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Politique

Françoise Nyssen : "Je découvre le théâtre de la politique, c'est d'une violence"

Editrice reconnue entrée en politique, la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, cible de nombreuses critiques, peine à s’habituer à sa "stupéfiante" violence. 

Anna Cabana , Mis à jour le
Françoise Nyssen, ici à Nogent-sur-Seine, est très critiquée
Françoise Nyssen, ici à Nogent-sur-Seine, est très critiquée © Sipa

C’est bien simple : aucun ministre ne suscite, à Paris (comprenez : le petit monde des conseillers ministériels et des députés, celui de la culture, celui de la presse), plus d’exclamations navrées que Françoise Nyssen . "C’est faible et ça n’imprime pas ; il y a un côté dévitalisé", se désole un proche du Premier ministre. "C’est quelqu’un de bien mais elle n’est pas à sa place", cingle un éditeur – l’ancien job de notre ministre de la Culture, qui alors était appréciée de ses pairs. Et un parlementaire de porter le coup de grâce : "Elle ne sait même pas répondre à une question!" Il en veut pour preuve l’interview que François Nyssen a accordée à Nicolas Demorand sur France Inter début mars : ce matin-là, qu’elle fût interrogée sur l’avenir du service public, le statut d’écrivain, la destination du passeport culturel ou les différences de traitements entre les femmes et les hommes dans les milieux culturels, elle répondit à chaque fois : "Je vais y réfléchir" ; "l’important, c’est de réfléchir" ; "c’est à réfléchir" ; "il faudra prendre le temps d’y réfléchir" ; "nous engageons à ce sujet une grande réflexion". De quoi précipiter – au sens chimique - le processus de dénigrement.

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La répartie est l'une des premières qualités attendues chez une personnalité publique, a fortiori politique. "Le trait d'esprit est une exigence française, relève un de ses intimes. Françoise est belge. Elle a même des origines scandinaves. Elle a une grande honnêteté, un grand dévouement, un grand sens du bien public. Eh oui, vous avez une ministre de type scandinave. Il y a comme un choc des cultures. En norvégien, Nyssen signifie “fils de la nouvelle lune”." De là à dire que la dame est dans la lune… Elle est ailleurs, en tout cas. Pas exactement sur cette terre politique qui vit François Hollande donner en août 2014 ce conseil à une Fleur Pellerin par lui tout juste nommée Rue de Valois : "Premier rendez-vous à avoir, c'est Jack [Lang]. Va au spectacle, tous les soirs, il faut que tu te tapes ça. Et dis que c'est bien, que c'est beau…"

Des interviews et des interventions à l'Assemblée qui se passent mal

Nyssen, elle, dit ce qu'elle pense. "Je peux parler sans angoisse quand je suis sur mon sujet. C'est autre chose quand je suis derrière un micro et que je me demande pourquoi le journaliste me pose cette question bizarre, et que je regarde vers le haut, nous confie-t-elle. Oui, dans ce cas, je suis sans voix. Je dis 'je réfléchis'. La honte, quoi!" Elle pique du nez dans son taboulé au souvenir de sa déconfiture. Ça n'a pas arrangé l'idée qu'elle se fait des médias – parisiens, s'entend. "Je ne me dérobe pas, sauf à des émissions télé. Excepté France 3 Régions et France Bleu, à chaque déplacement. Mais pas d'émissions politiques. Je préfère ne pas le faire." On lui dit qu'il faudra bien en passer par là. Ses mains s'attrapent, se lâchent. "Ça peut se travailler, je vais travailler, tous les jours, on apprend." Soupir.

C'en est au point où elle en vient à préférer les questions d'actualité à l'Assemblée nationale. Et pourtant, c'est peu dire que cette arène – elle s'est fait brocarder pour y avoir arboré un pull de Noël gentiment ringard un jour de la fin décembre – l'horrifie. Il faut l'entendre vous le raconter : "Tout à coup, je découvre le théâtre de la politique. C'est d'une violence… Stupéfiant. Je n'imaginais pas que c'était possible, qu'on puisse interrompre comme ça, ne pas écouter, être insultant. C'est étonnant." Elle retient ses mots. Serre les dents.

