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REPORTAGE

A Mossoul, «il est où le sniper ? Donnez-moi une cible !»

Dans la deuxième ville d'Irak, les combats contre les derniers jihadistes touchent à leur fin. Les survivants, parfois trop faibles pour marcher, émergent des décombres.
par Luc Mathieu, envoyé spécial à Mossoul (Irak)
publié le 30 juin 2017 à 18h43

Le bulldozer passe à peine dans la ruelle. Il frôle les murs des maisons, les ébrèche parfois, et racle tout ce qui traîne: caillasses, tôles, pylônes, carcasses de voitures et de camionnettes. L’engin ouvre une nouvelle voie vers le cœur de la vieille ville de Mossoul et la mosquée Al-Nouri. Les forces spéciales irakiennes se sont installées dans une rue un peu plus large, où s’amoncellent des gravats et où traîne encore le corps noirci d’un jihadiste de l’Etat islamique.

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La mosquée Al-Nouri, symbole de la ville, est juste derrière, à quelques dizaines de mètres. L'armée irakienne l'a reprise jeudi mais des snipers empêchent encore de s'en approcher. Il n'en reste de toute façon pas grand-chose, hormis le portail d'entrée. Du minaret penché depuis sa construction au XIIe siècle, seul subsiste le socle et quelques mètres des mosaïques de brique.

Le lieutenant-colonel Salam Jassem Hussein des forces spéciales irakiennes s’est installé dans ce qui a probablement été une chambre, ou un bureau, d’une petite maison à quelques encablures de la mosquée. Une veste remplie d’explosifs est posée à côté d’une porte, en haut d’un escalier éboulé. Une caméra ronde a été montée sur le toit. Assis à côté de trois ventilateurs, le gradé est assis devant un écran plat et manie un joystick. Il observe les quartiers de la vieille ville toujours aux mains de l’Etat islamique. Il passe d’un bâtiment à l’autre, zoome sur un immeuble à côté d’une église, refait un plan large. Des fumées d’explosions montent au-dessus de ruelles désertes.

«La fin du faux Etat de Daech»

L'objectif des forces spéciales est d'atteindre le Tigre, qui traverse Mossoul du nord au sud et marque l'extrémité de la vieille ville. Le fleuve est à 700 mètres. «Nous l'atteindrons dans quelques jours et ce sera fini», affirme Salam. Le Premier ministre irakien Haider al-Abadi n'a pas attendu. «Nous assistons à la fin du faux Etat de Daech», a-t-il annoncé dès jeudi. Le gouvernement de Bagdad considère que la reconquête de la mosquée al-Nouri et de son minaret suffit à déclarer la victoire d'une offensive lancée en octobre. Il tenait absolument à le faire avant le 4 juillet, trois ans jour pour jour après qu'Abou Bakr al-Baghdadi, calife autoproclamé de l'Etat islamique, soit apparu dans la mosquée. Il n'a depuis jamais fait d'autre discours filmé.

Les combats se poursuivent pourtant. Sur l'écran du lieutenant-colonel, on voit deux soldats qui avancent dos courbé et tête baissée sur un toit. Un troisième les rejoint. Ils hésitent avant de passer sur un autre toit. La lutte contre les derniers jihadistes oblige de fouiller chaque bâtiment de chaque venelle. Jeudi, quatre soldats des forces spéciales ont été tués par deux kamikazes. «Il y a encore des snipers mais la plupart des combattants de Daech attendent de se faire exploser. Ils se cachent dans des maisons. D'après nos renseignements, ils ne communiquent plus entre eux, ils sont isolés», explique le gradé. Sur son écran, aucun jihadiste n'est visible.

L'officier appelle par radio ses hommes sur le toit. «Il est où le sniper? Donnez-moi une cible !». Un soldat répond. L'officier transmet. «Vous avez reçu les coordonnées ?». «Oui, nous les avons reçues.» Un tir d'artillerie est ordonné. Plus tard, c'est une frappe aérienne qui sera commandée. La fumée grise apparaîtra à l'écran avant que le fracas de l'explosion ne se propage et fasse trembler les murs de la maison.

Vieux fauteuil roulant

Comme à chaque avancée de l’armée irakienne, des civils s’échappent. Ils émergent des décombres et de la poussière, exténués, avec quelques sacs comme tout bagage. La plupart sont maigres, faméliques même, ils flottent dans leur pantalon de survêtement et leur polo sale. Il y a des femmes, des enfants, des personnes âgées, des hommes. Ils ont le regard perdu, comme s’ils ne savaient plus où ils étaient.

Certains sont trop faibles pour marcher. Un vieil homme est transporté par quatre jeunes qui lui tiennent chacun un bras ou une jambe. Une femme d'une quarantaine d'années est poussée sur un vieux fauteuil roulant. Des soldats irakiens stoppent leur Humvee, un blindé américain, à sa hauteur. Elle est hissée à l’arrière. Ses deux pieds sont mal plâtrés, le bandage ne tient que grâce à une épingle à nourrice. Son mari lui donne un sac en plastique qui renferme un classeur de documents administratifs et des radiographies.

Cinq jeunes montent sur le capot brûlant du blindé, deux autres femmes s’assoient sur le même siège à l’arrière. L’une d’elle, visage ridé, pleure en silence en regardant par la vitre la vieille ville ravagée.

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