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Attentat de Trèbes : la cité du terroriste, "un volcan avec beaucoup de colère"

Deux jours après les attentats de Carcassonne et de Trèbes, retour dans la cité Ozanam, où Radouane Lakdim habitait.

Rédaction JDD
Des policiers lors des perquisitions dans la cité Ozanam après les attaques terroristes
Des policiers lors des perquisitions dans la cité Ozanam après les attaques terroristes © Sipa

C’est une petite cité aux bâtiments fatigués. Deux barres d’immeubles en escalier. Des façades couleur pastel, qui passent du bleu au marron et du rouge au jaune. Des voitures sont garées en bataille devant des balcons où sont accrochés des draps et des vélos d’enfants. Une cité populaire comme tant d’autres, à taille humaine, bien loin des grands ensembles périphériques des villes françaises. Mais les deux immeubles du quartier Ozanam à Carcassonne sont désormais tristement célèbres. C’est là qu’habitait Radouane Lakdim , le terroriste qui a tué quatre personnes à Trèbes (Aude) , la petite ville située à dix minutes de là, au bout de la Route de Narbonne, en contrebas de la cité.

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Dimanche matin, de la furie de la veille, il ne reste dans la cité qu’un parking un peu plus boueux que d’habitude. Labouré par la pluie, les cars de CRS et les camions télé qui y ont défilé depuis deux jours. L’atmosphère n’est plus celle décrite quelques heures avant. Tout est calme, presque feutré. Seuls des cris d’oiseaux ou des ronflements de moteurs brisent de temps à autre un silence cotonneux. Les journalistes et les forces de l’ordre ont déserté les lieux. Il ne reste que les habitants. Très peu sortent le nez dehors. Certains sont méfiants. Beaucoup sont fatigués par les récents événements. Tous sont choqués.

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La cité Ozanam et ses environs? Deux mondes hermétiques

De part et d’autre de la cité, à trois pas, il y a des petits ensembles de pavillons coquets et de jolies maisons. Quelques mètres à peine séparent les pointes de ce triangle bigarré et pourtant, en discutant avec les gens, on a l’impression que ce sont deux mondes hermétiques.

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On m’a brûlé deux voitures. J’ai une amie qui habite le lotissement juste au-dessus. Je n’ose pas aller la voir.

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Monique*, la quarantaine, habite l’ensemble de maisons couleurs crème à volets bleus, juste à côté de la cité Ozanam. Emmitouflée dans sa veste en laine, elle discute des attentats avec une amie. "Je n’ose pas sortir de chez moi, je suis barricadée depuis deux jours, confie-t-elle. On a peur." Quand on lui demande de quoi, elle montre d’un air entendu les deux barres d’immeubles qui lui font presque de l’ombre tellement elles sont proches. "C’est tendu ici, assure-t-elle. A chaque fois qu’on passe, on se fait regarder bizarrement par les jeunes. Ils nous dévisagent de la tête aux pieds comme je ne sais pas quoi. C’est compliqué ici." Elle est là depuis six ans. "On m’a brûlé deux voitures. J’ai une amie qui habite le lotissement juste au-dessus. Je n’ose pas aller la voir."

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Le lotissement en question est à même pas trente mètres. Entre les deux, la rue Saint-Saens qui mène, dix mètres plus loin, à Ozanam. Nadine*, une retraitée aux cheveux teints sort d’une des maisons avec son chien. Elle n’est pas plus rassurée que sa voisine. "C’est tendu ici vous savez, décrit-elle. Et ça ne date pas d’il y a deux jours. Pour aller travailler, je fais un détour. Je pourrais traverser la cité, mais je préfère faire le tour."

Une cité "tranquille" et "moins pire qu'avant"

Aux dire des habitants du quartier - tout ensemble confondu -, la cité est pourtant "moins pire qu’avant". Les deux barres sont en pleine rénovation, signalée par quelques échafaudages qui ornent les bâtiments. "Franchement c’est plus aéré qu’avant", explique Jean*, qui habite un petit pavillon adjacent depuis plusieurs années. Le quinquagénaire est moins tranché que ses voisines rencontrées plus tôt. Il hausse les épaules : "Ça va, ce n’est pas non plus l’horreur. Il y a bien des jeunes qui traînent, qui fument un peu et qui font du bruit en scooter. Mais ils ne sont pas vraiment méchants." Jamais Jean n’aurait pu imaginer ce qu’il s’est passé.

