Cédric Villani : «L’organisation du temps de travail des députés est archaïque»

L’agenda de nos parlementaires est-il surchargé ? Le député macroniste de l’Essonne, Cédric Villani, estime que le travail parlementaire pourrait être mieux organisé. Nous l’avons suivi pendant une semaine.

 Cédric Villani se rend à l’Assemblée nationale au moins trois jours par semaine.
Cédric Villani se rend à l’Assemblée nationale au moins trois jours par semaine. LP/Jean Nicholas Guillo

    Nos députés frôleraient-ils le burn-out? Même François de Rugy a sonné l'alerte : l'Assemblée nationale, qu'il préside pourtant, fonctionne mal! Des sessions qui s'enchaînent, un rythme d'enfer, des séances de nuit qui s'achèvent au petit jour… De quoi justifier la réforme du travail parlementaire examiné en commission depuis ce lundi.

    De fait quand, à 13h30 ce jour-là, il descend du train qui le ramène de Lyon à Paris, Cédric Villani, le député En Marche ! de l'Essonne, connu et reconnu par les passants grâce à sa lavallière et sa broche araignée, a déjà vécu plusieurs vies en quelques heures. Le mathématicien de 44 ans, à la réputation mondiale, avait participé, la veille et le matin encore, à un sommet sur l'intelligence artificielle, l'une de ses disciplines d'excellence et thème d'un rapport rendu récemment au Premier ministre. Dans le TGV, il a continué à travailler et dans le métro qui le conduit à l'Assemblée nationale, il répond à nos interrogations tout en prenant connaissance sur son smartphone de l'actualité…

    Député 24 heures sur 24

    Un an après son entrée au Palais-Bourbon, l'élu confie, sans aucune nostalgie : « Contrairement à mon ancienne vie de chercheur, la politique s'invite partout et tout le temps. Quand on est député, on l'est à toute heure du jour et de la nuit. Même dans la rue, on vous félicite ou on vous demande des comptes. La politique investit toute votre existence ».

    Pas de quoi pourtant fatiguer ou décourager le député. « Cédric se lève à 6 heures du matin et se couche à 2 heures », soupire l'un de ses cinq collaborateurs. « Quand on enchaîne 17 séances d'affilée à l'Assemblée, dont deux week-ends, à raison de 80 heures par semaine, on peut ressentir un peu de lassitude », reconnaît l'élu de l'Essonne qui, pour tenir le coup, « carbure » au… café crème.

    Le député se lève à 6 heures du matin et se couche à 2 heures, selon l’un de ses collaborateurs. LP/Jean Nicholas Guillo
    Le député se lève à 6 heures du matin et se couche à 2 heures, selon l’un de ses collaborateurs. LP/Jean Nicholas Guillo LP/Jean Nicholas Guillo

    Dans les coulisses de l'Assemblée

    Depuis douze mois, le brillant savant se doit aussi d'avoir les pieds sur terre, et sur le terrain. Au Palais-Bourbon, bien sûr, où il passe au moins trois jours par semaine, de l'hémicycle à la commission des Lois, de la commission d'enquête sur les black blocs au groupe de travail sur l'autisme, des auditions sur la réforme constitutionnelle à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques…

    « On croit trop souvent que notre job c'est d'être présent les mardis et mercredis après-midi aux Questions au gouvernement diffusées à la télévision, explique-t-il. Or, notre mission, c'est surtout dans les coulisses qu'elle se passe. Ce temps-là, les indicateurs d'activité qui prétendent évaluer notre productivité ne le prennent pas en compte. Cela crée des ravages pour l'image du monde politique. »

    Cédric Villani passe au moins trois jours par semaine à l’Assemblée nationale. LP/Jean Nicholas Guillo
    Cédric Villani passe au moins trois jours par semaine à l’Assemblée nationale. LP/Jean Nicholas Guillo LP/Jean Nicholas Guillo

    « Je n'ai jamais autant parlé que depuis mon élection »

    Mais une vie de député se décline aussi sur les routes de France ou de sa circonscription qu'il vient d'arpenter à pied à la rencontre des citoyens ou des militants En Marche ! Débats sur « les mathématiques à l'école », colloques sur les femmes et les sciences, conférences sur la mobilité du futur… Cédric Villani explique, échange, prend et apprend. « Je n'ai jamais autant parlé que depuis mon élection », se réjouit celui pour qui, depuis toujours, le savant doit sortir de sa tour d'ivoire et œuvrer dans la cité. C'est là la vraie raison de son engagement en politique.

