Les clés du comportement

Quand la chaleur monte à la tête

Vous vous réjouissez de voir le thermomètre monter avant les vacances ? Prudence : ce ne sera pas sans conséquence sur votre comportement…

CERVEAU & PSYCHO N° 90
Article réservé aux abonnés numériques
il fait chaud

Pour ne rien manquer de Cerveau & Psycho, inscrivez-vous à nos newsletters (gratuites)

Enfin l'été ! Fini les manteaux, terminé les soirées collé au radiateur, place au soleil. Peut-être êtes-vous déjà allongé sur votre transat, ou bien assis derrière votre bureau à rêver de la plage. Un peu de chaleur ferait tant de bien…

Certes. Mais pas seulement. La température a de multiples effets sur notre comportement, que nous ne maîtrisons pas toujours. Le langage courant ne s'y trompe pas, regorgeant d'expressions qui l'associent à l'état psychologique : « Il est chaleureux », « elle m'a chauffé les oreilles »… Or ces expressions ne sont pas que des images. Quand on se penche dessus de plus près – ce que font les spécialistes du comportement –, on s'aperçoit que la température influe sur l'agressivité, la sociabilité, la consommation…

Commençons par ce dernier aspect. Yonat Zwebner, de l'université de Jérusalem, en Israël, et ses collègues ont analysé les intentions d'achat enregistrées sur un portail internet de comparaison des prix et les ont rapprochées des données météorologiques sur une période de deux ans. Ils ont constaté que plus il fait chaud, plus les gens achètent. Montres, caméras, téléphones, peu importe que les objets concernés n'aient aucun lien avec la sensation de chaleur…

Le porte-monnaie qui chauffe

Il n'y a pas que la tendance à consommer qui augmente avec la température, mais aussi le prix que l'on est prêt à mettre. Une autre expérience a révélé que les participants acceptaient de payer plus cher un produit quand la pièce où ils se trouvaient était à 26 °C plutôt qu'à 18 °C. La différence s'élevait en moyenne à 10,4 % et montait jusqu'à 25 % pour un gel douche !

Une troisième expérience confirme cette tendance dépensière activée par la chaleur. Ces mêmes chercheurs ont trouvé que des sujets étaient prêts à payer significativement plus cher un gâteau ou un pack de piles après avoir tenu un objet chaud (ici, il s'agissait d'une poche remplie d'un gel que l'on peut chauffer ou refroidir à volonté pour soigner entorses ou contractures) plutôt que le même objet froid. Mieux : plus la chaleur de cet objet leur avait procuré des sensations agréables (ce qui était mesuré grâce à un questionnaire), plus ils étaient disposés à mettre d'argent. Selon les chercheurs, nous transférons le sentiment de plaisir procuré par la chaleur sur les produits que l'on voit.

Bien sûr, de nombreux facteurs varient conjointement avec la température, qui augmente en été, période où les vacances sont plus fréquentes et la longueur du jour supérieure. De quoi contribuer également à la bonne humeur, et donc à l'envie de consommer. Mais les expériences de laboratoire montrent un effet propre de la chaleur. N'emportez donc pas trop d'argent au bar de la plage, ou vous pourriez bien vous ruiner en tournées générales !

Le pouvoir de la tasse chaude

Le sentiment de bien-être procuré par la chaleur pousse aussi à des comportements prosociaux. Hans IJzerman et Gün Semin, de l'université d'Utrecht, aux Pays-Bas, ont montré qu'il renforce le sentiment de proximité avec nos semblables. Dans leur étude, les participants devaient penser à une personne qu'ils connaissaient et préciser à quel point elles s'en estimaient proches, à l'aide d'une échelle de cercles plus ou moins imbriqués représentant métaphoriquement leur relation à autrui. Dans le même temps, ils tenaient une boisson à la main, tantôt chaude tantôt froide. Or ils ont choisi des cercles plus imbriqués dans le premier cas.

