Bastion social : les habits neufs de l'extrême droite radicale

Avec Bastion social, le GUD tente de recruter de nouvelles troupes en se lançant dans l'aide sociale discriminatoire et en fédérant des groupuscules locaux.

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La devanture du local de Chambéry, 171 avenue de Lyon. 

La devanture du local de Chambéry, 171 avenue de Lyon. 

Temps de lecture : 9 min

« Autonomie – Identité – Justice sociale ». Trois mots d'ordre pour le nouveau-né de l'extrême droite française. Ses militants l'appellent « Bastion social », mais le mouvement n'est en fait que la version 2.0 du Groupe union défense (GUD), organisation étudiante d'extrême droite connue pour ses actions violentes.

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Au mois de mai 2017, l'appellation « Bastion social » avait déjà été utilisée lorsque le GUD avait réquisitionné un bâtiment à Lyon, pour en faire un centre d'accueil « réservé aux Français de souche ». L'initiative avait suscité l'enthousiasme chez les différents groupuscules identitaires qui fleurissent dans la région lyonnaise. Edelweiss Pays de Savoie, Autour du lac… Tous étaient venus prêter main-forte aux « Gudards » qui occupaient illégalement le bâtiment, et ont finalement été expulsés. Malgré l'échec, l'action avait permis au GUD de découvrir, à travers ces petites organisations, un vivier potentiel de militants convaincus et motivés.

Le 21 novembre 2017, on apprend, dans un communiqué, « la mise en sommeil » du GUD. Quelque temps plus tard, Steven Bissuel, chef de file du mouvement, annonce que l'organisation change de nom pour devenir Bastion social. Peu à peu, la plupart des groupuscules ayant participé à l'action du mois de mai se fondent discrètement dans cette nouvelle organisation. Dans son intervention à la « XIe journée nationale et identitaire », organisée par Synthèse nationale, le 1er octobre dernier, Steven Bissuel explique le projet de ce mouvement « fédérateur » : « Trois axes d'action contre l'immigration, l'Union européenne et la préférence étrangère. » Sous couvert de nouveauté, le GUD espère grossir ses troupes en misant sur un projet social et en fédérant à travers la France différents groupuscules, souvent extrêmement radicaux. Une métamorphose en trompe l'œil.

Une aide réservée aux « Français de souche »

Aujourd'hui, le mouvement est représenté à Lyon (son siège), Strasbourg, Aix-en-Provence, Chambéry, Clermont-Ferrand, et bientôt à Marseille. À Chambéry, c'est Edelweiss Pays de Savoie, qui se proclame « Social – National – Radical », mais est connu pour sa proximité avec la sphère néonazie, qui est devenu Bastion social. Un local ouvert au 171 avenue de Lyon a été inauguré le 3 février, en présence de Steven Bissuel, et du responsable local, Florian D., étudiant scolarisé au lycée Monge de Chambéry. Une pétition en ligne, portée par Laurent Ripart, membre du NPA, est lancée pour protester contre l'ouverture du local, qui est même vandalisé par deux fois. Quelque temps plus tard, le propriétaire entame une procédure judiciaire pour résilier le bail. Fin décembre, il avait loué le local à trois jeunes se revendiquant de l'association Les petits reblochons, dont les statuts, déposés en 2013, indiquent qu'elle a vocation à « promouvoir et mettre en valeur le patrimoine culturel de Savoie ». Ils affirmaient vouloir utiliser le local pour « organiser des repas, faire des collectes de nourriture et récolter du matériel ». Aucune mention n'a été faite de Bastion social, encore moins à son idéologie. Le propriétaire estime qu'il a « été floué ».

« Les nôtres avant les autres ! » affirme Bastion social. À la manière de Casapound en Italie, qu'il cite souvent en exemple, le mouvement utilise l'aide humanitaire comme vecteur de propagande. Les militants chambériens collectent des denrées alimentaires, des jouets, des couvertures qu'ils redistribuent à des personnes dans le besoin, donnent des repas chauds à des sans-abri, à condition qu'ils soient « français de souche »… Le mot d'ordre : « Aider les nôtres par des actes concrets. » L'idée de « préférence nationale » est défendue dans les tracts distribués sur les marchés, sur les parkings et dans les rues. Le mouvement, qui communique sur ses actions via sa page Facebook (plus de 11 000 likes pour la page nationale et 1 000 pour la section de Chambéry), possède aussi un compte Twitter et un compte Instagram. Sur les trois supports, les publications restent sobres et se contentent de décrire les actions menées par les militants.

<p>Capture d'écran d'une photographie de Steven Bissuel attablé autour d'un gâteau orné d'une croix gammée.</p><section class=
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Capture d'écran d'une photographie de Steven Bissuel attablé autour d'un gâteau orné d'une croix gammée.

<p>Capture d'écran d'un sympathisant du Bastion Social. </p>

Capture d'écran d'un sympathisant du Bastion Social. 

Nazillons

Ce n'est pas le cas des membres. Racisme, antisémitisme, ode au nazisme. C'est ce que l'on trouve sur les profils Facebook des militants et sympathisants de Bastion social. À commencer par Steven Bissuel, qui apparaît, tout sourire, autour d'un gâteau d'anniversaire orné d'une croix gammée. Commentaire : « Putain il était magnifique quand même. »

Sur d'autres profils de ceux qui « likent » la page, l'un demande à ce que l'on « expulse les envahisseurs musulmans hors de nos terres d'Europe ». Un autre souhaite « défendre notre race blanche et notre civilisation » parce que « le multiculturalisme est un génocide ». En dessous d'une photo, un militant explique que, en boîte de nuit, il est « impossible de ne pas taper avec des bicots partout », tandis qu'un sympathisant, surnommé « Matt Lyon » répond aux compliments qu'on lui fait sur son interprétation des chansons « Ein Volk, ein Reich, ein Führer » (« Un peuple, un empire, un chef ») ou « Hitler Jungend » (« Les jeunesses hitlériennes »). Certains se félicitent de boire de « l'absinthe anti-juive », quand d'autres voudraient se rendre en Indonésie, où l'on peut prendre une photographie avec un mannequin d'Hitler devant Auschwitz. Entre deux citations de l'essayiste d'extrême droite Dominique Venner, Kévin J. R., un autre militant, demande à ce qu'il n'y ait « pas d'amalgame, que du napalm ».

<p>Capture d'écran du profil d'un smpathisant lyonnais du Bastion Social. </p>

Capture d'écran du profil d'un smpathisant lyonnais du Bastion Social. 

<p>Capture d'écran d'un militant du Bastion Social, de Clermont-Ferrand.</p>

Capture d'écran d'un militant du Bastion Social, de Clermont-Ferrand.

30 jours d'ITT

À Chambéry, la violence ne serait pas seulement verbale chez les militants du mouvement. Le 20 octobre dernier, une organisation d'extrême gauche organise, dans un bar, un concert de rentrée. Au milieu de la soirée, un groupe d'une quinzaine de personnes fait irruption, et attaque ceux qui étaient déjà sur place. Il y aura plusieurs blessés. Basile*, qui a reçu des coups de chaise et de ceinture, a écopé de trois jours d'incapacité temporaire de travail. Une autre personne présente a, quant à elle, été arrêtée trente jours. Camille* était aussi sur place. Ils racontent. « Ils sont venus se poster devant le bar, les bras croisés. Puis, lorsqu'on leur a demandé de partir, ça a dégénéré. On les connaît. Ce sont des membres d'Edelweiss, devenu Bastion social. On les voit souvent lors des manifestations, on voit aussi leurs photos sur leur page Facebook. » Camille et Basile citent même plusieurs noms : celui de Marc-Antoine T., une « des têtes du mouvement » ou celui de Florian D., le chef de file de la section chambérienne. « Nous sommes allés porter plainte, affirme Camille. La police a identifié huit agresseurs, tous membres de ce groupe. L'un fait même partie du 13e bataillon des chasseurs alpins de Chambéry. »

« Nous avons déjà eu des problèmes avec ce mouvement, explique Laurent Ripart, professeur à l'Université de Chambéry et membre du NPA. Des militants ont été attaqués, la fac de Chambéry a été taguée. Mais, cette fois-ci, il ne s'agissait pas d'une manifestation. Il y avait des enfants présents à ce concert. Les violences ont dépassé les simples rixes entre militants… » Sollicités à plusieurs reprises, Steven Bissuel et les membres de Bastion social Chambéry n'ont pas souhaité répondre à nos questions.

