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Marseille

Accès handicapé : le combat kafkaïen de deux parents pour leur fils myopathe

A Marseille, la famille Somsois se bat depuis cinq ans pour installer une rampe en bas de son immeuble pour son enfant en fauteuil roulant.
par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille, photos Yohanne Lamoulere
publié le 20 octobre 2017 à 17h51

Le truc de Romain, c'est les figurines. Goldorak, Spiderman… Il y en a jusque dans la cuisine de l'appartement familial, au sixième étage de la résidence Bois-Fleury, dans le Xe arrondissement de Marseille. Les figurines, mais surtout le foot, quand même. Souvent, il joue au ballon avec ses copains en bas. Du moins quand un adulte est là pour le descendre : Romain, 9 ans, est atteint d'une myopathie et se déplace en fauteuil. Un super modèle motorisé, mais qui se heurte, à l'entrée de son bâtiment, à une volée de marches infranchissables. Il y a bien une petite pente sur le côté, mais elle est à 45 degrés, impossible pour le petit garçon de l'emprunter seul, sous peine de tomber ou de renverser son fauteuil. Ce qu'il lui faudrait, c'est une rampe moins raide avec une barrière de sécurité. Pour l'obtenir, ses parents ont entrepris des démarches il y a cinq ans. Ils ne s'imaginaient pas, à l'époque, s'engager dans un parcours délirant.

Quand les Somsois s'installent à Bois-Fleury, en 2011, Romain n'a que 2 ans. Le petit garçon, déjà en fauteuil, requiert un environnement adapté. Il faudrait investir beaucoup d'argent dans des travaux pour l'appartement, mais le prix est correct, l'école est toute proche et le collège voisin est aux normes. En prime, la résidence dispose d'un parc, parfait pour les enfants. Il y a certes l'entrée du bâtiment, pas accessible aux fauteuils roulants. «Mais dans la résidence, on a vu que d'autres pentes avaient été rectifiées, on s'est donc dit que c'était possible, raconte Florence, la mère de Romain. On pensait même que ce serait fait rapidement…» Elle envoie alors une lettre au syndic de copropriété pour que la question de la pente soit mise à l'ordre du jour de la prochaine assemblée générale des copropriétaires, qui a lieu une fois par an.

Charabia juridique

Un premier projet trop coûteux est logiquement retoqué. La famille planche alors sur un plan B : «Philippe, mon mari, est maçon, il proposait donc de faire la main-d'œuvre gratuitement, explique Florence. Au final, on arrivait à un devis de 5 000 euros, soit 150 euros par propriétaire.» Pour ne pas attendre la prochaine réunion annuelle – le dossier traîne déjà depuis trois ans et demi – Florence demande une assemblée extraordinaire en novembre 2015. Accordée : la deuxième version de la rampe est votée par 75% des propriétaires.

Photo Yohanne Lamoulere pour Libération

Gagné ? Pas encore. Six mois plus tard, le syndic reçoit une assignation en justice devant le tribunal de grande instance de Marseille d'un des propriétaires de l'immeuble. Du charabia juridique, qui laisse entendre que l'organisme n'a pas respecté la procédure, que la résolution votée n'est pas conforme. Il demande donc son annulation ainsi que le paiement de ses frais de justice, soit 2 000 euros. Pour Florence, c'est la douche froide. Refusant d'aller voir le propriétaire procédurier «par peur d'avoir de mauvaises paroles», elle décide de faire appel à un médiateur juridique. Une rencontre a lieu, mais l'homme campe sur ses positions : ce n'est pas la pente le problème, mais sa conformité. «Je ne suis pas contre, mais pas à cet endroit-là car ce n'est pas possible, vu les normes en vigueur», assure-t-il encore aujourd'hui à Libération. Et Romain, dans tout ça ? «La rampe n'est pas faite que pour lui, non ? rétorque-t-il. Il faut qu'elle soit aux normes. Alors ça suit son cours en justice.»

«Faille»

Par deux fois déjà, le procès a été repoussé, bloquant la procédure depuis maintenant dix-huit mois. Pour se faire entendre, Florence écrit à la ministre de la Famille. Qui la renvoie vers son homologue du Handicap. Qui la renvoie vers le préfet, au motif que l'affaire relève du droit privé. «La semaine où j'ai envoyé la lettre, je la vois qui intervient pour demander au CSA de réagir après l'affaire de ce type qui avait embrassé un sein dans l'émission de Hanouna. Pour ça, elle se bouge ! s'emporte Florence. Ça m'a fait fissurer…» D'autant que le préfet se déclare lui aussi impuissant, tout comme le milieu associatif. «En gros, ils m'ont dit de déménager. Mais on a un projet de vie cohérent, avec les écoles autour, la mise aux normes de l'appartement qui a coûté une fortune, le kiné au rez-de-chaussée… Tout cela rend la vie de Romain plus facile. On nous dit "c'est le droit privé", mais on voit bien qu'il y a une faille dans le dispositif : on ne vit pas dans la rue, quand même ! Il faut bien que les pouvoirs publics puissent intervenir.»

Photo Yohanne Lamoulere pour Libération

C'est ce que la justice est censée faire. Au dernier report d'audience, en septembre, Florence change de braquet. Romain doit subir une opération le mois prochain et va avoir les deux pieds plâtrés, pas question de continuer comme ça. «J'ai dit au syndic qu'il y avait urgence, ils ont alors accepté la mise en place d'une rampe provisoire, en attendant la décision du juge.» C'est ce samedi que les travaux démarrent. Pour l'occasion, Florence a organisé un grand brunch, pour remercier toutes les personnes qui l'ont soutenue, notamment à travers sa pétition en ligne qui a recueilli 51 000 signatures. Romain, lui, a invité ses copains pour un grand match de foot dans le parc. Il réfléchit encore à une façon un peu drôle de rentrer pour la première fois tout seul dans son immeuble.

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