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Comment mesurer le coût d’une catastrophe naturelle comme Irma ?

Les dégâts de l’ouragan qui a dévasté Saint-Martin et Saint-Barthélemy en septembre sont désormais estimés à 3 milliards d’euros.

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Publié le 15 septembre 2017 à 17h53, modifié le 17 mai 2018 à 10h25

Temps de Lecture 6 min.

L’ouragan Irma, qui a ravagé les îles antillaises de Saint-Martin et Saint-Barthélemy les 6 et 7 septembre, a battu des records d’intensité et de violence des vents. Il a tué onze personnes et provoqué des dégâts sans précédent : bâtiments effondrés, toitures arrachées, voitures emportées par les flots, routes coupées… Six mois après, on évalue le coût total du cataclysme à plus de 3 milliards d’euros.

Comment tous ces dommages aux particuliers et aux entreprises peuvent-ils être évalués et remboursés ?

L’état de catastrophe naturelle, un statut protecteur

Dès le vendredi 8 septembre, l’état de catastrophe naturelle (« CatNat ») a été signé pour les deux îles. Ce régime d’indemnisation, instauré en 1982 et adossé aux assurances habitation, a été étendu à l’outre-mer en 1990, mais le risque cyclonique n’est couvert que depuis 2000, et c’est la première fois qu’il est activé pour un événement de cette ampleur dans les DOM.

En théorie, les sinistrés, particuliers ou entreprises, ont dix jours pour déclarer les dommages aux biens : maisons, commerces, entreprises… Face à l’ampleur de la catastrophe, la Fédération française de l’assurance a prolongé le délai de déclaration, étendu les garanties pour les assurés (pillage, transport d’un véhicule endommagé) et annoncé des versements d’urgence, le reste étant débloqué dans les deux ou trois mois.

Des dégâts avoisinant les 2 milliard d’euros

Six mois après le passage d’Irma, l’Etat évalue le total des dégâts couverts par le régime CatNat à 1,83 milliard d’euros. Ce montant exceptionnellement élevé dépasse celui des inondations liées à la crue de la Seine (qui touchaient pourtant des zones bien plus peuplées autour de Paris) et de l’exceptionnelle sécheresse de 2003 – qui avait coûté 1,2 milliard d’euros à l’époque, ce qui correspond à 1,7 milliard en euros de 2014.

L'ouragan Irma figure parmi les catastrophes naturelles les plus coûteuses pour les assurances

Les événéments climatiques les plus chers pour les assurances depuis 1989, actualisés en millions d'euros de 2014. Le nombre de communes sinistrées apparaît au survol.

Ce chiffre recouvre uniquement le périmètre des indemnisations de catastrophe naturelle, c’est-à-dire les locaux privés ou professionnels ainsi que les pertes directes d’exploitation. Pour l’agriculture, les bâtiments sont couverts mais pas les récoltes. Les véhicules ou les bateaux de plaisance (nombreux sur les deux îles touristiques) ne sont pas non plus comptabilisés – même s’ils peuvent être indemnisés par d’autres assurances.

Une estimation et des incertitudes

Comment obtient-on un tel chiffre ? « La caisse centrale de réassurance a développé depuis une dizaine d’années avec des partenaires comme Météo France ou le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), des modèles informatiques qui permettent d’estimer les coûts d’un événement courant – inondation, sécheresse, submersion marine – et moins courant – comme les cyclones ou les tremblements de terre, explique David Moncoulon, responsable de la modélisation à la CCR. Ils s’appuient sur des données météo et des sinistres historiques déjà enregistrés. Quand un événement survient, on alimente ce modèle avec les données météo et on estime combien il devrait coûter en fonction de ce qui est assuré. Ces calculs sont réalisés régulièrement pour les assureurs dès qu’il y a des dommages conséquents : les inondations de la semaine dernière à Aubagne [Bouches-du-Rhône], tous les risques de sécheresse, la plupart des inondations, les petits cyclones… »

Difficulté supplémentaire : après le passage d’Irma, certaines données n’étaient pas disponibles car les stations météo avaient été détériorées. « Nous avons fait des hypothèses recoupées avec l’analyse d’images satellite de Copernicus, qui compte les maisons et bâtiments endommagés », explique David Moncoulon, qui précise que l’organisme « ne souhaite pas donner de chiffre pour chaque île ou par type de dégâts, car plus on entre dans les détails, plus on augmente l’incertitude. »

Selon un autre outil de simulation, qui s’appuie sur l’imagerie spatiale, baptisé Vega et développé par le cabinet Saretec, près de 90 % du bâti de la ville de Saint-Martin serait endommagé, soit environ 16 000 bâtiments, ainsi que 70 % des constructions de Saint-Barthélemy, comme le détaille l’Argus de l’assurance.

