Max Weber ou le paradoxe de la religion

Portrait du sociologue allemand Max Weber (1864 - 1920) ©AFP - ©Alessandro Lonati/Leemage
Portrait du sociologue allemand Max Weber (1864 - 1920) ©AFP - ©Alessandro Lonati/Leemage
Portrait du sociologue allemand Max Weber (1864 - 1920) ©AFP - ©Alessandro Lonati/Leemage
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Si ça ne va pas très fort aujourd'hui, dites-vous que vous auriez pu être Max Weber.

Weber est l'un des pionniers de la sociologie académique, il tient pour la sociologie allemande le rôle que Durkheim tient pour la sociologie française. Il partage avec Durkheim une même inquiétude : comment la société va-t-elle survivre sans le secours de la religion ?

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58 min

L'inquiétude chez Weber est ancienne, elle remonte au passage du polythéisme au monothéisme, elle débute avec le désenchantement du monde, un processus qui marque selon le sociologue la fin de la magie comme technique de salut. A partir du judaïsme antique puis avec les autres monothéismes, l'homme est progressivement pris en charge par la raison, la science prend une place de plus en plus importante, le surnaturel recule au profit de l'inconnu, de ce que le savant n'a pas encore découvert. 

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Les Dix commandements
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© Getty - ZU_09

Mais cette approche rationnelle du monde ne peut pas trancher les conflits de valeur : si la science permet de maîtriser le monde, elle est en revanche incapable de donner une morale aux hommes. Les religions en général, le protestantisme en particulier, ont façonné un monde inattendu. En expliquant aux fidèles qu'ils ne pouvaient pas être certains d'aboutir au paradis, mais qu'ils pouvaient en revanche trouver ici-bas des signes de leur élection, le protestantisme a largement contribué à en croire Weber, à édifier la société capitaliste. 

Oui mais le problème, c'est que la société capitaliste tourne le dos à la religion, voire elle détruit la société religieuse. Le paradoxe est saisissant : les valeurs ascétiques du protestantisme ont contribué, nous dit Weber, à créer une société individualiste ou l'hédonisme prédomine.

Tout se passe donc comme si les religions avaient largement contribué à saper les bases de leur monde. Et le pessimisme de Weber est particulièrement aigu lorsqu'il s'agit des valeurs – car justement auparavant, lorsque les dieux gouvernaient les hommes, les questions de morale, de règles de vie, étaient prises en charge par la divinité.

Comme l'a expliqué Philippe Reynaud, à mesure que la vie économique prend de l'importance, l'émancipation des hommes se transforme en asservissement au monde matériel – mais qui prend en charge les questions morales ? Il ne reste plus, prophétise Weber, que des "spécialistes sans vision et des voluptueux sans cœur". Tout cela aboutit à une inévitable "querelle des dieux", plus aucune instance suprême ne peut venir trancher les questions morales et éthiques qui se posent aux hommes – et c'est la raison pour laquelle les débats autour du mariage pour tous, de la PMA ou de la GPA sont aussi violents : parce que nos contemporains ne parviennent plus à discuter des valeurs.

Comme Weber l'écrit, "suivant les convictions profondes de chaque être, l'une de ces éthiques prendra le visage du diable, l'autre celle du dieu et chaque individu aura à décider, de son propre point de vue, qui est dieu et qui est diable", une situation qui débouche inéluctablement sur des conflits, des conflits que nous ne savons plus trancher. Voilà pourquoi nous sommes condamnés à être enfermés dans des cages de fer, devenant à la fois des virtuoses de la raison, et des incapables du raisonnement moral.

Et maintenant bonne journée puisque vous n'êtes pas Max Weber.

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