Publicité

À Paris, la maison Victor Hugo devient musée le 30 juin 1903

À gauche le portrait de Victor Hugo par Étienne Carjat et à droite vue d'une cabinet de travail du célèbre poète place des Vosges, à Paris. Rue des Archives et François Guillot/ AFP

LES ARCHIVES DU FIGARO - Le musée Victor Hugo place des Vosges est inauguré le 30 juin 1903. On doit ce magnifique projet à l'écrivain Paul Meurice, ami fidèle du poète. Retour sur la visite inaugurale de ce musée qui nous permet d'appréhender le génie de l'écrivain et de l'artiste.

«Paris possède désormais la Maison d'un des plus grands poètes de tous les temps» s'exclame le critique d'art et collectionneur Arsène Alexandre dans nos colonnes à la veille de l'inauguration de la Maison Victor Hugo.

Cet hôtel particulier de Rohan-Guéménée, construit en 1605, a été occupé au deuxième étage par Victor Hugo de 1832 à 1848. Il y a écrit quelques unes de ses plus grandes œuvres comme Ruy Blas et une grande partie des Misérables . Non loin de là, Juliette Drouet, sa fidèle maîtresse, habitait au 14 rue Sainte-Anastase.
Le 14 juin 1901, au cours du Conseil municipal de Paris, l'auteur dramatique Paul Meurice «le vénérable ami et le dépositaire de la pensée du poète» offre à Paris la maison Victor Hugo. Ainsi à l'égal des maisons de Goethe à Francfort, de Shakespeare à Strafford, Hugo sera célébré par sa maison.

«Cette maison sera un musée non d'objets plus ou moins expressifs, mais d'œuvres de la plus grande éloquence». Ce sera un musée d'art avec des collections du poète (dessins, panneaux en bois sculptés) mais également «une bibliothèque hugolienne à faire frissonner d'enthousiasme et de respect» tous les bibliophiles. On trouvera aussi une collection de tableaux signés de noms glorieux en hommage à l'illustre écrivain. Paul Meurice précise qu'avec l'accord de Georges Hugo, le petit-fils du poète, une salle mortuaire exactement reconstituée, commémora les derniers moments de l'écrivain mort avenue d'Eylau.

À l'époque, la maison est demeurée à peu près intacte, Paul Meurice se charge des frais d'aménagement et de rangement et il enrichit les collections. Prévue pour le bicentenaire de la naissance de l'écrivain le 26 février 1902, l'inauguration se fera finalement l'été 1903.

Ainsi tous ceux qui sont fidèles à sa mémoire se rassemblent le 30 juin 1903 pour rouvrir les portes de la maison de la place des Vosges. Plus de trois cents invités sont là. La cérémonie est émouvante: l'assistance applaudit M. Paul Meurice et plus particulièrement sa persévérance et sa patiente fidélité qu'il a exprimée toute sa vie pour Victor Hugo. Lors de la visite, Georges Hugo étreint filialement Paul Meurice en le remerciant. «Monsieur Paul Meurice avait des larmes dans les yeux» rapporte Le Figaro.

Laissez-vous guider par Arsène Alexandre. La visite de cette merveilleuse demeure est un parcours dans l'intimité de l'auteur: pièce après pièce on découvre l'univers du poète.


En partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BnF

Article paru dans Le Figaro du 29 juin 1903

La maison de Victor Hugo

Le voici à la veille de s'ouvrir, grâce au dévouement, au zèle et au désintéressement admirables de M. Paul Meurice, ce musée Victor Hugo- cette Maison du Poète qui sera comme un nouveau temple d'art et de pensée, une permanente leçon de beauté de plus dans Paris.
Cette œuvre est belle et utile comme tout ce qui peut contribuer à élever les esprits et à tremper les caractères: ceux de l'artiste comme du plus obscur passant, ou de l'enfant en qui le cœur et l'intelligence s'éveillent. Nous devions avant tout rendre cet hommage à la Maison de Victor Hugo, et en dégager cet enseignement; mais ce sont des renseignements que nous avons à donner ici, et non des commentaires que chacun fera suivant son admiration, sans qu'on ait besoin de les dicter.

« La maison Victor Hugo est celle où le poète remporta ses grands triomphes de la période romantique »

La Maison de Victor Hugo n'est pas immense, mais elle est tellement et si bien remplie que nous serons forcés de ne donner que les grandes lignes de sa conception et de ne signaler que les principales œuvres.

Cette maison de la place Royale- aujourd'hui place des Vosges- est, comme on sait, celle que Victor Hugo habita de 1832 à 1848 et où il remporta ses grands triomphes de la période romantique. Ce quartier a conservé, parmi tant de changements et de mutilations du vieux Paris, un air de calme et de noblesse. La mélancolie actuelle ne lui messied pas, au contraire. Par un de ces bonheurs de circonstance qui favorisent parfois les belles pensées, M. Paul Meurice fut assez heureux pour reconquérir cette maison en vue du musée qu'il projetait. Elle a donc ce double caractère de la beauté du contenu et de l'émotion que peut exciter le contenant chez les innombrables admirateurs de Victor Hugo.