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Les limites du gouvernement d'experts?

Ce soir-là, lorsqu'on l'a rejointe, elle donnait une petite réception avec des gens de cinéma, Festival de Cannes oblige. Ballerines noires plates, tailleur-pantacourt noir sur un tee-shirt clair, pas de collier, pas de boucles d'oreilles, seulement quelques bracelets à fils autour du poignet, sa raie sur le côté fait de la résistance. Elle ne cherche pas à faire des effets, Nyssen. Il suffit de voir la voiture de ministre qu'elle s'est choisie, une petite Zoé électrique qui ne ressemble à rien.

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La question du bonheur est difficile pour moi, et en même temps, il me donne de la force

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"Françoise est très sympathique, très humaine, elle s'exprime, elle n'est pas muette, témoigne une de ses collègues ministres. Mais elle a une personnalité très réservée. Et elle était tellement éloignée des us et coutumes de la vie politique…" Toucherait-on aux limites du gouvernement d'experts voulu par Emmanuel Macron? Car experte, elle l'est. Mais politique? Elle, qui ne jure que par "la culture au plus près de chez vous" et est blessée par l'"ingratitude" de Paris, aurait pu être une carte anti parisianiste de Macron – lequel en aurait bien besoin. Mais voilà : il faudrait ­porter le fer.

Pour Nyssen, Edouard Philippe est "un grand homme politique"

Estime-t-elle être devenue une femme politique? Sa fourchette allait faire un sort à un morceau de poulet, elle s'arrête net. ­Nyssen rend une inspiration. "Oui." Une autre inspiration. "Je mène une politique. J'aime faire. Mais je ne suis pas une femme politique au sens du pouvoir et de l'aura." Ce qui est amusant, toutefois, c'est combien elle admire ceux qui en ont. "Edouard Philippe est un grand homme politique. C'est quelqu'un d'élégant. Il a la parole posée. A ­l'Assemblée, on sent qu'il n'a pas d'angoisse. Lui, il est excellent ­orateur." Tout est dans le "lui". Comment cela se passe-t-il entre elle et lui? on demande. "Charming." Le mot a fusé ; elle rit. On découvre qu'elle a des fossettes. C'est vrai qu'elle est sympathique. Quand elle parle de Macron, elle est carrément bouleversante. "Quand on est face à lui et qu'on voit son regard, on a le sentiment qu'il voit le monde tel qu'il va devenir. Il a une vision. J'ai eu un enfant précoce, il y avait ça dans son regard, le fait de voir devant…" Après le dîner, elle nous entraîne dans son bureau pour nous montrer un tableau de son fils Antoine au-dessus de la cheminée. Et une carte avec un autre tableau – de la même série – posée tout contre son ordinateur. "Il avait 16 ans et demi", précise-t-elle en nous tendant une photo de cet enfant qui mit fin à ses jours en 2012, à l'âge de 18 ans. "La question du bonheur est difficile pour moi, et en même temps, il me donne de la force."

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On va peut-être s'habituer à moi

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"Une force de cheval", complète un ami. Et un relativisme très résilient. "A la fin de la journée, je vais retrouver un lit, et le matin je prends une douche. Ce n'est pas le cas de tout le monde sur terre. J'y pense souvent." Ne regrette-t-elle pas sa vie d'éditrice? "Non. J'y vais à fond. Tous les jours, on a un lot de questions qui se posent, des petites et des grandes, des petits problèmes, des gros problèmes, des petites catastrophes, des grosses catastrophes." Un joli rire jaillit. "Faut s'y confronter, faut se les peler." Diantre. Elle est définitivement belge… A cet instant, elle rappelle qu'"au tout début d'Actes Sud il y a eu des moments difficiles, on [lui] a cherché des poux, parce que quand on n'est pas dans les normes, on vous trouve bizarre". Elle effleure ses lunettes. "On va peut-être s'habituer à moi." Résiliente, vous dit-on. 

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