    « Un député est un élu de la nation, mais il doit aussi se faire le porte-parole des territoires. Ce sont des allers-retours physiques et intellectuels permanents. Et moi, c'est l'Essonne qui me tient à cœur », insiste l'élu qui a organisé — et a participé — ce week-end à un Circo'Tour dans son « fief », avec pique-nique, activités sportives et visites de fermes.

    Le mathématicien arpente les routes de France pour rencontrer les citoyens ou les militants d’En Marche ! LP/Jean Nicholas Guillo
    Le mathématicien arpente les routes de France pour rencontrer les citoyens ou les militants d’En Marche ! LP/Jean Nicholas Guillo LP/Jean Nicholas Guillo

    Il arrive même au député de franchir les frontières. Il y a un peu plus d'une semaine, diligenté par la ministre de la Recherche, il s'est envolé pour Singapour représenter — de façon informelle — le gouvernement français à une conférence sur l'intelligence artificielle.

    Repenser l'organisation du temps de travail

    « Plus que la somme de travail, c'est surtout l'organisation du temps parlementaire qui est fouillis, archaïque, contre-productive et instable », déplore le très rationnel matheux. « On est sans arrêt en train de courir. C'est très insatisfaisant. Il nous arrive d'avoir quatre séances de nuit par semaine. Comment voulez-vous travailler de façon correcte dans ces conditions ? » Villani mise sur la prochaine réforme des institutions pour y remédier : « Il faut une refonte complète de l'organisation du temps de travail, il faut réaménager tout cela ».

    « On est sans arrêt en train de courir », déplore Cédric Villani. LP/Jean Nicholas Guillo
    « On est sans arrêt en train de courir », déplore Cédric Villani. LP/Jean Nicholas Guillo LP/Jean Nicholas Guillo

    Quant à l'utilité de sa fonction de député au sein d'une Ve République quasi monarchique ? « Elle est plus importante qu'on ne le dit. Je suis convaincu que mon rapport sur l'intelligence artificielle a nourri les réflexions du gouvernement. Tout comme les propositions de nos députés en faveur de l'intégration des réfugiés ont modifié l'équilibre général du projet de loi Asile et Immigration. »

    Cette énergie, Villani - comme tous ses collègues de la majorité, la plupart novices en politique - la puise dans une motivation intacte. Pour cet ancien soutien d'Anne Hidalgo à la mairie de Paris, le carburant, c'est… Emmanuel Macron, « un homme à l'écoute et dans l'appétit de la connaissance ».

    Et surtout, son projet, « sa vision de l'Europe, la fin du clivage droite-gauche et le rôle des experts dans la cité », s'enflamme Villani. Les deux heures par semaine (!) qu'il se réserve, il les consacre à ses deux enfants, à la rédaction de livres ou de BD, à la réalisation de DVD et à l'écoute des chansons de Catherine Ribeiro. Mille et une vies pour un salaire inférieur de moitié à celui de sa vie d'avant. Et pourtant : « Je n'exclus pas de me représenter dans quatre ans », confesse-t-il avec délectation.

    Cédric Villani en 2 x (2 + 2) dates

    • - Octobre 1973 : naissance de Cédric Villani à Brive-la-Gaillarde en Corrèze (44 ans)
    • - 1992 : entre à l’Ecole Normale Supérieure (ENS).
    • - 2009 : directeur de l’institut Henri-Poincaré, spécialisé en recherches mathématiques. Il démissionne en juin 2017, une fois élu député
    • - 2010 : remporte la médaille Fields, équivalent du prix Nobel de mathématiques. Il est notamment récompensé pour ses travaux en théorie cinétique de l’équation de Boltzmann et sur le transport optimal.
    • - 2013 : rencontre Emmanuel Macron lors d’un forum sur l’Europe.
    • - Mars 2014 : préside le comité de soutien d’Anne Hidalgo (PS) pour les élections municipales à Paris. Je ne me place « ni à gauche ni à droite, ni au centre », précise-t-il.
    • - 2015 : porte-parole du comité de soutien à l’organisation de l’exposition universelle à Paris et en France en 2025 (candidature à laquelle la France renonce en janvier dernier) dans une démarche plus globale en faveur d’une Europe fédérale.
    • - Juin 2017 : élu député de la cinquième circonscription de l’Essonne sous les couleurs de La République En Marche.