Comme des milliers d’enfants français que leurs parents croient autistes, le fils de Rachel, 6 ans, a été dirigé par les pouvoirs publics vers un hôpital de jour. Le personnel soignant, d’orientation psychanalytique post-freudienne, n’a pas donné de diagnostic précis.

Rachel, qui vivait dans un petit village à la périphérie de Grenoble, a voulu se rendre dans une autre institution pour faire examiner ses trois enfants. Mais l’hôpital a contacté les services sociaux, qui l’ont menacée de les lui enlever. Une experte pédopsychiatre a estimé que Rachel inventait les troubles de ses enfants pour attirer l’attention sur elle, qu’ils n’étaient pas autistes mais qu’elle voulait les faire diagnostiquer comme tels pour se rendre plus intéressante.

Les enfants de Rachel ont été placés dans des foyers. Des expertises menées ultérieurement ont reconnu qu’ils étaient bien atteints de troubles du spectre autistique, donnant raison à Rachel. Cependant, en dépit d’une bataille judiciaire très médiatisée, dans laquelle des associations de parents d’autistes ont dénoncé la “vision préhistorique de l’autisme en France”, Rachel, atteinte elle-même d’autisme Asperger, n’a toujours pas récupéré, deux ans après, la garde de ses enfants. Ils ont été maintenus en foyer avec des droits de visite limités. Les autorités locales continuent à soutenir que la décision était fondée. “J’assiste impuissante à la perte de ma famille”, a écrit Rachel après la dernière visite de ses enfants pour Noël, craignant qu’ils n’aient régressé. “Détruite je suis, détruits sont mes enfants.

D’après l’ONU, une “violation généralisée” des droits des autistes

L’“affaire Rachel”, qui passera à nouveau devant le tribunal cet été, est devenue le symbole de ce que les associations de parents appellent le “scandale d’État” du traitement des enfants autistes en France. La crise est si aiguë que le président Macron y a vu un “défi de civilisation” urgent et a promis un nouveau plan, qui sera annoncé dans quelques semaines.

Les Nations unies notent dans leur dernier rapport que les enfants autistes en France “continuent d’être soumis à des violations généralisées de leurs droits.” Ces dernières années, l’État français a été condamné à verser plusieurs centaines de milliers d’euros d’indemnités à des familles d’enfants autistes pour les “carences” de leur prise en charge.

L’ONU constate par ailleurs que la majorité des enfants autistes n’ont pas accès à une éducation classique et que beaucoup “se voient encore proposer des thérapies psychanalytiques inefficaces, une surmédication et le placement dans des hôpitaux et institutions psychiatriques”. Les parents qui s’opposent à l’institutionnalisation de leurs enfants “sont intimidés, menacés et, dans certains cas, perdent la garde de leurs enfants”. Les associations françaises sur l’autisme se plaignent que les autistes adultes ne soient pas admis en milieu hospitalier, que les enfants soient confrontés à un manque de diagnostic et que des thèses psychanalytiques post-freudiennes, basées, non pas sur l’éducation, mais sur les sentiments inconscients de l’enfant autiste envers sa mère, continuent à prévaloir en ce domaine.

Une loi de 2005 garantit la scolarisation de tous les enfants en milieu ordinaire, mais le Conseil de l’Europe reproche à la France de ne pas respecter ce droit. Des groupes de pression estiment que 20 % seulement des enfants autistes sont scolarisés, contre 70 % en Angleterre.

La France a 50 ans de retard sur le traitement de l’autisme”, affirme Sophie Janois, l’avocate de Rachel. Dans son livre, La cause des autistes, publié en janvier 2017 [aux éditions Payot & Rivages], elle pousse un cri d’alarme sur les violations des droits des autistes :

On explique aux parents que mieux vaut faire le deuil de leur enfant et accepter l’institutionnalisation. À l’origine de ce phénomène, il y a un problème culturel. La France est le dernier bastion de la psychanalyse. Dans des pays voisins, des méthodes éducatives et des thérapies comportementales sont la norme et la psychanalyse a été abandonnée il y a longtemps. En France, la psychanalyse continue d’être appliquée aux enfants autistes et enseignée dans les universités.

L’avocate raconte que les parents sont contraints de mener un combat administratif constant pour faire respecter les droits de leurs enfants : “Il y a eu des suicides chez les parents d’enfants autistes […] au moins cinq ces deux ou trois dernières années.

