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Les éditorialistes des grands médias sont-ils massivement pro-Macron ?

Les éditorialistes des grands médias sont-ils massivement pro-Macron ?

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Après avoir demandé aux éditorialistes de faire leur "coming out politique", et en absence de réponse, Thomas Guénolé tente d'établir une classification sur l'échiquier du débat politique français. Il explique sa démarche et ses conclusions.

Le 25 septembre sur Europe 1, dans le cadre de mon « édito Insoumis » chez Christophe Hondelatte, j’ai souligné le problème du manque de transparence des éditorialistes des médias mainstream quant à leur propre couleur politique. Aux Etats-Unis il est banal qu’un éditorialiste s’assume républicain, démocrate, libertarien, liberal, ou autre. De fait, ne pas assumer d’où l’on parle est considéré outre-Atlantique comme un manque d’honnêteté envers le public.

En France, au contraire, afficher sa couleur politique reste un grand tabou chez les éditorialistes, quand bien même en les écoutant cela relèverait de l’évidence. L’on observe très peu d’exceptions à cette règle : par exemple Eric Brunet (RMC-BFMTV), qui affiche clairement être un éditorialiste de droite ; ou Raquel Garrido* (Canal+) et moi-même (Europe 1), qui affichons clairement être des éditorialistes Insoumis.

La différence entre journaliste et éditorialiste

Précisons les termes. Un journaliste n’a pas à révéler sa couleur politique, pour deux raisons. D’abord, il est tenu par la déontologie de sa profession, notamment la Charte de Munich, d’être impartial envers les sujets qu’il traite et de rapporter l’information, ou de l’analyser, de façon non biaisée. Ensuite, tout média d’information a une ligne éditoriale, c’est-à-dire une ligne politique : par exemple, Le Figaro est un journal de droite tandis que L’Obs navigue entre sa social-démocratie originelle et, de plus en plus actuellement, une conversion au social-libéralisme. Par conséquent, ce sont les médias d’information qui doivent afficher explicitement leur couleur politique via leur ligne éditoriale, et non pas les journalistes qui travaillent pour lui. Par parenthèse, savoir cela permet de comprendre pourquoi un journaliste peut travailler pour un média de telle orientation politique alors que lui-même, comme citoyen, adhère à une autre (le cas est très courant).

En revanche, la définition même d’un éditorialiste consiste à exprimer auprès du public ses propres opinions, et non pas à faire preuve d’impartialité. Il est donc à la fois possible et rigoureusement indispensable, par transparence envers le public, que tout éditorialiste affiche explicitement sa couleur politique ; qu’il dise d’où il parle. Puisqu’au contraire, actuellement c’est l’omerta qui prévaut, j’ai demandé le 25 septembre sur Europe 1 aux principaux éditorialistes des médias dominants de faire comme moi leur « coming out politique » auprès des Français.

Alors que sur les réseaux sociaux, notamment Twitter, la plupart sont très présents et très réactifs, cette demande a eu droit à un silence assourdissant. La quasi-totalité d’entre eux n’a pas répondu. Quant aux très rares qui l’ont fait, ce fut soit pour répondre à côté (Jean-Michel Aphatie, FranceInfo, disant qu’il vote blanc alors qu’on lui demande sa couleur politique indépendamment du comportement de vote), soit pour répondre en des termes extrêmement vagues et généraux (Arnaud Leparmentier, Le Monde, alors que longtemps sa photo de bannière Twitter le montrait posant fièrement avec Angela Merkel), soit pour refuser explicitement de répondre (Thomas Legrand, France Inter).

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Confrontés au mur du silence ou à des réponses qui bottent en touche, nous en sommes donc réduits à jouer aux devinettes. C’est l’exercice auquel je me suis livré dans l’infographie qui accompagne cet article (voir ci-dessous), où j’essaye de classer politiquement les éditorialistes des médias dominants.

Classification sur l'échiquier du débat politique français

Le débat politique français est aujourd’hui en état de quadripolarisation idéologique à partir de deux clivages fondamentaux : pour ou contre ce que j’ai appelé « la mondialisation malheureuse » ; et ouvert ou fermé sur la question des minorités maghrébine et LGBT. L’on peut en déduire schématiquement quatre grands blocs qui correspondent aux grands candidats arrivés dans un mouchoir de poche autour de 20% au premier tour de la présidentielle : les altermondialistes pro-minorités (Mélenchon) ; les pro-mondialisation malheureuse pro-minorités (Macron) ; les pro-mondialisation malheureuse fermés sur la question des minorités (la droite) ; et les protectionnistes fermés sur la question des minorités (FN et Dupont-Aignan sous forme plus modérée).

En me basant sur les déclarations et positions accumulées ces dernières années par les uns et les autres, je suis donc arrivé à ce brouillon de classification des éditorialistes des médias dominants sur l’échiquier du débat politique français. N’étant pas dans la tête des uns et des autres, je précise d’emblée être totalement ouvert aux remarques pour améliorer le résultat, en particulier de la part des intéressés eux-mêmes s’ils jugent n’avoir pas été placés au bon endroit. Par ailleurs je précise, même si cela va de soi, que cette classification n’engage que moi et n’engage donc aucunement ces éditorialistes eux-mêmes.

Cliquez pour agrandir l'infographie :

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Une fois ce premier travail fait, l’on constate d’emblée ce que beaucoup parmi nous tous subodoraient déjà : alors que les quatre grands blocs sont grosso modo de poids égal dans l’électorat français, il y a embouteillage d’éditorialistes pro-mondialisation malheureuse et pro-minorités, c’est-à-dire sur la même ligne idéologique qu’Emmanuel Macron. Il n’y a pas lieu de leur en tenir reproche car chacun est libre de ses opinions politiques. En revanche, ce paysage éditorialiste massivement déséquilibré dans un sens pro-Macron confirme un problème grave : souvent surnommé « la pensée unique » ou « le cercle de la raison », il s’agit plus précisément d’un très grave manque de pluralisme et de diversité idéologique parmi les éditorialistes des médias mainstream.

En nourrissant de facto une déconnexion profonde entre cette quasi-uniformité du paysage éditorialiste et l’état de quadripolarisation du public français, cette situation contribue sans nul doute au niveau spectaculairement fort de méfiance et de rejet envers les médias mainstream dans la population, niveau qui se confirme et s’aggrave sondage après sondage. A cela deux réponses possibles : la première consiste, de la part des médias dominants en particulier audiovisuels, à diversifier d’urgence les tendances politiques de leurs éditorialistes pour coller davantage à la quadripolarisation du public ; la seconde consiste à diversifier le paysage audiovisuel lui-même, idée qui explique d’ailleurs la naissance du projet Le Média sur une ligne éditoriale altersystème.

*Notes de la rédaction : Raquel Garrido est engagée politiquement avant d'être éditorialiste.
En charge de la revue de presse mais ne travaillant pas en tant qu'éditorialiste pour France inter, Claude Askolovitch a été, à sa demande, retirée de l'infographie.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne