Menu
Libération
Reportage

Saint-Martin : «On demande à des gens de faire tenir leur vie dans un sac»

Après Irma, Mariadossier
L'aéroport de l'île à 95% dévastée par Irma a été transformé en îlot de survie. Les sinistrés y vivent dans l'espoir de pouvoir partir pour la Guadeloupe.
par Willy Le Devin, envoyé spécial à Saint-Martin
publié le 14 septembre 2017 à 13h39

Il divague. Imperturbable malgré le boucan des rotors des imposants hélicoptères de l'armée. Au bien nommé aéroport de l'Espérance de Saint-Martin, c'est même devenu une sorte de mascotte. Evadé de son enclos, ce porc semble être le seul à goûter l'atmosphère de désolation léguée par le cyclone Irma. «C'est l'animal avec lequel l'homme a le plus en commun. On va tâcher de vivre ensemble», philosophe un militaire. Autour, des compteurs électriques éventrés, des maisons qui n'en sont plus, des débris amoncelés et des petits avions bimoteurs le ventre tourné vers le ciel.

Le petit hall de l'aéroport s'est transformé depuis quelques jours en îlot de survie. On y dort, on y pleure, on s'y soigne. Surtout on y espère une évacuation rapide vers Pointe-à-Pitre. Les premiers jours, l'armée, épaulée par des pompiers bénévoles, filtrait les partants au niveau du portail. Mais la tension est vite montée très haut, certains ne désirant pas se plier aux consignes d'évacuation prioritaires : les blessés, les malades, les enfants en bas âge accompagnés d'abord. Afin de permettre l'arrivée du fret en toute sérénité, d'éviter les pillages, et de prendre en charge sereinement les brancards, le check point, tenu désormais par les gendarmes, a été positionné un kilomètre en amont. Les familles, épuisées, s'y présentent souvent avec de lourds bagages. Elles emportent, disent-elles, «tout ce qui leur reste». Mais là encore, les ordres sont draconiens. Seules les valises cabine sont autorisées. «Là, c'est la goutte d'eau, témoigne André, un pompier volontaire venu de Creuse. Hier, j'ai vu une maman qui disait à son fils de choisir sa peluche préférée et d'abandonner toutes les autres. On demande à des gens qui n'ont plus rien de faire tenir leur vie dans un sac.»

«Diabète»

Depuis le passage d'Irma, environ 5 500 personnes ont pu quitter l'île. A raison de 26 rotations quotidiennes, 1 000 personnes décollent  chaque jour de l'aérogare de l'Espérance. Dans le hall, une maigre boutique, rebaptisée ironiquement «Duty free» vend de l'eau potable et des barres chocolatées. La nuit, tout fait office de lit : tapis à bagages, chariots, bancs. Depuis mercredi, des pluies, aussi soudaines que torrentielles, viennent encore compliquer la tâche des secours, même si elles sont le seul moyen de se doucher. Dès les premières gouttes, une ruée d'hommes nus afflue sur le tarmac. «Dans les villages, les conditions sanitaires sont épouvantables, assure Joël, un médecin venu de métropole. Au regard de la puissance du cyclone, on peut se satisfaire d'un faible nombre de morts et de blessés graves. Mais l'urgence aujourd'hui consiste à identifier les personnes qui ont des longues maladies. On est par exemple effarés par le taux de diabète ici. Il y a au moins 25% à 30% de malades de plus qu'en métropole, probablement en raison de la pauvreté et de la malnutrition. On a sorti des gens en hyperglycémie qui avaient 5 grammes de sucre dans le sang.»

A la tombée de la nuit, la radio des militaires signale une tentative de pillage au Monoprix de Marigot. Quelques minutes plus tard, une autre est signalée à Cul-de-Sac. Deux personnes ont été interpellées. Des patrouilles ainsi qu'un hélicoptère sillonnent l'île sans relâche. Marc, un officier de communication de l'armée, tempère toutefois l'ampleur des exactions : «Il y a des tentatives, essentiellement d'opportunité, mais aucun phénomène de masse. Il y a un frémissement depuis 24 heures. Les Saint-Martinois reprennent doucement leur poste de travail.» A l'aéroport, tout le personnel au sol a repris spontanément le travail.

Au beau milieu de la nuit, un visiteur indésirable anime quelque peu la vie de l'aérogare : une gigantesque scolopendre serpente le long des corps endormis. Les pompiers interrompent une partie de cartes pour l'achever à grands coups de chaussure de sécurité. «Mieux vaut prévenir que guérir ! Ça pique et ça fait très mal. On va éviter les drames supplémentaires, on n'a vraiment pas besoin de ça.»

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique