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«Je voulais enfin être libre»: le difficile parcours des demandeurs d'asile LGBT

L’ONU célèbre mercredi 20 juin la journée mondiale des réfugiés. En 2016, en France, l’Ofpra [Office français pour la protection des réfugiés et apatrides] a recensé plus de 85 000 demandes d’asile. Parmi elles, quatre à cinq mille concernent des personnes lesbiennes, gay, bi et trans. Pour obtenir une protection, elles doivent « prouver » la réalité de leur orientation sexuelle et la preuve que leur homosexualité constitue un motif de persécution dans leur pays d’origine. Une tâche compliquée pour des personnes qui se sont souvent attachées à taire leur homosexualité et leur identité.

Participant à la Gaypride de Varsovie, en Pologne.
Participant à la Gaypride de Varsovie, en Pologne. ©JANEK SKARZYNSKI/AFP
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« Si je n’étais pas venu en France, je ne sais pas si j’aurais eu la chance de dire ce que je suis. J’aurais pu vivre caché, refoulé toute ma vie. » Assis sur l’un des bancs qui entourent la Cour Carrée du Louvre, Issa Ba se remémore son parcours, son enfance en Mauritanie, ses années d’études en France puis son retour au pays en 2005 et les discriminations qu’il y subit en raison de son orientation sexuelle.

A l’époque, Issa est responsable d’une maison d’hôte. Il boit du vin, mange du porc et surtout… il aime les hommes. Interdit majeur dans la République islamique de Mauritanie. « En 7 ans, j’ai fait 24 ou 25 séjours à la prison de Kiffa. A chaque fois, je rentrais et je sortais sans qu’on me donne aucune raison », explique-t-il. Arrêté arbitrairement, régulièrement dénoncé par son entourage, Issa reçoit aussi la visite d’un responsable du culte de la ville qui lui fait savoir qu’il condamne son mode de vie. Pourtant, raconte-t-il, « je n’avais rien fait, sauf être ce que je suis ».

«Rentrer dans la norme»

En Mauritanie, où la charia s'applique, l’homosexualité est illégale. S’il n'y a pas de preuve que des personnes homosexuelles ont été condamnées récemment, l'article 308 du Code pénal précise que tout adulte musulman pris en flagrant délit d'« acte contre nature » avec un membre du même sexe peut être puni de mort par lapidation publique. « Il y a des garçons qui disparaissent parce qu’ils sont homosexuels », raconte Issa. Selon lui, les homosexuels sont à la fois menacés par l’Etat et par leur propre famille. « Certains membres de ma famille m’ont dit qu’ils préféraient me voir sous le sable enterré que vivant portant leur nom », témoigne-t-il.

En 2012, les pressions familiales pour « rentrer dans la norme » se font de plus en plus pressantes autour du jeune homme. « On m’a obligé à épouser ma cousine germaine », raconte-t-il. Sept jours après le mariage, il quitte le pays et atterrit en France pour demander l’asile politique.

Arrivée en France

« Maintenant, je peux parler de tout cela. Mais ça n’a pas toujours été aussi facile » explique Issa. Dès son arrivée en France, il se rend dans les locaux de l’Ardhis, une association spécialisée dans l’accompagnement des migrants LGBT+. « J’ai poussé les portes de l’Ardhis et je leur ai dit : "Je suis homo, je veux mes papiers, j’ai trop souffert’" », se souvient-il. L’association l’aide à constituer son dossier, qui doit contenir un récit de sa vie. « L’écriture n’a vraiment pas été facile. J’en ai pleuré des jours. J’en ai déprimé. Ça me faisait replonger dans tout ce que j’avais vécu. Tout mot dit me blessait. C’est la chose la plus difficile que j’ai vécue dans ma vie », témoigne Issa.

Issa Ba à Paris, en juin 2018.
Issa Ba à Paris, en juin 2018. Clotilde Ravel/RFI

Ensuite, il rencontre un officier de protection de l’Ofpra [Office français pour la protection des réfugiés et apatrides], chargé de vérifier la véracité du propos du demandeur, la cohérence des dates, des lieux, l’effectivité « de ses persécutions vécues ou craintes », comme le stipule la Convention de Genève.

