Les tensions sont toujours vives en Centrafrique. Si Paris assure que la situation s'est calmée à Bangui, les observateurs, journalistes ou humanitaires sur place sont toujours témoins de violences dans la capitale et en province. Les médecins témoignent de blessures "spectaculaires", dans un pays qui a la deuxième espérance de vie la plus faible au monde, selon l'OMS.

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Depuis la flambée de violence à l'arrivée des forces Sangaris le 5 décembre dernier, Médecins Sans Frontières a soigné quelque 2000 patients en urgence à Bangui, 1000 par mois. "C'est la preuve que la violence était toujours très présente au bout de deux mois" a souligné Marie-Elisabeth Ingres, chef de mission en Centrafrique pour Médecins sans frontières, lors d'une conférence de presse. "Il y a eu un changement dans la nature des blessures. En décembre, il s'agissait de blessures par balles sur des hommes, surtout des combattants. En janvier, on a eu du mal à faire la distinction entre groupes armés et civils, les victimes étaient blessées à l'arme blanche, à la machette". La violence, résultant d'abord des affrontements entre ex-Séléka -le mouvement armé dit "musulman"- et milices anti-balakas -souvent décrites comme "chrétiennes"-, s'est centrée contre la population musulmane ou assimilée comme telle. Une spirale de vengeance dans laquelle les blessures montraient l'envie de tuer, selon les médecins.


La violence change de visage

Au fil des mois, l'insécurité demeure. Pour les médecins de MSF, qui relatent une situation et des blessures "jamais vues", l'accès aux blessés est particulièrement compliqué. Des centaines de milliers de personnes ont fui dans la brousse et sont difficiles à localiser. A Bangui ou en province, le transfert des patients musulmans vers les hôpitaux est rendu quasiment impossible par les milices anti-balakas. Les médecins musulmans, à la fois victimes et acteurs de l'aide, ont quitté le pays.

En février et mars, l'ONG a constaté une diminution du nombre des prises en charge. Pas de quoi souffler pour autant. "A Bangui, il y a aujourd'hui moins de ciblage des musulmans parce qu'il y a moins de musulmans" constate Marie-Noëlle Rodrigue, directrice des opérations pour MSF, "mais la violence devient criminelle, on est dans de la prédation des ressources". Et les musulmans, à Bangui ou dans d'autres villes à l'ouest du pays comme Bossangoa, Carnot ou Bouar, restent retranchés dans des enclaves et toujours harcelés. "S'ils sortent, ils sont tués" lâche Marie-Elisabeth Ingres.

Des années de crise

MSF s'inquiète particulièrement pour l'avenir, notamment parce que la situation n'est pas passagère. "La crise en Centrafrique est là depuis plusieurs années, mais elle est restée silencieuse. Il n'y a jamais eu de politique de médiation et de prévention des conflits" estime Marie-Elisabeth Ingres. En 2011 déjà, MSF alertait sur un taux de mortalité au-delà du "seuil d'urgence" à partir duquel on parle de crise humanitaire. L'accès aux soins contre le paludisme, première cause de mortalité, n'est pas assuré.

Selon des chiffres de l'ONU publiés en janvier, 935 000 personnes étaient déplacées et 245 000 réfugiés ont quitté le pays. "En Centrafrique, les humanitaires comblent des solutions qui devraient venir du politique. Le pays fait face à une crise politique, économique et sociale profonde et ce n'est pas prêt de s'arrêter" estime Delphine Chedorge, coordinatrice d'urgence pour MSF en Centrafrique, "sur le terrain, on se sent un peu impuissants, car nous sommes limités humainement et financièrement dans notre déploiement". Beaucoup de Centrafricains restent éloignés des soins. Pour l'heure, la population vit dans la peur et cherche à subvenir à des besoins primaires. Mais c'est une population mutilée et traumatisée qui survivra à cette crise.

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