Le blocage des psychanalystes

L’usage de la psychanalyse post-freudienne pour traiter les enfants autistes a donné lieu à une vive polémique. Il y a 18 mois, un groupe de députés a vainement tenté de le faire interdire par la loi, en faisant valoir que la vision “obsolète” de l’autisme comme le rejet inconscient d’une “mère frigidaire” privaient les enfants d’un soutien éducatif.

Les psychanalystes, qui jouent un rôle prépondérant dans les soins de santé mentale en France, ont reproché à ce mouvement d’être “nocif” et diffamatoire. En 2012, la Haute Autorité de Santé a décrété que la psychanalyse n’était pas recommandée comme méthode de traitement exclusive des autistes en raison de l’absence de consensus sur son efficacité. Pourtant, la plupart des hôpitaux publics continuent de recourir à l’approche psychanalytique.

En 2016, les Nations unies ont par ailleurs dénoncé le “packing” — un “mauvais traitement” qui consiste à envelopper un enfant autiste dans des draps humides et froids — mais qui n’a toujours pas été interdit par la loi et serait “encore pratiqué” sur certains enfants atteints d’autisme. La ministre de la Santé de l’époque [Marisol Touraine] a émis une circulaire recommandant l’abandon d’une telle pratique.

“Autisme des pauvres et autisme des riches”

Les parents assurent qu’il y a d’excellents professionnels en France mais qu’ils sont peu nombreux et très demandés, si bien que les services sont très irréguliers en fonction des régions.

Les autorités locales me disaient : “Pourquoi tenez-vous tant à l’école ? Mettez-le dans une institution’”, raconte la mère d’un autiste de haut niveau de 7 ans qui obtient aujourd’hui de bons résultats à l’école. “En France, il y a l’autisme des pauvres et l’autisme des riches. Si je n’avais pas eu d’argent ni la capacité de me battre, mon fils aurait fini en hôpital psychiatrique.

Le fils de Catherine Chavy, Adrien, a 20 ans. Dans sa petite enfance, il a été pris en charge dans un hôpital de jour d’orientation psychanalytique. Son autisme n’a pas été diagnostiqué pendant des années. Sa mère s’est battue pour obtenir ce diagnostic et pour que son fils soit admis à l’école primaire. Elle a fini par trouver un centre appliquant des méthodes éducatives et comportementales, où Adrien s’est épanoui. Mais quand il a atteint l’âge de 15 ans, il n’y a plus eu de structure susceptible de l’accueillir. Catherine Chavy s’est organisée de manière à ce qu’il puisse rester à domicile. “Il cuisine, fait du sport et va déjeuner chez sa grand-mère. Il a une vie très agréable, il sort tous les jours. Si je ne m’étais pas débrouillée, je pense qu’il serait dans un hôpital psychiatrique pour adultes, attaché et sous médicaments, observe-t-elle. La situation [de l’autisme] en France est un scandale sanitaire et éducatif.

Des lois qui ne sont pas appliquées

Pascale Millo a créé une association pour les parents d’enfants autistes vivant en Corse. Elle a un fils de 14 ans, prénommé lui aussi Adrien, atteint d’autisme de haut niveau et de dyspraxie. Il a été placé dans un hôpital de jour pendant des années, mais n’a été diagnostiqué qu’à l’âge de 9 ans. Adrien a de bons résultats scolaires, mais, comme il est dyspraxique, sa mère a dû batailler pour qu’il puisse prendre ses notes sur un ordinateur, se chargeant elle-même de le former et de le soutenir dans ses études de crainte que, d’un mois à l’autre, le manque de moyens du système d’enseignement ne lui ferme les portes de l’école. “En théorie, la France a tout ce qu’il faut : des finances publiques et des lois pour nous protéger, dit-elle. Mais ces lois ne sont pas respectées.

Vincent Dennery, qui dirige le Collectif Autisme, espère que le plan du président Macron apportera des mesures concrètes et pratiques, et que l’éducation prendra le pas sur l’approche médicalisée. “Il y a encore des milliers d’enfants autistes dans les hôpitaux de jour alors qu’ils n’ont aucune raison d’y être, mais leurs parents n’ont pas d’autre solution”, déplore-t-il. Selon lui, la France doit changer. “Culturellement, la société française est un lieu d’exclusion. Un grand nombre des sociétés ont désinstitutionnalisé le handicap, ou la différence, et entrepris d’intégrer ceux qui en souffrent dans la vie ordinaire, mais la France n’a toujours rien fait.