Récit

Diego, l’autre Giacometti

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Dans la famille Giacometti, on demande le petit frère. Longtemps resté dans l’ombre du maître de la sculpture moderne, Diego est devenu un grand nom des arts décoratifs. À partir des années 1960, ses meubles-sculptures peuplés d’animaux drôles et poétiques ont su conquérir une clientèle sélecte. Le musée Picasso, dont il a conçu le mobilier, lui rend aujourd’hui hommage.
Diego Giacometti dans son atelier
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Diego Giacometti dans son atelier, 1982

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© akg-images / CDA / Guillemot

De Diego Giacometti, on connaît surtout le visage, immortalisé par son célèbre frère, Alberto, dans un portrait peint en 1953 et sobrement intitulé Diego. Une silhouette et des traits esquissés sur un fond noir comme les affectionnent l’artiste, où percent deux grands yeux. C’est lui aussi qui souvent se cache derrière les têtes énigmatiques des sculptures de Giacometti. C’est tout sauf un hasard si Diego a joué les modèles pour son frère : les deux hommes ont longtemps été inséparables. Pendant 40 ans, Diego le discret a travaillé main dans la main avec Alberto.

Treize mois séparent les deux garçons, nés à l’aube du XXe siècle dans un petit village des Alpes suisses, Stampa. Alberto, l’aîné, a une âme d’artiste et, encouragé par son père peintre, il suit les cours de l’École des beaux-arts de Genève avant de partir en 1922 pour Paris et sa folle effervescence artistique. Il fréquente l’atelier du sculpteur Antoine Bourdelle puis s’installe en 1926 dans le quartier du Montparnasse, dans un minuscule atelier de 23 mètres carrés qu’il ne quittera jamais. Diego l’y rejoint l’année suivante, après avoir terminé des études de commerce. Aussitôt, son frère l’embauche comme assistant.

Diego Giacometti, Chat maître d’hôtel
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Diego Giacometti, Chat maître d’hôtel, 1967

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Bronze • H. 29,7 cm • © Christie’s Images / Bridgeman Images / ADAGP, Paris 2018

Tandis que la renommée de son frère explose, Diego réalise ses premières sculptures animalières. Il fait naître sous ses doigts un bestiaire naïf, poétique et drôle.

Diego joue un rôle clé dans le travail de son frère, réalisant les moulages en plâtre et les armatures métalliques de ses œuvres. Dans les années 1930, le duo crée des vases et des lampes pour le décorateur Jean-Michel Frank. Alors qu’Alberto, bavard et volubile, devient un artiste de premier plan et se rapproche du mouvement surréaliste, Diego, lui, reste un homme de l’ombre. Le mystère plane sur les débuts de son travail artistique. L’idée de créer des meubles aurait, dit-on, germé peu après sa collaboration avec Frank. Il aurait alors songé à fabriquer une chaise car toutes lui paraissaient inconfortables. Seule certitude, à partir des années 1950, tandis que la renommée de son frère explose dans le monde entier, Diego réalise ses premières sculptures animalières. En glaise, en plâtre ou en bronze, il fait naître sous ses doigts un bestiaire naïf, poétique et drôle. Son travail est toujours étroitement imbriqué avec celui de son frère. En 1964, le duo réalise pour le galeriste Aimé Maeght le Chat maître d’hôtel dessiné par Alberto et sculpté par Diego.

En 1966, la mort d’Alberto va être un électrochoc : Diego redouble de travail et commence à créer des meubles-sculptures, ornés d’oiseaux, inspirés de ceux qu’il a étudiés au Jardin des plantes, de figures d’animaux qu’il a vues lors d’un voyage en Égypte, de pommes ou de branches entremêlées. Ses œuvres très différentes des sculptures dépouillées de son frère séduisent des esthètes qui lui passent commande. « Diego Giacometti arrive avec poésie et humour à déguiser la fonction première de ses meubles en y glissant un bestiaire facétieux et lui confère le statut de meuble d’artiste », explique Florent Jeanniard, spécialiste chez Sotheby’s qui a organisé une grande vente aux enchères d’œuvres du sculpteur en 2017.

Diego Giacometti, Table octogonale avec caryatides et atlantes
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Diego Giacometti, Table octogonale avec caryatides et atlantes, 1980

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bronze et patine celadon • 81.5×162.5 cm • 6 • © Christie’s Images / Bridgeman Images / ADAGP, Paris 2018

Diego Giacometti travaille d’ailleurs presque uniquement sur commande. « Elles sont un terrain fertile pour l’imagination », confie-t-il dans l’une de ses rares interviews, en 1983. Les décorateurs Georges Geoffroy et Henri Samuel, le couturier Hubert de Givenchy – qui lui achète 21 pièces – le galeriste Aimé Maeght ou Hélène Rochas comptent parmi ses acheteurs de la première heure. Il séduit également une clientèle américaine. Mais tous ont dû se montrer patient. Car Diego Giacometti produit peu.

« L’as des patines »

Diego Giacometti, Chaise
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Diego Giacometti, Chaise, 1983–1985 d’après un modèle de 1955

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Bronze • 81.5 × 48 × 40 cm • Coll. Musée national Picasso, Paris • ©Philippe Fuzeau/ Musée national Picasso-­Paris / ADAGP, Paris 2018

Il prend son temps et soigne son travail. Il est déterminé à faire de chaque meuble une œuvre unique, à renouer avec le savoir-faire des artisans d’antan. Le sculpteur travaille ainsi le bronze et utilise la technique de fonte à cire perdue, très onéreuse. Sa maîtrise technique et sa méticulosité lui valent d’être surnommé « l’as des patines ». « Il fallait être patient, résume Florent Jeanniard. Il fallait parfois attendre des mois pour recevoir une petite tasse, et certains clients ont dû attendre des années avant qu’il ne commence une commande. Ses œuvres sont rares. »

Quand le musée Picasso, en 1976, veut lui confier la réalisation du mobilier destiné à l’hôtel Salé qui accueillera le musée, il se contente d’ailleurs de lui passer commande de deux lustres. Giacometti réalisera finalement 50 pièces – des chaises, des bancs, des luminaires et des tables – qui font écho à l’art de Picasso. Il décline surtout dans ce mobilier, en plâtre et en bronze, toutes les facettes de son univers : son amour pour la nature et le végétal, sa relecture des thèmes antiques, notamment grecs et étrusques. Et parvient à créer, comme le souhaitait le musée, une véritable « géométrie dans l’air ». Cette œuvre colossale sera sa dernière : Diego meurt en juillet 1985, quelques mois avant l’ouverture du musée Picasso au public. Il ne verra pas non plus la première rétrospective de son œuvre, organisée en 1986 aux Arts décoratifs.

Trente ans après sa mort, Diego Giacometti est aujourd’hui considéré comme un nom majeur des arts décoratifs du siècle dernier et ses œuvres se négocient à prix d’or. En 2015, la Table aux oiseaux se vend 1,4 million de dollars. En 2016, la Table aux caryatides atteint la somme record de 3,8 millions de dollars ! Preuve que le petit frère est définitivement sorti de l’ombre de son illustre aîné.

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Diego Giacometti

Du 17 mai 2018 au 4 novembre 2018

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