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Des lunettes pour daltoniens, efficaces?

Une paire de lunettes foncées EnChroma déposées sur son étui et sur deux cercles d'un test d'Ishihara.

Une paire de lunettes EnChroma testée à l'UQAM

Photo : Radio-Canada / Martin Thibault

Radio-Canada

Depuis 2010, la compagnie américaine EnChroma vend des lunettes pouvant « améliorer la vision des couleurs » pour les daltoniens. Des chercheurs montréalais remettent toutefois en question les bienfaits de ces lunettes. L'entreprise, elle, s'attaque à la méthodologie employée.

Un texte de Jean-Philippe Guilbault

La vidéo produite par EnChroma montrant, entre autres, une femme pleurer après avoir vu les couleurs pour la première fois a fait le tour du monde.

Sur Facebook, elle a été vue plus de 600 000 fois. S’y enchaînent des réactions très enjouées de personnes essayant les lunettes pour la première fois.

La semaine des sciences

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« Mon professeur a été exposé aux vidéos qu’il y a sur Internet avec les lunettes EnChroma, raconte Kevin Bastien, étudiant au doctorat en neuropsychologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il a été sceptique dès le début. Il a commandé les lunettes et il m’a proposé de faire l’étude. »

Une équipe de quatre chercheurs a été formée et neuf participants daltoniens ont été recrutés pour effectuer divers tests avec les lunettes EnChroma.

En fait, 8 % des hommes sont daltoniens. Cette anomalie génétique n’affecte que 0,5 % des femmes.

Comment fonctionnent ces lunettes?

Certaines formes de daltonisme sont causées par un dysfonctionnement des cônes, des photorécepteurs chargés de distinguer les couleurs.

Les cônes traitant le vert et le rouge peuvent capter simultanément les ondes lumineuses qui doivent normalement être traitées séparément. Les lunettes d’EnChroma viennent filtrer ces ondes lumineuses pour réduire le risque de confusion entre les deux types de cônes.

« Ça va aider à saturer les couleurs surtout vertes, rouges et bleues, et c’est ce qui donne l’impression aux personnes daltoniennes qu’elles voient mieux les couleurs », explique M. Bastien.

Portrait de Kevin Bastien, souriant, devant un test de vision des lettres de l'alphabet de différentes tailles

Kevin Bastien, chercheur à l'UQAM

Photo : Radio-Canada / Martin Thibault

Au moment de commencer ses travaux, l’équipe de Kevin Bastien était la première à s’intéresser aux lunettes produites par la compagnie américaine. « Même la compagnie n’a pas publié les résultats de ses recherches. Aucune autre étude indépendante. »

Depuis, d’autres chercheurs ont publié des résultats semblables à ceux de l’équipe montréalaise.

C’est l’absence de résultats publiés par EnChroma qui a mis la puce à l’oreille des chercheurs sur la possibilité que le remède proposé n’était pas si miraculeux. « Quand tu vas sur le site Internet, au début c’est vraiment beau, c’est présenté comme une solution pratiquement miracle, mais plus tu avances dans le site et plus ils deviennent prudents. »

Selon EnChroma, les lunettes ont un effet pour en moyenne quatre personnes sur cinq ayant de la difficulté à distinguer le rouge et le vert. La compagnie précise toutefois qu’il ne s’agit pas d’un remède au daltonisme et que les résultats peuvent varier selon le degré de sévérité du daltonisme chez différentes personnes.

Résultats peu surprenants

En plus de l’essai des différentes lunettes d’EnChroma par neuf personnes daltoniennes, les chercheurs ont effectué des tests optiques sur celles-ci.

« Les mesures optiques ont révélé que les lunettes filtrent les ondes jaunes et cyan, ce qui permet de saturer certaines couleurs », résume M. Bastien.

Cette première découverte a légèrement ébranlé le scepticisme du chercheur. « Il y a un moment où j’ai fini par y croire. Je me suis dit : “si ça sature les couleurs, ça doit probablement les aider”. Sauf qu’on s’est rendu compte avec les tests pseudo-isochromatiques que oui, ça les aidait pour certaines couleurs, mais ça leur nuisait pour d’autres. »

Qu’est-ce qu’un test pseudo-isochromatique?

Le plus connu de ces tests est sans doute celui d’Ishihara : plusieurs points de couleurs à l’intérieur desquels se cache un chiffre que les personnes avec une vision normale peuvent voir, mais que les daltoniens ne peuvent percevoir correctement.

D’autres variantes de ce genre d’exercice existent et d’autres tests peuvent aussi être utilisés pour mieux cerner le type de daltonisme des patients, dont celui de Farnsworth, qui consiste à classer en ordre des pastilles de différentes teintes d’une même couleur.

Si la saturation de certaines couleurs les rend plus éclatantes aux yeux des daltoniens, cela se fait au détriment d’autres couleurs, selon les résultats de l’étude.

Ça déplace la déficience.

Une citation de Kevin Bastien, étudiant au doctorat en neuropsychologie à l'UQAM

Les participants à l’étude faisaient autant d’erreurs lors des tests pseudo-isochromatiques avec les lunettes que sans les lunettes. De plus, les chercheurs ont réalisé qu’une fois munis des lunettes EnChroma, les daltoniens n’étaient pas plus en mesure d’identifier avec certitude les couleurs présentées.

« Les personnes daltoniennes ont appris toute leur vie à associer le rouge à ce qu’ils percevaient comme étant rouge, explique le chercheur. Donc en introduisant les lunettes, on créait de la confusion : ils n’étaient plus capables de nommer avec précision les couleurs. »

Une méthodologie qui fait défaut, selon EnChroma

Après avoir pris connaissance d'un résumé de l'étude des chercheurs montréalais, la compagnie américaine a précisé par courriel que son produit « n'était pas un remède pour le daltonisme et qu'il n'est pas vendu comme en étant un ».

« Les lunettes sont conçues pour aider à mieux voir les couleurs dans des situations communes dans le vrai monde, comme apprécier un paysage extérieur, explique le président de l'entreprise, Andy Schmeder. Les résultats peuvent cependant varier selon les situations et il est important de suivre les instructions pour de meilleurs résultats. »

Selon M. Schmeder, l'équipe de chercheurs montréalais a utilisé une lumière monochromatique pour tester les lunettes, un type de lumière « très rare » dans un environnement naturel. Le président d'EnChroma se dit donc « surpris » que les chercheurs utilisent ces résultats pour prouver que les lunettes ne fonctionnent pas.

Les résultats de la recherche seront présentés dans le cadre du 86e congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS) qui a lieu à l’Université du Québec à Chicoutimi.

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