Face au pessimisme ambiant, ils agissent, font bouger la société à petite ou grande échelle.
Le Monde est allé à leur rencontre.

    Mara Maudet,

    garder les enfants, aider les parents

Depuis son arrivée en France il y a près de quarante ans, Mara Maudet ne cesse d’inventer des structures pour accueillir des enfants et faciliter la vie de leurs parents.

C’est le grand jour pour Rachida. Cette mère algérienne sans emploi passe un entretien pour un poste de caissière chez Monoprix. Une offre d’emploi qu’elle a trouvée grâce à la crèche qui garde sa fille. Depuis plusieurs mois, une professionnelle l’aide ici à chercher du travail : rédaction de CV, préparation aux entretiens… « Elle m’a aidée à surmonter des épreuves, à reprendre confiance », confie la quadragénaire au parcours heurté, certaine qu’elle n’y serait jamais arrivée « sans ce soutien moral ».

Comme Rachida, une trentaine de parents en difficulté – dont beaucoup de mères isolées – ont été orientés par la mairie vers cette crèche pas comme les autres du 18e arrondissement parisien pour y être accompagnés sur le chemin du retour à l’emploi. Le lieu porte bien son nom : A petits pas. La moitié des places sont, ici, réservées à ces parents sans activité, identifiés par la mairie, Pôle emploi, la CAF ou la mission locale. Seule contrepartie demandée : s’engager à rechercher activement du travail ou une formation. Autre particularité : une amplitude horaire large, pour répondre aux contraintes de ceux qui occupent des emplois peu qualifiés.

A l’origine de cet établissement dit « à vocation d’insertion professionnelle » (VIP) et de dix autres ouverts en Ile-de-France (le douxième ouvrira en août) – essentiellement dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville –, une association : l’Institut d’éducation et des pratiques citoyennes (IEPC). Mais surtout sa créatrice : Mara Maudet.

Participer à plus de justice sociale

Derrière ce nom, un engagement pour les autres qui dure depuis près de cinquante ans, né d’une prise de conscience soudaine, à 17 ans : celle de la misère criante d’une partie de son pays natal, le Brésil. Pauvreté dont « le monde clos » de sa famille bourgeoise et du pensionnat catholique l’avait jusque-là préservée.

« Je me suis rendu compte de la chance que j’avais eue d’être née dans un ventre confortable », raconte Mara Maudet, 65 ans, accent brésilien chantant, regard brun vif et gestuelle expansive. L’idée de lutter contre les déterminismes et de participer à « plus de justice sociale » ne la quittera plus.

En parallèle de ses études de sociologie urbaine, elle se confronte à la réalité des favelas. Une histoire va la marquer : pour pouvoir aller travailler, une femme avait attaché son enfant, faute de mode de garde. « Une partie du pays criait au scandale. Pour moi, elle n’avait pas d’autre solution. »

Ces expériences résonnent encore, lorsque, arrivée en France dans les pas de son mari, réfugié politique argentin, elle commence à travailler comme éducatrice à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), dans la cité de La Noé, en grande difficulté. Nous sommes en 1983, « époque où la France découvrait ses banlieues ». Inspirée par le pédagogue brésilien Paulo Freire et l’idée de « conscientisation », Mara Maudet veut pousser « chacun à devenir acteur des projets ».

Laurette animatrice petite enfance avec le bassin à la crèche "A petits pas"

« Les crèches sont pensées pour les parents en activité »

A l’écoute des besoins et souhaitant agir de manière concrète, elle a d’abord l’idée de créer Mini-Loup, structure où l’aide aux devoirs des enfants est assurée par les plus grands ; puis Mamie-Loup, pour les personnes âgées ; enfin, Baby-Loup, une crèche ouverte dès 5 h 30 pour permettre aux parents qui embauchent aux aurores d’attraper le premier train pour Paris.

