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ITALIE

Italie : Silvio Berlusconi, le roi devenu faiseur de roi

Sa condamnation pour fraude fiscale, son inégibilité et ses scandales à répétition n’auront pas eu raison de lui. À 81 ans, Silvio Berlusconi, spécialiste des alliances politiques, prépare son grand retour lors des élections de mars.

Le palazzo Montecitorio, à Rome, qui abrite le parlement italien.
Le palazzo Montecitorio, à Rome, qui abrite le parlement italien. Eliana Imperato, AFP
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La carrière politique de Silvio Berlusconi s’était arrêtée en 2013. À l’époque, "Il Cavaliere", qui avait démissionné deux ans plus tôt de la présidence du Conseil, est déchu de son siège de sénateur à la suite d’une condamnation pour fraude fiscale. À ce moment précis, nombreux sont les observateurs à décréter la fin de "l’ère Berlusconi" qui a dominé la scène politique italienne depuis 1994.

Mais contre toute-attente, l’animal politique n’est pas mort. À 81 ans, et 18 mois après avoir subi une chirurgie à cœur ouvert, "Il Cavaliere" s’apprête à faire son grand retour sur la scène politique pour reconduire la droite au pouvoir à l’issue des élections générales du 4 mars. Pour cela, le leader de Forza Italia (FI) s’appuie sur une improbable coalition regroupant à la fois la Ligue du Nord, d’inspiration frontiste, et les formations de centre-droit. Cette alliance, dont il a réuni les dirigeants le 7 janvier dans sa résidence de luxe près de Milan afin de tracer les grandes lignes d’un programme commun, arrive en tête selon plusieurs sondages, sans toutefois obtenir la majorité absolue.

"Il a retrouvé sa verve politique mais pas sa force électorale"

Mais le tableau n’est pas idyllique non plus pour Berlusconi, qui doit composer avec son inéligibilité et son interdiction d'exercer dans la fonction publique jusqu’en 2019 – condamnation à laquelle il a fait appel devant la Cour européenne des droits de l'homme de l'Union européenne. "Cette fois, il peut jouer le rôle de faiseur de rois, ou être l'un des faiseurs de roi", explique Pierangelo Isernia, professeur de sciences politiques à l'Université de Sienne. "Mais il ne peut pas être roi."

Il doit aussi tenir compte de son parti quelque peu diminué. Crédité de 16 %, FI est loin des 30 % récoltés en 2001 et des 38 % en 2008. La Ligue du nord, qui n’était qu’un simple acolyte à l’époque, fait désormais jeu égal avec son allié. "Berlusconi a retrouvé sa verve politique mais pas sa force électorale", résume le professeur Paolo Feltrin de l'Université de Trieste.

"Il Cavaliere" sait qu’il a une carte à jouer puisque personne ne se pose en rival dans son propre camp, mais aussi dans les autres partis. L'ancien Premier ministre de centre-gauche Matteo Renzi, surnommé "le bagarreur", était censé envoyer la génération de Berlusconi au tapis, mais le camouflet subi lors du référendum en 2016 a compliqué la donne. Contraint à la démission, Renzi concentre aujourd’hui ses forces sur sa survie politique, et "laisse ainsi un espace qui a permis à Berlusconi de rebondir", note Paolo Feltrin.

Pourtant, sur le papier, son mouvement, le Parti démocratique (PD), compte plus de partisans que Forza Italia. Crédité de 23 %, il est aujourd’hui la deuxième force du pays, derrière le Mouvement 5 étoiles. Sauf qu’il ne dispose ni d’amis ni d’alliés, contrairement à Forza Italia. "Matteo Renzi a montré qu'il était incapable de construire des coalitions, alors que Berlusconi est un maître en la matière", commente Pierluigi Battista, éditorialiste au Corriere della Sera. "Alors que Berlusconi est toujours occupé à créer des alliances, Renzi, lui, n’a fait que créer des groupes dissidents à la gauche du PD."