"C’est tranquille ici", confirme Sami*, 48 ans. L’homme en pantalon de jogging et capuche trottine pour aller chercher un paquet de cigarettes au tabac du coin. Il est né dans la cité Ozanam. Il connait tout le monde là-bas. Y compris Radouane Lakdim. C’était un voisin. "Mais tout le monde se connait, on est tous voisins, explique-t-il. On est tombé sur le cul quand on a appris qui c’était." Daniel presse le pas. "Je n’ai pas envie de parler aux médias", prévient-t-il. Mais la tchatche prend le dessus et l’homme raconte quand même la vie de son quartier.

Des réseaux islamistes ici? "S’il y avait des gens comme ça, on les prendrait et on les mettrait dehors"

Quand il parle de Radouane Lakdim, ses yeux s’écarquillent. Il "était là, il disait bonjour, il discutait". Sami se souvient de son chien qu’il promenait régulièrement. Un pit-bull. "Mais un gentil hein, précise-t-il. Il ne mordait pas, il jouait avec les enfants." La radicalisation de son voisin? Il n’a rien vu. "Sur le cul on est tombé je vous dis", explique-t-il en haussant la voix et en séparant distinctement les syllabes. Quand on lui parle de réseaux ou de potentiels recruteurs, il n’y croit pas. "Pas ici non, tranche-t-il. Je vais même vous dire, s’il y avait des gens comme ça, on les prendrait et on les mettrait dehors."

Il enlève sa capuche et se caresse le crâne avant de poursuivre : "Personne ne se doutait. Il amenait sa petite soeur à l’école, on se croisait sur le chemin quand j’y emmenais mes enfants." Avant de partir, pour de bon cette fois-ci, il tient à répéter une chose. "Ici c’est tranquille hein. Vous pensez qu’il y aurait autant d’hôtels autour si ça craignait ?"

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On a l’habitude de dire qu’Ozanam est un volcan. Il y a beaucoup de colère

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Ozanam est sur la rue qui mène à la Cité de Carcassonne, l’hyper-centre touristique entouré des remparts du château. C’est à une dizaine de minutes à pied. A deux cents mètres, il y a effectivement deux ensembles hôteliers et plusieurs autres sur la route. "Oui enfin, c’est quand même pas la même chose, rectifie une femme qui visite sa mère qui vit dans l’une des deux barres de la cité. On a l’habitude de dire qu’Ozanam est un volcan. Il y a beaucoup de colère. Ça se sent." Elle ne dit pas ça pour Radouane Lakdim, la jeune femme ne l’a jamais vu.

Une crainte : qu'on les assimile tous à Radouane Lakdim

Karim*, la vingtaine, qui vient régulièrement voir des copains à Ozanam, lui le connaissait. "Enfin, je suis surtout un ami de ses amis. Mais je savais très bien qui c’était." Il n’en revient pas. "Comment on aurait pu se doute ? Il était normal et tout." Il réajuste sa casquette floquée FC Barcelone, assortie à son jogging bleu. "On ne pensait pas que ça viendrait jusqu’ici. A Carcassonne quoi. J’y crois toujours pas." Il avait une amie qui était dans le Super U lors de la prise d’otage. "Nous aussi, nous avons eu peur, relate-t-il. Ça touche tout le monde ce terrorisme de merde. Quand on sait qu’il était parmi nous, ça fait peur."

Le jeune homme est d’ailleurs inquiet. Il craint une chose. Qu’on les assimile tous à Radouane Lakdim. Karim est musulman, "pas pratiquant" mais "ça suffit à ce que les gens se fassent des films". "Vous savez, Carcassonne, c’est une ville un peu FN [20% au second tour de la municipale de 2014]. Je vois déjà le regard des gens changer." Il raconte que le lendemain des tueries, samedi, il est allé voir un copain pas loin de Trèbes. Il jure qu’on l’a dévisagé avec méfiance, chose qui n’arrivait pas "ou pas souvent" avant l’attentat. En secouant la tête, le jeune homme marmonne. "On pensait pas que ça arriverait ici quand même."

*Tous les prénoms ont été modifiés à la demande des habitants

Par Pierre Bafoil, à Carcassonne (Aude)

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