«Prouver» son homosexualité

Si une directive européenne de 2013 interdit de poser des questions intrusives et déstabilisantes sur l’intimité des personnes, y compris des questions à caractère sexuel, « l’Ofpra demande aux demandeurs d’asile LGBT+ d’être assez explicites sur ce qui leur est arrivé, sur leur positionnement en termes d’orientation sexuelle ou d’identité de genre. Or ce sont des personnes qui vivaient dans une culture du secret en lien avec l’homosexualité et la transidentité, donc ce n’est pas évident », explique Philippe Colomb, bénévole à l’Ardhis.

D’autant que certains demandeurs d’asile homosexuels ont pu mettre en place des mécanismes de défense ou de dissimulation. « Certains peuvent avoir une femme, des enfants, réfréner des comportements, et même être notoirement homophobes. Tout un tas de barrières ont été construites et là, il faut mettre en avant qu’on est LGBT+. On se retrouve face à un problème de preuve énorme », confirme Adeline Toullier, membre de l'association Aides, qui a publié en juin un communiqué qui dénonce le traitement réservé aux demandeurs d’asile LGBT+.

Issa se souvient d’un entretien difficile : « Il y a eu des questions très dures, comme par exemple : "quand est-ce que vous vous êtes rendu compte que vous étiez homo ?" ». « La question de la prise de conscience, c’est quelque chose qui revient régulièrement, tant à l’Ofpra qu’à la CNDA [Cour nationale du droit d’asile, à laquelle les demandeurs peuvent faire appel si leur demande est rejetée par l’Ofpra] », confirme un interprète qui officie dans ces deux structures. Dans le cadre de son travail, il a déjà traduit des entretiens entre des demandeurs d’asile homosexuels et les institutions.

Des discours «décalés»

« Le problème qui peut se poser, c’est qu’on attend des homosexuels hommes qu’ils aient une connaissance des lieux fréquentés par les homosexuels dans leur pays d’origine, mais aussi un côté un peu militant, une connaissance des associations et des structures qui accueillent ou défendent les droits des homosexuels », détaille-t-il. Une demande complexe lorsque la plupart vivent cachés, dans la négation de leur identité et à mille lieues des clubs et des bars gays.

(RE)ECOUTER : La question de l'homosexualité chez les migrants

« Pour les jeunes musulmans, on attend d’eux un discours négatif par rapport à la religion, un rejet », explique également l’interprète. Pourtant, tout en sachant que certaines instances religieuses condamnent fortement l’homosexualité, certains homosexuels restent pratiquants. Une attitude « contradictoire » selon certains juges de la CNDA.

Formation aux questions de genre et de sexualité

Si les agents de l'Ofpra bénéficient d’instructions pour préparer leurs entretiens, notamment ceux qui touchent aux questions de genre et de sexualité, leurs questions et les réponses qu’ils attendent témoignent d’une certaine méconnaissance du sujet et de « stéréotypes qui ne correspondent absolument pas à la réalité des pays » selon l’interprète interrogé par RFI.

Il existe pourtant des groupes de travail autour de ce sujet et une formation a même été dispensée aux interprètes par des membres de l’Ofpra. Cependant, « les officiers qui prennent ces responsabilités n’ont pas toujours eux-mêmes la formation et la sensibilité leur permettant d’aborder la réalité de chaque pays. Ils ont souvent des discours un peu décalés » témoigne-t-il.

La question des traductions

Récemment, l'Ardhis a alerté l'Ofpra sur la question des traductions. Car si le récit rendu par les demandeurs d’asile doit impérativement être écrit en français, les entretiens peuvent être traduits. Or « certains interprètes issus du même pays que le demandeur d’asile refusent de traduire certains mots qu’ils considèrent comme étant trop tabous, ou bien déforment les questions et ne sont pas très bienveillants », détaille Philippe Colomb.

Une réalité confirmée par l’interprète. « Certains condamnent, ne comprennent pas, voire considèrent que l’homosexualité est quelque chose de malsain et ils ont du mal à mettre de côté leurs préjugés ». Pour éviter ces situations, certains requérants demandent un interprète de nationalité française pour traduire leur entretien.

En tant que francophone, Issa n’a pas eu besoin de recourir à un traducteur lors de sa demande. En 2012, au terme de son entretien, il gagne l’« intime conviction » de l’officier de protection, ce qui lui donne droit à l’asile en France. Il devrait bientôt déposer une demande de naturalisation et se dit reconnaissant envers la France de l’avoir accueilli : « cette terre m’offre la chance d’être moi-même, de dire ce que je veux dire, d’aimer qui j’ai envie d’aimer. »

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