Presque rien n'est changé à l'aspect extérieur. Seul manque un balcon en fer forgé qui existait au second étage, qu'habitait le poète. Un jardin se trouvait derrière la maison sur l'emplacement duquel est maintenant une école primaire. C'est un voisinage qui aurait enchanté Victor Hugo, s'il avait pu prévoir que le musée inspiré par ses œuvres et occupé par ses propres travaux d'artiste serait, pour ainsi dire le passage par où tous ces jeunes êtres se rendraient à l'école.

« Le premier étage est entièrement occupé par les œuvres qu'inspira aux artistes l'œuvre même de Victor Hugo »

L'escalier a conservé son très grand air. Que de gens illustres le gravirent jadis: artistes, souverains, écrivains, gens du peuple célèbres une journée! Il annonce déjà très richement les collections du musée, car il est tout tapissé d'affiches, d'estampes curieuses, de documents d'histoire et d'art. Un des paliers sera décoré par un très beau bas-relief en pâte de verre d'Henry Cros, symbolisant l'œuvre de Victor Hugo. Le temps nécessaire pour mener à bien cette œuvre, avec la collaboration capricieuse et féerique du feu, n'a pas permis qu'elle fût prête pour le jour de l'ouverture.

Le premier étage est entièrement occupé par les œuvres qu'inspira aux artistes l'œuvre même de Victor Hugo, puis par la bibliothèque Victorienne.

La marche s'ouvre par les œuvres des romantiques proprement dits: dessins ou peintures des Nanteuil, des Devéria, des Tony Johannot, des Louis Boulanger, des Auguste de Châtillon, etc., etc. Louis Boulanger, notamment, sera pour ainsi dire ressuscité ici. Cet artiste, un des amis les plus chers de Victor Hugo, un peu oublié, revit par de superbes dessins et aquarelles. Ce sera certainement une grande surprise pour le public que de voir ces belles compositions: le Dernier jour d'un condamné, la Cour des miracles, qui participent à la fois de la fougue d'un Delacroix et de la vigueur d'un Daumier; puis, bien d'autres dessins encore.

La « Bataille d'Hernani » par M. Besnard aura certainement un très grand succès.

Je ne parlerai pas des lithographies de Devéria, de Nanteuil, etc., cela m'entraineraît trop loin. Puis, nous sommes au seuil d'une des parties les plus neuves du musée: la collection des peintures demandées aux artistes contemporains par M. Paul Meurice. Il m'est très difficile de dire ici quelles sont celles de ces œuvres qu'il faut le plus admirer; ceci est une occasion où la critique n'est pas de mise, puisque chacun a donné de son mieux pour servir une belle cause.

Il est certain que la Bataille d'Hernani, par M. Besnard, avec son magnifique fourmillement de personnages, romantiques contre classiques, son atmosphère de salle de théâtre si parfaitement tendue et évoquée, aura un très grand succès. De même, la Fantine abandonnée, de M. Eugène Carrière, est une de ces pages tendres et profondes, émouvantes infiniment, qui compteront dans l'œuvre si variée et si haute de ce maître. De même encore, le Satyre, interprété par M. Fantin-Latour, ravira par la fête de couleur et de beauté qu'il donne à nos yeux, par le spectacle de cet Olympe lumineux, de cette Vénus radieuse.

Puis encore le si vivant tableau où M. Raffaëlli a retracé, avec une verve et une animation exceptionnelles, le défilé devant la maison de l'avenue d'Eylau pour la Fête des quatre-vingts ans. Et M. Henner, encore, a caressé d'un pinceau prestigieux le corps nacré d'une ravissante Sarah la baigneuse, dans une harmonie chaude et sombre. Mais il y a encore bien d'autres peintures dont il faudrait parler plus longuement, La belle Veillée des funérailles, de M. Roll; le Don César de Bazan de M. Roybet; la Esmeralda, de M. Luc-Olivier Merson; la Mort de Baudin, de M. Jean-Paul Laurens; le tableau extrêmement réussi de M. Dewambez, M-Madeleine devant le Tribunal, se faisant reconnaître pour Jean Valjean; l'Eviradnus, de M. Grasset; les Pauvres gens, de M. Steinlen; la Scène des Burgraves, de M. Rochegrosse, etc., etc. Toutes ces pages éclatantes, dramatiques ou curieuses constituent à elles seules un véritable musée plein d'inédit et d'attrait.