"Ses électeurs n’ont que faire de sa vie privée"

Pour réussir son pari, le patron de Forza Italia va pouvoir compter sur ses partisans. "Un leader peut disparaître pendant un certain temps, mais pas sa base politique", nuance Pierluigi Battista. "Berlusconi représente une frange de la société avec ses codes et ses propres intérêts, incarnée par les travailleurs indépendants". Ce socle électoral, qui s’est pendant longtemps reposé sur la ménagère du sud scotchée aux émissions télévisées de Berlusconi, s’appuie désormais sur les petites et moyennes entreprises, base de l'économie italienne.

Pour eux, peu importe le nombre de procès dans lesquels leur champion a été mêlé. Peu importe les lois sur mesure adoptées pour protéger ses intérêts personnels ou encore les entourloupes pour étouffer le scandale du Rubygate. Les principaux électeurs du centre-droit lui sont restés fidèles. "Les électeurs de Berlusconi n’ont que faire de sa vie privée", déclare Paolo Feltrin. "Seuls les magistrats le voient comme un handicap. En fait, son mépris envers le pouvoir judiciaire lui a valu l’approbation de sa base. Il sait jouer sur le caractère des Italiens".

Lorsqu’en 2013, le patron du géant aérospatial lombard Finmeccanica a été arrêté pour avoir soudoyé des responsables indiens pour obtenir un contrat d'hélicoptère géant, Berlusconi a été le seul à avoir blâmé la justice pour avoir nui aux emplois italiens. "Parfois, vous ne pouvez tout simplement rien vendre sans pot-de-vin", avait-il fait remarquer. Berlusconi parle "alla pancia" (aux tripes) de beaucoup d’électeurs, comme diraient les Italiens. Il connaît leurs points faibles, leur méfiance vis-à-vis de l'État et leur peur d'être pris la main dans la caisse.

"Beppe Grillo, le plus effrayant des deux"

Par ailleurs, ses détracteurs ont commencé à le regarder différemment. En grande partie parce qu'ils doivent faire face à une menace plus inquiétante en la personne de Beppe Grillo. Le fondateur et leader du Mouvement 5 étoiles, qui défend le revenu universel et la lutte contre l’immigration, a menacé de convoquer un référendum sur l’abandon de l'euro. "De nombreux opposants historiques de Berlusconi, mais aussi les dirigeants étrangers comme Angela Merkel, voient maintenant Grillo comme le plus effrayant des deux", affirme Paolo Feltrin. Même l'ancien rédacteur en chef du magazine The Economist, qui estimait que Berlusconi était "incapable de diriger l'Italie", a suggéré la semaine dernière qu'il pourrait être utile pour éloigner les radicaux, en formant une "large coalition de type allemand" avec le parti de centre-gauche de Renzi.

En se positionnant comme pro-européen soucieux de préserver la monnaie unique, Silvio Berlusconi s’affiche comme le seul capable d’endiguer la vague populiste qui a balayé une grande partie de l'Occident. "Tout se joue entre nous les modérés et le mouvement populiste de Grillo", a-t-il récemment déclaré au Corriere della Sera. L’hyper-médiatique Cavaliere, qui s’est forgé une image plus sage et douce en posant aux côtés d’animaux domestiques ou des moutons sur son domaine, entend ainsi se démarquer des déclarations au vitriol de Grillo et de la Ligue du Nord.

Mais cette image aseptisée ne l’empêche pas de faire des promesses électorales à tout-va sans prendre la peine d'expliquer son financement : le doublement du minimum-retraite, qui passerait à 1 000 euros par mois, la réduction des impôts, un contrôle plus étroit de l'immigration, l'assouplissement des directives européennes et une révision de la récente réforme des retraites. "Berlusconi et ses rivaux peuvent multiplier leurs engagements puisqu’ils savent qu’ils n’auront pas à les mettre en place", souligne Pierangelo Isernia, qui rappelle que le nouveau système électoral italien, conçu pour favoriser de larges coalitions, exclut la possibilité d’avoir un seul gagnant.

Si les sondages d'opinion disent vrai, le vote du 4 mars se traduira par un Parlement sans majorité, suivi d'une négociation politique à l'ancienne pour rassembler une majorité. Mais quel que soit le résultat, une chose est certaine : Berlusconi sera au centre du jeu.

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