale qui permet aux enfants de jouer dans des orchestres classiques). L'objectif est de faire accéder tous les enfants à des initiatives de ce type. Dès ma nomination, je me suis rapprochée du ministre de l'Education (Jean-Michel Blanquer) pour que nous travaillions ensemble. Je crois beaucoup aux chorales que j'ai testées grandeur nature dans l'Ecole du Domaine du possible, que j'ai créée à Arles. Je suis une ministre travaux pratiques.

    Les jeunes écoutent beaucoup de rap qui contient parfois des propos vulgaires, sexistes. Serez-vous vigilante ?

    Le ministère de la Culture n'est pas un organisme de contrôle. Mais quand il y a des dérapages, je les condamne. Regardez sur l'affaire Hanouna par exemple (la séquence jugée homophobe sur C 8), j'ai réagi immédiatement en faisant part de ma consternation. La culture hip-hop fait partie de notre paysage culturel. Vendredi, j'ai rendu visite à l'association de cultures urbaines Da Storm (à Bouillargues près de Nîmes). Elle permet à des jeunes de se rassembler, de créer, de s'exprimer. La culture hip-hop, c'est d'abord cela.

    Les jeunes consomment de plus en plus la culture gratuitement : de la musique, des films. Comment comptez-vous protéger les artistes ?

    La condition de la diversité culturelle, c'est la juste rémunération des artistes et des créateurs. Le piratage est à ce titre un fléau, face auquel on ne peut pas rester les bras croisés. Il faut par ailleurs que toutes les plates-formes numériques contribuent au financement de la création. Je suis mobilisée aux niveaux national et européen.

    La loi Hadopi pour lutter contre le piratage ne vous semble pas satisfaisante ?

    Il faudra se poser la question de l'évolution de ce dispositif. Nous devrons renforcer les mesures de lutte contre les sites pirates, travailler davantage pour la pédagogie et promouvoir par ailleurs une offre payante attractive.

    En quoi consistera la Maison commune de la musique que vous voulez créer ?

    Nous avons le projet de rassembler l'ensemble des professionnels, notamment ceux de la musique enregistrée et ceux du spectacle vivant, qui ont beaucoup de défis similaires. Une mission sera lancée dans les jours qui viennent pour en définir le périmètre et les compétences. Attention, il ne s'agit pas d'une énième réflexion sur le sujet ! Je disposerai de recommandations opérationnelles à la fin du mois de septembre.

    Où en est le passe Culture annoncé par Emmanuel Macron ?

    C'est une porte d'entrée dans la culture pour les jeunes. Chacun recevra à ses 18 ans 500 euros qu'il consommera comme il l'entend - spectacles, disques, livres, musées... Cette formule a été développée en Italie, où nous irons bientôt voir concrètement comment cela se passe.

    Dans quels festivals irez-vous cet été ?

    Le terrain est ma priorité. Je suis en quelque sorte la ministre de la Culture pour la cohésion des territoires (rires). Tous les ministres de la Culture vont traditionnellement à Avignon, à Aix-en-Provence, et c'est normal, mais j'aimerais bien ajouter des festivals où l'on va peu, voire jamais, comme les Suds, à Arles.

    Que pensez-vous de la Philharmonie de Paris ?

    C'est très réussi. Elle réunit aussi bien les habitants des quartiers populaires voisins et le public de l'Ouest parisien qui allait avant à Pleyel. C'est plus qu'une salle, c'est un écosystème qui a vu le jour, avec des initiatives fortes en matière d'éducation artistique et culturelle, et une coopération avec les territoires.

    Quand les Français pourront-ils aller à la bibliothèque le dimanche ?

    Le plus vite possible. Il n'est pas normal qu'elles soient fermées quand les gens ont le temps d'y aller. Les bibliothèques sont des lieux de vie et d'échange fondamentaux, notamment dans les quartiers populaires où les parents viennent passer des heures avec leurs enfants. Ce changement ne sera pas facile, mais je me suis exprimée la semaine dernière devant l'Association des bibliothécaires de France : ils savent qu'il faut évoluer. Erik Orsenna (nommé ambassadeur de la lecture) sera chargé de mobiliser les collectivités et les agents autour de cet enjeu.