« Toutes les éditions originales de Victor Hugo, dans les états les plus parfaits, se trouvent dans une salle à l'étage »

L'étage se complète, par une salle contenant les livres et les cartons d'estampes. Elle suffirait pour donner matière à de longues études, car elle est riche de milliers de pièces de toute sorte et de toutes les éditions originales de Victor Hugo, dans les états les plus parfaits et avec les plus belles reliures. À défaut d'une énumération, forcément incomplète, je signalerai simplement deux clous: la première édition de Notre-Dame de Paris, deux simples volumes à couverture jaune, rarissimes, et que le donateur ne paya pas moins de 2,000 fr.; puis une relique, les Odes et pièces diverses, le premier volume publié de Victor Hugo, avec dédicace autographe à sa fiancée, précieux et humble petit livre, arrivé dans la collection par des circonstances qui tiennent elles-mêmes du roman d'aventures.

Nous voici forcé de monter, sans nous attarder ici, à l'étage supérieur qui est celui même que Victor Hugo occupait, et qui est rempli de ses œuvres personnelles.

Pour la première fois on pourra se rendre compte définitivement que Victor Hugo, s'il n'avait pas été le poète qu'il est superflu de qualifier, aurait été un peintre de tout premier ordre.

Les deux salles qui contiennent ses dessins originaux feront cette preuve avec un éclat singulier. Les dessins de Victor Hugo sont d'un grand visionnaire et d'un superbe ouvrier. Évocation de vieux burgs (par exemple le vaste dessin du Burg à la Croix, magnifique page que Théophile Gautier commenta éloquemment), paysages de rêve ou de réalité, marines où souffle la rafale ou gronde l'ouragan, croquis de voyage dans des pays vrais, ou notations d'excursions dans des contrées imaginaires, étonnantes inventions, enfin, de figures comiques ou inquiétantes: Victor Hugo a tenté tout cela, réussi tout cela par des moyens puissants, simples et raffinés. II s'est créé à lui-même sa technique, et cette technique se rapproche de celle des plus beaux maîtres.

Il y a de longues heures à passer dans ce pays de rêve.

Breakwater in Jersey, Victor Hugo. Musée Victor Hugo Paris. Bridgeman Images/RDA/Bridgeman Images

La chambre mortuaire de Victor Hugo a été reconstituée avec la plus rigoureuse exactitude, à la suite des salles qui contiennent ces merveilleux dessins. Pour la description de cette chambre, je renvoie le lecteur à l'exquise et noble plaquette de Georges Victor-Hugo, Mon grand-père... Mais, avant d'arriver à ce sanctuaire, il faut passer par une pièce d'une bien captivante originalité: celle dans laquelle on a disposé les bois sculptés, peints, gravés au feu, et dorés par Victor Hugo lui-même. Il y a là des panneaux et des arrangements de cheminée, de console, de cadre qui font penser en même temps à des objets d'art de l'Extrême-Orient et à des travaux de Primitif, sans n'être cependant rien de tout cela. C'est encore un des aspects-et qui ne sera pas le moins surprenant pour le public- des aptitudes inouïes de cet homme que Renan disait, avec raison, «créé par un décret spécial de la Providence».

Paris possède donc désormais la Maison d'un des plus grands poètes de tous les temps

Est-ce tout ce qu'il y a à voir dans la Maison de Victor Hugo? Mais non! Vous avez tout un étage encore à visiter, qui contient les souvenirs et les intimités: portraits de famille, dont beaucoup exécutés par de grands ou habiles peintres, objets de toute sorte, livres de classe de l'«enfant sublime», vues de ses demeures, portraits de ceux qui lui furent chers, etc., etc. Puis aussi le curieux petit musée recueilli par M. Paul Beuve, de tous les bibelots populaires, insignes, bijoux, pipes, chenets, prospectus, que sais-je encore? attestant combien puissante fut l'emprise de Victor Hugo, sur son époque.

Et que de belles œuvres j'ai passées encore dans cette promenade brève! Les bustes du poète par David d'Angers et par Rodin, les portraits peints ou dessinés par Châtillon, Chifflart, Bastien Lepage, Bonnat, etc. Toutes ces choses forment un ensemble incomparable.

Paris possède donc désormais la Maison d'un des plus grands poètes de tous les temps. Notre pays n'a donc plus rien à envier, sur ce point, à ceux qui ont su faire des lieux de pèlerinage de la Maison de Shakespeare et de celle de Gœthe. Que pourrait-on dire de plus pour faire comprendre l'importance, dans l'histoire de la pensée, de la Maison de Victor Hugo?

Par Arsène Alexandre

À Paris, la maison Victor Hugo devient musée le 30 juin 1903

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
2 commentaires
  • 2645353 (profil non modéré)

    le

    Les écrits priment . Ses idées politiques m’importent peu

  • JePetit74

    le

    Pourquoi célèbre-t-on un socialiste notoire ? Je n’ai jamais compris...

À lire aussi