Fondamental

Plagiat "massif" du sociologue Samir Amghar, spécialiste du salafisme : des institutions réagissent

Pour le livre tiré de sa thèse, le sociologue Samir Amghar a plagié plus de 70 auteurs. Interpellées sur la question de l'intégrité scientifique, des institutions réagissent. Révélations sur le blog de Dominique Leglu, directrice de la rédaction de Sciences et Avenir et de La Recherche.

Le rapport d'expertise académique au sujet du livre de Samir Amghar.

© Sciences et Avenir

Un plagiat "massif", qui touche "plus de 70 auteurs différents" : l'analyse du livre "Le salafisme aujourd'hui, mouvements sectaires en Occident" (édition Michalon, 2011) par Samir Amghar est sans appel. Le plagiat a été identifié par un groupe de chercheurs, le "Comité pour la probité des sciences sociales" ; il est révélé et explicité par la directrice de la rédaction de Sciences et Avenir Dominique Leglu dans sa nouvelle note de blog. Ce livre étant tiré de la thèse soutenue par M. Amghar, la fraude concerne aussi le travail universitaire de ce docteur en sociologie. Or cette thèse a été soutenue en 2010 à l'Ecole des Hautes études en sciences sociales que Samir Amghar a décrochée avec "mention très honorable avec félicitations du jury à l'unanimité", face à un jury constitué de sommités.

Samir Amghar a postulé au CNRS

L'EHESS a déclaré à Sciences et Avenir être au courant de la situation ; "Je vais déclencher la création d'une commission disciplinaire ad hoc lors d'un conseil d'administration", nous a expliqué le philosophe et sociologue Bruno Karsenti, vice-président du prestigieux établissement parisien. Ce dispositif aura "six mois pour statuer" : une durée bien longue aux yeux du "Comité pour la probité des sciences sociales" qui a averti voilà de longs mois maintes personnalités. La lenteur des réactions est caractéristique du comportement qui prévaut dans les affaires de plagiat : "Beaucoup ne réagissent pas et laissent faire", ce qui "ne rend pas service à la vérité scientifique" explique le "Comité...". D'autant plus que le plagiaire poursuit son propre calendrier : Samir Amghar, sollicité en raison de son "expertise" par des instances telles que la Délégation aux affaires stratégiques ou la Direction centrale du renseignement intérieur, vient de déposer en début d'année sa candidature au CNRS...

MISE À JOUR DU 23 AVRIL 2018
Plusieurs institutions ont réagi à notre enquête au sujet d'un plagiat massif, touchant plus de 70 auteurs différents, publiée le 15 mars 2018, comme vient de le préciser la nouvelle " lettre de l'Institut international de recherche et d'action sur la fraude et le plagiat académiques " (IRAFPA), publiée ce mois d'avril 2018. En premier lieu, dès le 18 mars, l'European Foundation for democracy, basée à Bruxelles, comme nous l'avions déjà signalé dans une mise à jour de l'article (voir ci-dessous).
"Puis, l'université du Québec à Chicoutimi a supprimé une vidéo de l'auteur incriminé et l'Université libre de Bruxelles supprimé sa page. Il a été suspendu temporairement de ses fonctions au sein de l'IPEV (International panel on exiting violence (1)). L'enquête de son établissement français pour vérifier la validité de son doctorat devrait commencer (2). L'université suisse où il enseignait va sans doute réagir", écrit Michelle Bergadaa, professeur à l'Université de Genève et présidente de l'IRAFPA. Signalons que l'analyse du plagiat en question avait suivi la méthodologie de l'Institut, "à savoir la procédure de prélèvement des échantillons analysés et l'application du protocole d'expertise", permettant de conclure que le rapport d'expertise "de 152 pages était fiable, valide et robuste".
Nous remerciant pour notre enquête, la présidente de l'IRAFPA souligne que "force est de constater que, sans les médias, notre volonté de promouvoir l'intégrité académique serait encore bridée". Rappelons en effet que le rapport d'expertise, communiqué dès le mois de juillet 2017 à plus de 20 personnalités, n'avait obtenu que deux réponses, avant notre publication. Coïncidence ? C'est à l'heure où les enjeux de l'intégrité académique commencent à être perçus par les institutions, que notre propre publication se voit elle-même massivement plagiée ! Ce que nous dénonçons avec la plus grande fermeté.

DJL
1) " Panel International sur la Sortie de la Violence ". Fondation Maison des sciences de l'Homme (FMSH).
2) Cf. la déclaration de Bruno Karsenti, vice-président de l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales) citée par Sciences et Avenir

MISE À JOUR DU 22 MARS 2018
"Nous avons supprimé le profil [de Samir Amghar] de notre site web […] C'est une pratique habituelle de retirer les détails sur le rôle ou la position d'une personne dans une organisation quand la réputation ou les pratiques de cette personne sont soumises à enquête pour quelque raison que ce soit". Ainsi nous a informée Roberta Bonazzi, présidente et co-fondatrice de l'European foundation for democracy (EFD), think tank basé à Bruxelles qui tenait, ce jeudi 22 mars 2018, un colloque intitulé " Deux ans après les attaques à Bruxelles. Le défi de la radicalisation djihadiste en Europe et au-delà ". Ci-dessous, la notice désormais retirée du site de l'EFD.


Une décision prise deux jours après la parution de notre enquête expliquant le plagiat massif du sociologue, suivie de l'envoi à l'EFD par le Comité pour la probité des sciences sociales de l'entièreté du rapport apportant les preuves des " emprunts illégitimes " à plus de 70 auteurs. Mme Roberta Bonazzi rappelle que cette procédure doit permettre "d'assurer que l'auteur ne puisse utiliser le nom de l'EFD de façon indésirable". Et nous a précisé qu'elle comptait, après la lourde journée du 22 mars, mener "personnellement une recherche pour établir et mieux comprendre de quoi il s'agit et s'en faire sa propre idée".
Pour l'instant, c'est la seule institution qui ait ainsi officiellement réagi. En revanche, ni l'EHESS, ni le CNRS n'ont accusé réception de cette mise en cause grave concernant l'intégrité d'un chercheur. A noter, en revanche, la réaction rapide sur Twitter de l'un des plagiés, parmi les plus connus dans le monde des spécialistes du salafisme, terrorisme et mouvements radicaux, le journaliste et consultant Romain Caillet (1) : "Je crois que l'échantillon me concernant est suffisamment parlant et ne nécessite aucun commentaire".



Dominique Leglu

1) Auteur avec Pierre Puchot de " Le combat vous a été prescrit : une histoire du jihad en France ", Stock, octobre 2017