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Interview

Enseignement : «L’histoire balaye ce que font les femmes en tant que créatrices»

Le guide de l’enseignement pour le collège «Des femmes en littérature», sorti à l'occasion de cette rentrée, est le premier manuel scolaire de français à mettre en lumière exclusivement des écrivaines. Explications de Djamila Belhouchat et Michèle Idels, deux des quatre coauteures.
par Marlène Thomas
publié le 8 novembre 2018 à 11h32

Un vent nouveau souffle sur les manuels scolaires. Depuis cette rentrée, un manuel de français pour le collège novateur est proposé aux professeurs : Des femmes en littérature : 100 textes d'écrivaines à étudier en classe. Sa particularité ? Il n'est composé que de textes de femmes, du Moyen Age à nos jours. En respectant les programmes, ce manuel réhabilite leurs productions encore largement exclues de l'univers scolaire. Preuve indéniable : ce n'est qu'en 2017 qu'un texte de femme a été inscrit pour la première fois au programme des terminales L. Un effort poursuivi en 2018, où pour la première fois trois textes d'écrivaines étaient proposés au bac de français des premières L. Céline Bizière, fondatrice de l'ONG Le salon des dames, Djamila Belhouchat, professeure de français responsable du pôle éducation de cette ONG, Michèle Idels et Christine Villeneuve, codirectrices des Editions des femmes-Antoinette Fouque, ont voulu aller plus loin. Djamila Belhouchat et Michèle Idels en expliquent la nécessité.

Quelle a été l’idée directrice du projet ?

Michèle Idels : On a voulu mettre en avant ces femmes, mais aussi mâcher le travail aux professeurs. En 2013, le Centre Hubertine Auclert a montré que dans les manuels de français en seconde, il n'y a que 3,7% de textes de femmes. L'histoire balaye ce que font les femmes en tant que créatrices. On voulait montrer que, quels que soient les programmes et les notions abordées, il y a toujours une ressource du côté des femmes pour un traitement en classe. L'enjeu n'est pas d'exclure les hommes, mais que les femmes et leurs points de vue soient intégrés dans la culture commune.

Djamila Belhouchat : En faisant nos recherches, on a vu que ces dames ont eu des vies impressionnantes. Un exemple, Marie-Catherine d'Aulnoy était espionne et la première à avoir mis à l'écrit un conte de fées. Les mettre en lumière montre aux élèves qu'ils peuvent s'identifier aux êtres qu'ils souhaitent.

Comment ce manuel a-t-il été accueilli par les enseignants et élèves ?

M.I : Des enseignants ont envoyé à Céline des photos de leurs séquences modifiées, montrant qu'ils essaient de respecter une parité dans les analyses de textes. Une jeune fille de 15 ans nous a aussi confié qu'elle était ravie de lire ce guide qui «montre ce qui est» et que ça lui ouvrait des perspectives. C'est touchant.

D.B : Énormément de femmes ont révolutionné l'histoire littéraire et ont été oubliées. Par exemple, Mary Shelley (Frankenstein) est la première à avoir écrit un roman de science-fiction. Le roman psychologique a été inventé par Madame de La Fayette. Rien que du point de vue du savoir littéraire, j'ai eu beaucoup d'échos positifs de mes collègues. On découvre l'origine des genres. Quand on écrivait le manuel, j'avais une première STI2D, une classe de garçons. J'ai testé des textes sur eux. Ils étaient aussi enthousiastes. Ça leur permet d'avoir une autre perspective sur le monde, sur ce que peuvent ressentir leur mère, sœur, petite amie. Les filles sont ravies aussi. Mettre l'accent sur la vie de ces femmes leur permet de se dire qu'elles peuvent faire comme elles.

Avez-vous eu du mal à trouver les textes ?

M.I : Il est difficile de rentrer au chausse-pied des textes de femmes dans des thématiques moulées sur des textes d'hommes. Mais trouver les textes n'a pas été ardu, juste très long. Le plus dur était d'en enlever. C'est tout le contraire de ce qu'on peut penser : ce n'est pas parce qu'on ne parle pas des écrivaines qu'il n'y en a pas, il y en a en réalité énormément. On se fiche de savoir s'il y a une parité dans la création littéraire : 3,7% n'est pas la réalité de leur production. Il y a bien plus à montrer.

Sentez-vous un élan arriver du côté de l’Education nationale ?

D.B : La réforme du lycée prévoit en première quatre œuvres à étudier. On verra bien s'ils pensent aux écrivaines.

M.I : Au niveau politique, on ne sait pas, mais au niveau de l'édition ça va changer des choses. Notre coéditeur Belin éducation nous a dit que grâce à ce guide, ils accorderaient une importance nouvelle à la présence des femmes dans tous leurs manuels scolaires.

Avez-vous d’autres projets de manuels pour d’autres niveaux, matières ?

M.I : On en a plein. On veut déjà faire le manuel de français pour le lycée. Concernant les autres matières, on peut seulement dire qu'au départ, on voulait faire toutes les matières et tous les niveaux. On va avancer dans cette optique.

D.B : Mais on va faire face à d'autres difficultés. En philo notamment les textes officiels mentionnent une liste d'auteurs à étudier. Le but serait donc plus de montrer qu'elle est réductrice et qu'il existe des femmes philosophes. Selon moi, la littérature est une des matières qui aide le plus à construire l'élève sur sa vision de la société. C'était le plus fort élan à donner pour commencer.

Des femmes en littérature : 100 textes d'écrivaines à étudier en classe, Djamila Belhouchat, Céline Biziere, Michele Idels, Christine Villeneuve, Belin, 352 pp, 29 €

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