Mais ce n'est pas tout : les psychologues américains Lawrence Williams et John Bargh ont découvert que l'on juge une même personne plus chaleureuse après avoir eu entre les mains un thé chaud plutôt qu'un thé glacé. Dans une autre expérience, ces chercheurs ont montré que la chaleur favorise aussi l'altruisme et le partage. Des participants à qui on proposait une boisson ou un bon d'achat devaient choisir s'ils gardaient le cadeau pour eux ou l'offraient à un ami. Bilan : ils étaient 54 % à décider de l'offrir quand ils avaient tenu une poche thermique chaude dans la main juste avant, contre seulement 25 % si la poche était réfrigérée. N'hésitez donc pas à vous allonger au soleil sur le sable en sortant de la baignade : non seulement vous éprouverez un délicieux frisson de plaisir, mais vous serez en plus davantage enclin à secourir vos infortunés voisins qui ont oublié leur crème solaire !

Dans ces expériences, la chaleur était communiquée via un contact avec un objet. Pour les chercheurs, cela activerait le souvenir lointain du contact maternel, doux et rassurant, ce qui accentuerait notre humeur sociable. Une autre raison de la confusion entre chaleur humaine et physique tiendrait au fait qu'une même zone cérébrale, l'insula, traite la sensation de chaleur et le sentiment de confiance, ainsi que d'autres émotions sociales. C'est peut-être aussi ce qui explique les résultats obtenus par John Bargh et Idit Shalev, de l'université de Yale, aux États-Unis, selon lesquels les personnes seules tendent à prendre des douches ou des bains plus chauds que la moyenne.

Si la chaleur favorise la sociabilité quand elle est agréable, comme lors d'un contact avec un objet chaud, elle a l'effet inverse quand elle devient étouffante. Ainsi, quand la température ambiante vire à la canicule, nous nous sentons fatigués, collants… et par conséquent irritables. Le lien entre chaleur excessive et agressivité est particulièrement bien établi, aussi bien par des recherches en laboratoire que par des études de terrain.

La simple évocation d'une température élevée semble activer des pensées agressives, comme l'ont montré les psychologues américains Nathan DeWall et Brad Bushman. Les participants de leur étude devaient lire une série de mots, en lien – ou non – avec la température, comme « bouillir », « glacé » ou « crayon ». On leur demandait ensuite d'imaginer un mot à partir de quelques lettres, soigneusement choisies pour traquer leurs pensées agressives latentes. On leur donnait par exemple les lettres « ki_ _ », susceptible d'entraîner le choix de « kill » (tuer) ou de « kiss » (embrasser). Les résultats ont montré que les participants imaginaient plus souvent un mot à connotation agressive lorsqu'ils avaient été préalablement exposés à l'idée d'une chaleur intense.

Une seconde expérience a confirmé cet effet d'amorçage. Les sujets prenaient connaissance de divers scénarios, où ils devaient estimer l'hostilité du protagoniste. Celui-ci refusait par exemple de payer son loyer tant que son propriétaire ne faisait pas repeindre son appartement. Or les participants ont jugé son attitude plus hostile quand ils avaient lu des mots en lien avec la chaleur juste avant.

Quand les esprits s'échauffent

L'agressivité induite par la chaleur ne se limite pas aux pensées, mais se traduit bien dans les comportements. John Cotton, de l'université Purdue, a épluché les statistiques policières américaines et montré une hausse spectaculaire des crimes violents, comme les agressions ou les vols avec brutalité, à partir d'environ 30 °C. C'est bien l'agressivité et non la malhonnêteté qui augmente, car aucun effet de la température sur les méfaits sans violence n'a été observé.

Les psychologues américains Robert Baron et Victoria Ransberger ont constaté un effet similaire en comptabilisant sur plusieurs années les manifestations de rue qui avaient dégénéré (c'est-à-dire ayant entraîné des jets de projectile ou des coups de feu, une agitation pendant plusieurs jours et l'intervention des forces de l'ordre). Le croisement de ces informations avec les données météorologiques locales a révélé que la fréquence de ces incidents augmentait quand il faisait chaud. Du moins jusqu'à une trentaine de degrés, après quoi elle baissait rapidement : seules 9 % des émeutes avaient ainsi lieu lorsque la température se situait entre 33 et 38 °C. Un résultat qui ne fait cependant pas l'unanimité, le psychologue américain Craig Anderson pointant des biais statistiques. Pour lui, le risque qu'une manifestation dégénère en émeute augmente continûment avec la chaleur.