Une part importante de bien non assurés

Le régime de catastrophe naturelle ne s’applique qu’aux biens qui étaient assurés et respectaient la réglementation. Or si la loi oblige à assurer une automobile, ce n’est pas le cas pour l’habitation. Selon un rapport de 2010 du Commissariat général au développement durable, 99 % des habitants de métropole souscrivent un contrat pour leur résidence principale, mais ils ne sont que 52 % à le faire dans les DOM, et seulement 44 % pour les maisons individuelles. « Cet effet est probablement lié à la forte présence des maisons auto-construites, parfois sans permis de construire, réalisées par des ménages à faible revenu », précise le rapport. Ces habitants les plus pauvres ont donc tout perdu après l’ouragan. Quant aux autres, ils sont remboursés en tenant compte de la vétusté et non à la valeur à neuf.

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Selon les estimations des autorités, le coût total des dégâts dépassera donc probablement les 3 milliards d’euros.

Le quartier de Sandyground à Marigot, sur l’île de Saint-Martin, le 13 septembre.

Le flou des pertes indirectes et des infrastructures publiques

Si les bâtiments détruits sont les signes les plus visibles de la catastrophe, l’économie des deux îles sera durement et longuement touchée. Or, le régime CatNat n’assure que les pertes d’exploitation pour les entreprises directement touchées par Irma. « Par exemple, un commerce inondé sera indemnisé, mais si un hôtel subit une perte de fréquentation à cause d’une route ou d’un aéroport fermé, il ne sera pas couvert car c’est une perte indirecte », précise David Moncoulon. Dans le secteur du tourisme, la perte d’image sera dure à évaluer. Quant aux champs de canne à sucre ou aux bananeraies balayés par les vents, ils sont soumis à un régime différent, la calamité agricole, déclenché par le ministère de l’agriculture.

Autre inconnue du bilan d’Irma : le montant des dommages aux bâtiments et infrastructures publics. Une semaine après l’ouragan, l’eau n’était plus potable à Saint-Martin, et les deux tiers des habitants étaient privés d’électricité. La préfecture, les écoles et l’hôpital avaient été durement endommagés – or les assurances privées ne couvrent pas ces biens appartenant à l’Etat, qui est alors son propre assureur. Pour répondre à ces défis et rebâtir sur le long terme, le conseil des ministres a nommé en septembre un préfet délégué interministériel pour la reconstruction de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, Philippe Gustin.

Quelles aides complémentaires pour les sinistrés ?

Comment aider les habitants de Saint-Martin et Saint-Barthélemy qui ont perdu leur logement ou qui sont au chômage technique ? Dans la foulée de l’ouragan, le gouvernement a mis en place une série d’aides d’urgence pour les entreprises (moratoire social et fiscal sur les dettes jusqu’en novembre 2018, aide au redémarrage de 1 000 à 10 000 euros et prise en charge du chômage partiel) et les particuliers (assistance financière aux familles modestes de 300 euros par adulte et 100 euros par enfant sous la forme de cartes prépayées).

Il existe par ailleurs déjà un fonds de secours pour l’outre-mer, créé en 1976 et alimenté par l’Etat, qui est justement destiné aux particuliers, entreprises artisanales ou familiales, exploitants agricoles ou aux collectivités locales pour leur patrimoine non assurable. Il a ainsi versé 3 millions d’euros aux agriculteurs touchés par le cyclone Gaël à la Réunion en 2007.

Au total, la somme globale investie par l’Etat dans le dispositif d’urgence et de reconstruction devrait avoisiner les 370 millions d’euros, auquel s’ajoutent 125 millions du Fonds de solidarité de l’Union européenne.

Pour venir en aide aux sinistrés, des appels aux dons ont été lancés par les grandes associations caritatives, comme la Fondation de France, le Secours populaire ou la Croix-Rouge, qui ont envoyé des secours d’urgence sur place.

Mise à jour le 13 mars 2018, après la diffusion par les autorités d’une nouvelle estimation à 3 milliards d’euros des dégâts totaux.

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