Elle commence alors à observer ce « cercle vicieux » auquel elle s’attaquera réellement quinze ans plus tard : « Les crèches sont pensées pour les parents en activité. [Peu de places sont disponibles pour les parents au chômage]. Or ceux qui ne le sont pas, notamment les mères seules, n’ont pas les moyens de se payer un autre mode de garde. Elles se retrouvent dans des situations subies de non-emploi et doivent attendre l’entrée en maternelle pour pouvoir chercher du travail. »

D’une nature fonceuse et d’une culture « polyvalente », l’éducatrice doit aussi apprendre à composer avec le « cloisonnement » et les lenteurs administratives françaises. Elle peut toutefois compter sur le soutien du maire de l’époque, Pierre Cardo (centre droit), pour porter ses projets et « aller au charbon ». Un homme qui l’a profondément marquée, « même si on n’a pas toujours été d’accord ».

De ces douze années qui l’ont « structurée », elle assure ne garder que des bons souvenirs. Qu’on ne lui demande pas d’en citer, « il y en a trop ! », s’exclame-t-elle, main sur le cœur. Et « quel bonheur » de savoir certains jeunes aujourd’hui adjoint d’un préfet ou directrice de maison de retraite !

« Mara a entraîné derrière elle plein de jeunes, devenus pour certains des acteurs du quartier », témoigne M. Cardo, qui n’est pas près d’oublier cette « légende locale » qui lui « a inspiré une bonne partie de la politique qu’[il a] menée ».

Si l’ancien maire n’a « jamais été caillassé » durant les émeutes qui ont secoué Chanteloup au début des années 1990, « c’est grâce à elle » et « au lien privilégié » qu’elle lui a permis de créer avec les jeunes, estime-t-il. C’est elle, encore, qui lui a permis de « faire mentir » ceux qui disaient la ville « ingérable ». « Ses actions ont été un facteur essentiel de la réussite de la politique qu’on a menée, salue-t-il. Elle mérite les remerciements de la nation. » Sur sa Légion d’honneur reçue en 2013, comme sur son prix de l’Entrepreneur social de l’année 2017, l’intéressée reste discrète.

Une formule qui marche

Elle quitte Chanteloup en 1995, jugeant avoir « fait son temps ». Et certaines approches ne lui correspondaient plus. Elle n’y est plus revenue depuis, et n’a suivi que de loin l’affaire très médiatisée du licenciement d’une salariée voilée de Baby-Loup.

Sa prochaine bataille, déjà, l’appelle. Avec la création de l’IEPC en 2000 et l’ouverture de sa première crèche d’insertion trois ans plus tard, elle réalise « la synthèse » de ses différentes expériences. Et parie sur une meilleure efficacité en associant politique de l’emploi et politique familiale, qu’elle a longtemps déploré de voir déconnectées.

Si les collectivités et les acteurs sociaux adhèrent vite à son projet, les banques, elles, seront plus difficiles à convaincre. « C’est là que vous apprenez à devenir un chef d’entreprise », dit-elle, se remémorant ces années où il a fallu monter au front.

Dix ans plus tard, les banques la soutiennent désormais, son entreprise est pérenne et ses crèches continuent d’essaimer, financées par la CAF, les villes et les départements où elles sont implantées, ainsi que par les familles – qui payent en fonction de leurs revenus, selon un barème national.

La formule a fait ses preuves, se félicite l’intéressée : 87 % des parents accompagnés en 2016 ont trouvé un emploi. Pour certains aussi, un meilleur logement. Pour encourager le modèle à se développer, le gouvernement a établi l’an dernier une charte, à laquelle les crèches, si elles remplissent certaines conditions, peuvent adhérer pour obtenir le label « VIP ». A terme, Mara Maudet espère ouvrir une trentaine de crèches sur ce modèle.

Vous avez été nombreux à apprécier la série #Ceuxquifont pendant l'été 2016, ces portraits d’hommes et de femmes qui dans leur domaine où leur quartier, agissent pour réaliser leur rêve d’un monde plus humain. Cet été nous repartons à leur rencontre. Merci à tous ceux qui ont répondu à notre appel sur LeMonde.fr

Retrouvez tous les portraits de la première saison.

La quatrième édition du Monde Festival se tient à Paris du 22 au 25 septembre 2017 sur le thème « Rêver ». Retrouvez le programme du Monde Festival.

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