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Gérard Collomb et Emmanuel Macron, un sentiment de trahison réciproque ?
Gérard Collomb et Emmanuel Macron, un sentiment de trahison réciproque ?

"La trahison de Collomb est totalement inédite sous la Ve République"

Histoire

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L'historien Jean Garrigues, spécialiste de la trahison en politique, analyse la démission du ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, qu'il explique par une rupture personnelle avec Emmanuel Macron.

Gérard Collomb, premier lieutenant d'Emmanuel Macron depuis l'entrée de celui-ci en politique, quitte le gouvernement ce mercredi 3 octobre contre la volonté du président de la République. Une étonnante fin qu'analyse l'historien Jean Garrigues, directeur de l'ouvrage collectif La République des traîtres (Tallandier ), paru en septembre. Entretien.

Le départ de Gérard Collomb du gouvernement constitue-t-il une trahison à l'égard d'Emmanuel Macron ?

Jean Garrigues : Cette démission est avant tout une trahison à l'égard du service de l'Etat. En abandonnant de cette façon sa mission, contre la volonté du président de la République, Gérard Collomb montre qu'il fait peu de cas des institutions de la Ve République et de leur esprit. Comme Nicolas Hulot, d'ailleurs. Concernant sa relation avec Emmanuel Macron, on peut s'interroger. Il a prévenu le chef de l'Etat, ce n'est donc pas une trahison totale. Cela dit, sa défection et sa manière de procéder affaiblissent incontestablement le Président.

D'habitude, les hommes politiques qui trahissent le font par ambition. Ici, ce n'est pas du tout le cas. Est-ce une première ?

Oui. La trahison de Gérard Collomb est d'un type totalement inédit sous la Ve République. D'habitude, on trahit pour s'émanciper, par esprit de compétition. Quant aux lieutenants des présidents de la République, ils démissionnent habituellement du gouvernement sur décision du chef de l'Etat car ils sont trop affaiblis politiquement. Cela a été le cas de Michel Poniatowski, le fidèle ministre de l'Intérieur de Valéry Giscard d'Estaing, en 1977. Cela a aussi été le cas de Jean-Marc Ayrault sous François Hollande. Chaque fois, ces hommes politiques ont encaissé, sans se démarquer du chef. Dans le cas de Gérard Collomb, sa démission renvoie à des facteurs multiples, parmi lesquels sa volonté de se replier sur Lyon est importante. On a tout de même l'impression que s'est installée, en plus de cela, une déception humaine entre les deux hommes. Cette rupture entre deux proches politiques, c'est quelque chose de très, très rare.

Au mois de septembre, Gérard Collomb a critiqué plusieurs fois le style présidentiel d'Emmanuel Macron. Des désaccords de pure forme peuvent-il vraiment servir de prétexte à une démission du gouvernement ?

Ce qui laisse perplexe, c'est que la démission de Gérard Collomb, si on la confronte à ses propos sur l'hubris présidentiel, arrive totalement à contre-temps. Emmanuel Macron vient justement d'envoyer quelques signaux qui montrent qu'il a pris en compte certaines remarques, en s'affichant notamment proche de la population aux Antilles. Il y a sans doute un aspect affectif dans cette décision. Comme dans toutes les trahisons politiques, la déception est probablement réciproque. Si Macron peut légitimement s'estimer trahi par Collomb, Collomb s'estime lui aussi sans doute trahi par le Président. Sinon, il se serait contenté de faire part de ses remarques et de sa volonté de partir en privé.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne