La chasse aux talents fait rage dans la jungle des technologies décentralisées, où on bombarde les candidats à coup de bonus à sept chiffres.

«La plupart des développeurs sont déjà millionnaires», affirme au Wall Street Journal le patron de Blockchain Studios, une start-up hongkongaise spécialisée dans le jeu vidéo.

Si la déclaration semble gonflée aux hormones marketing, elle reflète une situation problématique bien réelle pour cette niche techno en pleine croissance: le manque de main-d’œuvre qualifiée.

Suivant la logique de marché, cette rareté pousse les employeurs à étoffer leurs offres salariales. Mais dans des proportions désormais insensées. On en mesure la dimension avec l’anecdote des développeurs de l’entreprise américaine Ripple (connue pour sa cryptomonnaie du même nom, 3è au rang des capitalisations).

Toujours selon le quotidien new-yorkais, deux membres de l’équipe de cryptographie de Ripple ont reçu des propositions de bonus à hauteur d’un million de dollars chacune.

C’est que l’argent inonde le secteur, par des canaux traditionnels en provenance des «risqueurs de capitaux» mais aussi simultanément par le biais des ICO.

Selon le site anglais CoinSchedule, 995 millions $ ont été récoltés rien qu’au mois de mai grâce à ces émissions de tokens, portant à 7,7 milliards le montant global de ce nouveau genre de financement en 2018.

Ajoutons à cela l’intérêt grandissant d’acteurs majeurs pour la chaîne de blocs, à l’instar d’IBM ou de Facebook, et les prévisions d’investissement qui l’accompagnent.

deloitte consensus 2018

Au Canada, 18% des sociétés envisagent d’investir plus de 10 millions $ dans une technologie blockchain dès l’an prochain, contre 13% aux États-Unis ou 20% en France, selon une étude de Deloitte présentée quelques jours auparavant au sommet Consensus 2018. 

La tendance passerait ainsi du «tourisme de la blockchain» à une étude de rentabilité de ses possibles applications, 74% des entreprises sondées y percevant désormais une opportunité d’affaires «convaincante».

La bulle des offres

Les sites d’emplois grouillent dès lors d’avis de postes vacants où se mêlent les mots «blockchain», «cryptomonnaies» et même «bitcoin». La tendance n’a rien d’inédit en soi mais son accélération décoiffe.

Des milliers d’occurrences apparaissent désormais sur LinkedIn après une simple recherche. Les programmeurs n’ont pas le monopole. Les «consultants», «architectes de solutions», «ingénieurs en sécurité» et autres commerciaux se montrent très recherchés, de Montréal à Saint-Jean de Terre-Neuve et au-delà.

À l’inverse, certains profils professionnels se voient maquillés en saupoudrant un peu de crypto par-ci et décentralisation par-là, recyclant à l’échelle individuelle la stratégie de sociétés cotées en Bourse qui n’ont pas réellement pivoté leur modèle d’affaires.

Car la demande apparemment insatiable en talents se veut globale et les conditions de travail alléchantes. Au point que des portails d’emplois dédiés à la crypto ont à présent pignon sur rue (pensons au centre de carrière de CoinDesk) et des foires à l’embauche attirent les foules, avec des salaires annuels d’au moins 100 000 $US.

Quelle ironie du sort quand on pense aux racines de la blockchain, Bitcoin, qui doit son existence au dévouement bénévole de développeurs depuis maintenant dix ans et pour lesquels la rémunération des efforts d’ingéniosité paraît encore complètement dérisoire, malgré un BTC à plus de 7000$ l’unité.

D’ailleurs, les start-up fondées sur la blockchain, des plus petites pousses aux plus fougueuses licornes, et les géants d’internet devront se désolidariser de la marchandisation de «cette technologie permettant aux citoyens de s’émanciper», pour reprendre le credo récemment établi par le Parlement européen, alors que l’UE pourrait investir plus de 500 millions $ dans des projets liés à la chaîne de blocs d’ici 2020.

«La blockchain devrait changer notre qualité de vie, soutenir les PME et améliorer les modèles économiques de la plupart des industries», a souligné Eva Kaili, députée européenne et rapporteure au Comité de l’industrie du parlement.

Compétitivité internationale

china hangzhou blockchain industrial park
(Bytom.io / Twitter)

Pour passer des paroles opportunistes aux actes stratégiques, le monde politique pense alors mettre la main au portefeuille. Chez nous, la Coalition Avenir Québec proposait dernièrement de réserver un bloc d’énergie aux entreprises qui souhaitent développer un écosystème relié à la chaîne de blocs.

«Le ministre Pierre Moreau laisse passer des projets d’investissement importants pour la province. Il doit avoir une vision, voir l’opportunité que représente ce marché émergeant et comprendre que le Québec possède tous les éléments nécessaires pour accueillir cette nouvelle technologie, tout en écoulant nos surplus d’électricité», insistait la députée Chantal Soucy, porte-parole dela CAQ en matière d’énergie (et ancienne coordinatrice en gestion de contrats pour Hydro-Québec).

Pendant ce temps-là, à deux heures de route de Shanghai, un parc industriel dédié à la blockchain sort de terre. La ville de Hangzhou veut le transformer en aimant à talents et start-up spécialisées au renfort de plantureuses subventions.

Selon la maturité des groupes qui rejoindront ce complexe, la nouvelle mesure politique accorde  jusqu’à 490 000 dollars américains de prime de réinstallation et 1 million $ pour la recherche et le développement.

Par delà les moyens financiers, ne perdons pas de vue que l’avenir des entreprises blockchain réside dans les solutions qu’elles créeront pour surmonter d’imposants obstacles techniques, avec des développeurs coopérant pour en assurer la pérennité.

〉 Article «Il pleut de l’argent sur les développeurs blockchain» paru initialement sur le blog Mine de rien, du journal Les Affaires.

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