Mémoire

Pourquoi « le vélo, ça ne s'oublie pas » ?

Se laver les dents, faire du vélo, jouer du piano... Les gestes appris sont stockés dans un système de mémoire à part.

CERVEAU & PSYCHO N° 89
un enfant apprend à faire du vélo

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Quand, après des années sans être monté sur une bicyclette, on enfourche un jour de nouveau la petite reine, un petit miracle s'accomplit. Une combinaison de gestes complexes, jamais utilisée depuis des années, revient comme par enchantement. C'est d'autant plus surprenant que notre mémoire est généralement bien fragile... Combien de noms de camarades de classe oubliés, de clés perdues ! Ces souvenirs font partie de la mémoire dite épisodique. D'autres, qui ont trait à des connaissances générales sur le monde (la date de la bataille de Marignan ou le nom du dernier président des États-Unis) appartiennent à notre mémoire sémantique. Mémoire épisodique et mémoire sémantique sont explicites et conscientes : on les qualifie de mémoires déclaratives.

Mais les aptitudes apprises, comme le fait de savoir jouer du piano, se laver les dents ou faire du vélo, sont très différentes. Elles sont stockées dans un système de mémoire séparé, une particularité mise en évidence à travers un cas clinique célèbre, celui du patient Henry Gustav Molaison (1926-2008). À cause de crises d'épilepsie sévères, on avait dû lui enlever une grande partie du cerveau appelée hippocampe. Ce qui eut une conséquence inattendue : le patient était incapable de retenir quoi que ce soit de nouveau, sans compter que de nombreux souvenirs antérieurs à son opération avaient eux aussi disparu. Parmi les très nombreux tests qu'on lui fit passer, l'un d'eux consistait à tracer une étoile en suivant des yeux le mouvement de sa main dans un miroir. C'est une tâche difficile qu'on ne peut réussir qu'en s'entraînant. Or, de jour en jour, il s'améliora et finit par y arriver, signe qu'il pouvait encore apprendre. Et encore, il oubliait qu'il avait participé à un tel exercice la veille ! Pour lui, c'était toujours la première fois.

Des réseaux neuronaux stables

La mémoire des gestes était préservée chez Henry Molaison, à la différence de la mémoire des faits passés ou des connaissances générales. Cette connaissance kinesthésique est ancrée dans les noyaux gris centraux, enfouis au centre de notre encéphale. Ces noyaux sont relativement protégés des atteintes et des chocs, par comparaison avec l'écorce cérébrale. En outre, les circuits de neurones une fois formés semblent y rester inchangés pour la vie. Ce n'est pas le cas des neurones de l'hippocampe, qui sont fréquemment renouvelés, ce qui explique pourquoi la mémoire épisodique est fragile. Mais dans les noyaux centraux, peu de renouvellement neuronal, et donc grande stabilité des acquis procéduraux. Comme quoi l'absence de neuroplasticité a parfois du bon.

Pourquoi  « le vélo, ça ne s'oublie pas » ?

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Boris Suchan

Boris Suchan est professeur de neuropsychologie clinique à l'université de Bochum, en Allemagne.

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