Soutien des élus du Front national

Pourtant, Bastion social bénéficie du soutien de certains élus. Au Front national, Samuel Potier (conseiller régional du Pays de Loire), Jean-François Jalkh (vice-président du parti et député européen) et Stéphane Ravier (sénateur) ont, entre autres, apporté leur soutien à la section de Strasbourg, menacée de fermeture après des violences. À Chambéry, David Berton, secrétaire FN de la 1re circonscription de Savoie « like », plus discrètement désormais, les publications Facebook de Bastion social. Quentin Collier, candidat aux élections départementales de 2015 sous l'étiquette FN et membre du SIEL, le parti souverainiste créé par Paul-Marie Couteaux, est également proche de l'organisation, selon Laurent Ripart. « C'est de notoriété publique. Il a également dirigé le service d'ordre de la Manif pour tous, lui-même composé de militants de la mouvance des jeunesses nationalistes, ancêtre d'Edelweiss et de Bastion social. Je l'y ai vu, comme beaucoup d'autres militants », affirme-t-il.

Exclu du FN en 2011 en raison de ses sympathies nazies, Alexandre Gabriac (créateur des Jeunesses nationalistes aujourd'hui dissoutes), confirme « soutenir sans réserve » l'action de Bastion social. Il est l'une des personnalités qui inspirent les militants, et a été invité à plusieurs reprises à des conférences, sur le thème de Franco notamment. Autour de Bastion social gravite ainsi une sphère, de la droite dure à l'extrême droite la plus radicale, qui réunit des élus et des militants, malgré les propos racistes, xénophobes, antisémites, proches du néonazisme tenus par les membres de l'organisation.

Une dissolution demandée « pas très efficace »

Toutefois, pour Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite, si le modèle de Bastion social s'inspire de celui de Caspound en Italie, ses chances de succès en France sont bien plus infimes. « En Italie, il existe une très ancienne tradition de la présence de l'extrême droite, y compris la plus dure, dans l'espace public. J'ai visité le local de l'équivalent du GUD, à Milan, qui avait pignon sur rue. Il y avait pourtant des épisodes de confrontation très violents avec l'extrême gauche, mais ils avaient une visibilité dans l'espace public qui n'était contestée par personne. Une chose qui, en France, serait impensable. »

Effectivement, à Chambéry, le conseil municipal a demandé, le 5 mars, la fermeture du local de Bastion social et la dissolution du mouvement au niveau national. « Qu'il s'agisse du groupuscule, des personnalités qui le composent, ou des idées propagées, rien n'était tolérable », explique Michel Dantin, maire de la ville. Louis Laugier, préfet de Savoie, attend, quant à lui, la décision de justice sur la résiliation du bail pour demander l'expulsion des militants. Bastion social n'entend pas se laisser faire. Et si la dissolution était prononcée, « elle ne serait pas très efficace », commente Jean-Yves Camus, qui affirme que « ce genre de groupuscules se reforme toujours sous un autre nom ».


*Les prénoms ont été modifiés

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Commentaires (18)

  • Tj85710

    Un peu de droite face à cette extrême gauche omniprésente çà équilibre à priori. Mais voilà. Hier je suis tombé par hasard sur un forum manifestement fortement penché de ce côté, et ce que j'y ai lu en matière de vociférations racistes m'a retourné. Je n'imaginais pas qu'aujourd'hui on pouvait encore exprimer une telle haine en des termes aussi dégradants, j'étais persuadé que depuis la fin des guerres coloniales la page était tournée.
    J'espère que ces groupes de droite affirmée sont nationalistes, certes, traditionalistes et patriotes, mais surtout qu'ils se tiennent loin des thèses inadmissibles exposées dans cet enfer de la raison.

  • Souffle la bise

    La création du Front National de Lepen.

  • cristof39

    Qu'elles soient d'extrême-droite ou d'extrême-gauche ! Elles n'engendrent toutes les deux que la violence...