©Vincent Isore/IP3 ; Paris, France le 15 Juin, 2017 - Conference de presse de Bpifrance pour la presentation du lancement du Fonds de Fonds Digital - Nicolas Dufourcq (President de la BPI)

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"Dans le monde de l'innovation, la guérilla, c'est la rapidité, et la rapidité, c'est le transfert de technologies", affirme Nicolas Dufourcq.

V. ISORE/IP3/MAXPPP

Bpifrance va fêter en décembre ses 5 ans. Depuis sa naissance, elle a doublé de taille, et le financement des entreprises innovantes est désormais plus aisé. Que manque-t-il aujourd'hui à la France pour qu'elle devienne réellement une "start-up nation" comme le souhaite Emmanuel Macron?

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Mais la France est déjà une start-up nation! Au premier semestre, les montants d'argent levés dans le monde des start-up ont été, pour la première fois, plus élevés en France qu'au Royaume-Uni. Nous avons le plus gros écosystème de capital-risque européen avec 90 fonds. A titre de comparaison, l'Allemagne n'en compte que 10. Enfin, nous sommes présents à toutes les étapes de la vie d'une start-up, de l'amorçage jusqu'au développement.

Alors qu'est ce qui nous manque? Deux choses. D'abord, il nous faut absolument améliorer les transferts de technologies entre les universités et les start-up. Cette étape n'est pas franchie à quelques rares exceptions près. Aujourd'hui, dans de grandes institutions de recherche, les transferts sont encore beaucoup trop longs. Et, sur ce sujet, la France est perçue comme un pays conservateur.

L'autre chantier est peut-être davantage culturel, voire sociologique: il s'agit d'améliorer notre capacité de transformer des chercheurs en entrepreneurs. Dit autrement, la culture du "J'ai envie de créer une boîte qui va devenir championne sur son secteur" n'existe pas dans le monde académique français. Il s'agit non pas de gagner des millions pour le plaisir de s'acheter une Ferrari, mais de réussir, de faire du "capital", afin que tout l'écosystème en profite.

C'est un énorme chantier. Pour cela, nous allons financer des accélérateurs dont la mission principale consistera à transformer mentalement nos chercheurs en entrepreneurs. Ces structures seront les alambics de cette mutation.

"Dans le monde de l'innovation, la guérilla, c'est la rapidité"

Sur ces chantiers, quels sont vos modèles à l'étranger?

Clairement, Israël et la Suède. Aujourd'hui, ces deux pays ont des réflexes de petite puissance et ils ont bien compris qu'ils doivent se développer dans la mondialisation en opérant des compromis par rapport à des tabous culturels importants. La France n'a pas suivi ce chemin: elle se vit encore comme une grande puissance et imagine que la propriété intellectuelle détenue par ses universités est un coffre-fort empli de lingots d'or qu'on ne peut pas céder au secteur privé.

Quand on aura intégré que nous ne sommes qu'une grosse Suède, on aura alors compris qu'on doit se battre de façon plus légère sur un mode de guérilla. Or, dans le monde de l'innovation, la guérilla, c'est la rapidité, et la rapidité, c'est le transfert de technologies. Nous pourrions imaginer la règle suivante: au bout de trois ou quatre mois après sa mise au point, une innovation pure peut quitter le monde des laboratoires et des blouses blanches.

La France souffre d'un manque d'entreprises de taille intermédiaire [ETI], qui font le succès du modèle allemand. Comment faire pour que -enfin!- nos PME grandissent?

C'est devenu l'une des missions principales de Bpifrance. Nous devons transformer la "PME d'Issoudun, dans l'Indre", en championne nationale de l'exportation. Des milliers d'entreprises ne réalisent que la moitié de leur potentiel. Mais, pour réussir la gestation de ceux qui seront les fondateurs d'un nouveau tissu d'ETI en France, il faut cocher beaucoup de cases, et cela prendra du temps.

Première brique: le champ fiscal. En cela, la suppression de l'ISF est fondamentale. Il faut permettre aux entrepreneurs d'accumuler du capital. Deuxième brique: la confiance en soi. C'est la clef pour se projeter dans l'avenir et prendre des risques. Et, comme avec les start-uppers, nous allons travailler avec les patrons de PME sur ce sujet. Troisième bloc: la responsabilité. Ces chefs d'entreprise qui ont été si peu considérés pendant des années doivent l'être aujourd'hui suffisamment pour qu'ils se sentent investis d'une responsabilité sociale, celle de grandir.

"Écrire le récit national de la PME industrielle"

Comment allez-vous vous y prendre, concrètement?

En transposant au monde de la PME la méthode qui a très bien fonctionné avec les start-up. C'est-à-dire en créant des accélérateurs de PME; le premier a vu le jour il y a deux ans et demi. Concrètement, nous sélectionnons les entreprises -d'autres peuvent évidemment se porter candidates- et leur proposons d'intégrer ce que j'appelle "le MBA" de Bpifrance. Pour 20000 euros par an, elles bénéficieront d'une mise en réseau, de missions de conseil et, avant tout, d'un audit stratégique "360 degrés".

Ce dernier donne ensuite lieu à des missions de conseil ponctuelles sur la stratégie, le marketing, le design des produits, la gestion du cash, la politique commerciale ou digitale et sur un autre enjeu clef: le management. Ce chantier-là, nous l'avons déjà effectué sur une promotion de 60 entreprises. 20 d'entre elles sont devenues des ETI en deux ans et la moitié a franchi ce cap l'année suivante. D'ici à 2020, nous allons mener ce travail auprès de 4000 PME sur tout le territoire, avec les régions et les filières industrielles.

Les gouvernements successifs ont-ils été trop attentifs aux start-up et pas assez aux dirigeants de PME industrielles?

En réalité, personne n'a jamais vraiment parlé d'eux, ne s'est intéressé à eux. Leurs difficultés n'ont pas réellement été comprises. Ils n'ont jamais été héroïsés. On leur a même laissé croire qu'ils étaient des "petits patrons", avec tout le mépris que le mot "patron" peut évoquer chez certains. Tout cela est en train d'évoluer radicalement. Ce qui signifie qu'il nous faut écrire le récit national de la PME industrielle, comme celui que nous avons tissé pour les start-up avec la French Tech.

Voilà l'ambition de la French Fab. Cela doit aller aussi avec la reconnaissance politique et sociale de la contribution de ces entreprises à la réussite collective... Rendre l'industrie sexy doit inciter les talents issus d'écoles d'ingénieurs ou de management à y faire carrière.

"La révolution numérique n'est pas chère à mettre en place"

Vous venez de publier une étude sur la digitalisation des entreprises. Votre constat est sans appel: nous n'y sommes pas du tout. La grande révolution numérique n'a pas eu lieu pour la majorité des entreprises françaises. Qu'est-ce qui pèche?

45% des patrons de PME et d'ETI que nous avons interrogés n'ont pas de vision de la transformation numérique de leur entreprise. 61% d'entre eux n'ont pas établi de feuille de route et autant n'ont pas d'outils de collecte et de valorisation des données.

Pour beaucoup, la digitalisation, ça n'est pas très différent de l'informatique. A leur décharge, on leur a longtemps parlé un langage totalement incompréhensible, un verbiage truffé d'anglicismes et d'acronymes obscurs. Il est donc temps de se mettre à hauteur d'homme. Nous devons leur faire comprendre que la révolution numérique n'est pas difficile, pas chère à mettre en place et indispensable. Là aussi, c'est notre mission.

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