La relation entre températures excessives et agressivité est en tout cas complexe, comme l'indique une autre étude, menée par Robert Baron et Paul Bell, de l'université d'État du Colorado. Les psychologues ont d'abord placé des sujets dans une pièce dont la température variait entre 18 et 34 °C. Puis ils leur ont demandé de déclencher l'envoi d'un choc électrique d'intensité variable à un autre participant – en réalité un complice des expérimentateurs, qui ne recevait bien sûr aucun courant –, sous le prétexte d'étudier les réactions physiologiques à l'électricité. Sans surprise, les participants ont choisi des chocs plus intenses quand la température était la plus élevée. Mais lorsqu'ils avaient été préalablement mis en colère (en leur disant que le complice, qu'ils avaient rencontré quelques instants auparavant, les avait trouvés immatures et d'une intelligence inférieure à la moyenne), ils se montraient moins agressifs à 34 °C qu'à 29 °C. Les auteurs de l'étude l'attribuent à un effet de saturation : quand nous sommes déjà dans un état intérieur désagréable, le surcroît d'inconfort provoqué par une chaleur excessive nous ôte l'envie de nous battre et d'attaquer, déclenchant plutôt un désir de fuir la situation détestable.

En moyenne, une chaleur excessive nous rend tout de même belliqueux. Douglas Kenrick et Steven MacFarlane, de l'université d'État de l'Arizona, ont ainsi montré qu'elle accroît notre « agressivité ordinaire ». Ils ont demandé à une jeune conductrice attendant à un feu de ne pas démarrer lorsque celui-ci passait au vert, puis ont mesuré le temps pendant lequel les automobilistes bloqués patientaient avant de klaxonner. Résultat : ceux-ci ont été bien plus prompts à manifester leur énervement lorsqu'il faisait chaud, et leurs coups de klaxon duraient alors plus longtemps.

Attention aux accidents

Une hausse de la nervosité qui n'est pas sans conséquence, car elle pousse à des comportements dangereux, comme coller au pare-chocs du conducteur qui n'aurait pas démarré assez vite. Pire, les chaleurs extrêmes ont d'autres effets néfastes sur les conducteurs, qui reportent par exemple une fatigue accrue. En 2015, une étude menée par Xavier Basagaña, du Centre de recherche en épidémiologie environnementale, à Barcelone, a alors montré que le risque d'accident de la route augmente de près de 3 % pendant les vagues de chaleur, par rapport aux jours où il fait chaud sans que ce soit excessif.

Prudence, donc, en rentrant de la plage. Et si vous êtes bloqué dans les embouteillages sous un soleil de plomb et que votre conjoint(e) ou vos enfants vous portent sur les nerfs, jetez donc un œil au thermomètre avant de les accuser de tous les maux ! Ce pourrait bien être la température et non leur comportement qui vous met le cerveau en ébullition.

nicolas-gueguen
Nicolas Guéguen

Nicolas Guéguen est enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’Université de Bretagne-Sud, et dirige le Laboratoire d’Ergonomie des systèmes, traitement de l’information et comportement (LESTIC) à Vannes. Il a été l’auteur de la rubrique Les clés du comportement dans Cerveau & Psycho.

Voir tous ses articles
Références

Y. Zwebner et al., The temperature premium : Warm temperatures increase product valuation, Journal of Consumer Psychology, vol. 24, pp. 251-259, 2013.

L. E. Williams et J. A. Bargh, Experiencing physical warmth promotes interpersonal warmth, Science, vol. 322, pp. 606-607, 2008.

C. A. Anderson, Heat and violence, Current Directions in psychological Science, vol. 10, pp. 33-38, 2001.

Sur le même sujet

Numéros sur le même sujet

Thèmes

Retour en haut de page

En kiosque actuellement