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Un commissaire européen a-t-il vraiment dit que «Les marchés financiers apprendront aux Italiens à voter» ?

Le commissaire européen au budget Günther Oettinger n'a pas dit cela, même si ses propos peuvent s'en rapprocher. Il s'en est d'ailleurs excusé.
par Fabien Leboucq
publié le 4 juin 2018 à 15h45

Question posée par le 03/06/2018

Bonjour,

Votre question fait suite à la déclaration de Marine Le Pen, la présidente du Front national, sur le plateau du Grand Jury, le dimanche 3 juin.

En Italie, un commissaire européen, […] est venu dire «les marchés financiers apprendront aux Italiens à bien voter».

Ce à quoi le journaliste de RTL Benjamin Sportouch objecte : «Il ne l'a pas dit exactement comme ça. C'est une simplification qui a été faite sur Twitter. […]» Et Marine Le Pen de lui répondre : «C'est exactement le sens de ce qu'il disait.» Cet échange se déroulait le dimanche 3 juin au matin.

Dès le début d'après-midi, le site financé par le Kremlin, Sputnik, relayait les déclarations de Marine Le Pen et racontait la polémique. En fait, celle-ci date du début de la semaine. Tout part d'un tweet d'un correspondant à Bruxelles de la Deutsche Welle, la chaîne publique allemande, le mardi 29 mai à la mi-journée. On y lit :

«Les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter», m'a dit le commissaire européen [au budget Günther] Oettinger dans une interview exclusive à Strasbourg […]

Deux heures plus tard, le message est pris en photo et republié par le chef du parti d'extrême droite la Ligue du Nord, Matteo Salvini, devenu depuis ministre de l'Intérieur dans le nouveau gouvernement italien. Il évoque une «menace» de la part du commissaire européen contre les Italiens.

À lire aussi: «Matteo Salvini, nouvel homme fort de l'Italie»

De l'autre côté des Alpes, la classe politique commence rapidement à réagir aux propos d'Oettinger. Le journaliste allemand supprime le tweet, et en poste un autre :

Les marchés et une «sombre perspective» apprendront aux électeurs italiens à ne pas voter pour des partis populistes aux prochaines élections, m'a dit le commissaire européen Oettinger dans mon interview exclusive pour la Deutsch Welle à Strasbourg. «J'espère seulement que cela va jouer un rôle dans ma campagne électorale»

On remarque que la phrase «les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter», attribuée au commissaire européen, a disparu. Dans des messages suivants, le journaliste qui a commis le message polémique écrit :

J'ai mal cité le commissaire Oettinger dans mon premier tweet, c'est pour cela que je l'ai supprimé. C'était censé être un résumé rapide de l'interview. Je m'excuse pour mon erreur et la confusion suscitée. S'il vous plaît, lisez les citations traduites.

Des citations du commissaire que reproduit le journaliste en un puis deux messages sur Twitter, en anglais. Ils se traduisent ainsi :

Ce qui me préoccupe et que j'espère, c'est que dans les prochaines semaines, l'évolution des marchés, de l'économie et des bons italiens auront tellement de conséquences que cela pourrait être finalement un signal aux électeurs de ne pas voter pour les populistes de droite comme de gauche. […] Tout ce que j'espère, c'est que cela jouera un rôle dans la campagne électorale, et que cela enverra un signal de ne pas confier à des populistes de droite ou de gauche la moindre responsabilité dans un gouvernement.

Excuses

Beaucoup ont vu dans ces propos (dans la citation simplifiée par le journaliste, mais aussi dans la réponse complète) une forme d'ingérence de Günther Oettinger dans les affaires italiennes. Une heure après le tweet de Salvini qui épinglait ces déclarations, le président du Conseil européen, Donald Tusk appelle sur Twitter les «institutions européennes à respecter les électeurs : Nous sommes là pour les servir, pas pour leur faire la leçon.»

Dans la foulée, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker publie un communiqué, où il «fait part de sa conviction que le sort de l'Italie ne saurait dépendre des injonctions que pourraient lui adresser les marchés financiers», tout en espérant que «l'Italie poursuivra son parcours européen.»

Dès le soir, le commissaire Günther Oettinger se fend d'un bref communiqué en anglais et en italien :

Je respecte pleinement la volonté des électeurs, qu'ils soient de gauche, de droite ou du centre, dans tous les pays. En faisant référence à l'actuel développement des marchés en Italie, je ne voulais pas leur manquer de respect, et je présente mes excuses pour cela. L'Italie est un membre fondateur [de l'Union européenne], et a joué un rôle important dans l'intégration européenne, et j'espère que cela continuera dans cette voie.

En résumé : non, un commissaire européen n'a pas déclaré mot pour mot que «les marchés apprendront aux Italiens à (bien) voter.» Traduites intégralement par le journaliste qui l'a interviewé, ses déclarations, plus policées, vont toutefois dans le même sens: «Tout ce que j'espère, c'est que [l'évolution des marchés] jouera un rôle dans la campagne électorale [italienne], et que cela enverra une incitation à ne pas confier à des populistes de droite ou de gauche la moindre responsabilité dans un gouvernement», déclare Oettinger. Quelques heures plus tard, il s'excuse, après avoir été rabroué par les présidents de la Commission et du Conseil européen.

Pour aller plus loin :

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