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Centrafrique : la faim tue d'abord les enfants

Dans un rapport publié vendredi, l'Unicef pousse un cri d'alarme face au nombre croissant d'enfants atteints de malnutrition aiguë. Cinq ans après le déclenchement d'affrontements sanglants, l'insécurité persistante dans ce vaste pays provoque une tragédie silencieuse, qui ne mobilise plus les donateurs.
par Maria Malagardis
publié le 3 décembre 2018 à 9h57

On dirait de petits vieillards. Avec leurs visages fripés, leurs corps décharnés aux os saillants, et ces ventres ballonnés qui depuis toujours incarnent la tragédie de la faim. Nous ne sommes pourtant ni au Yémen, ni dans un coin perdu du Sahel désertique. Mais à Bangui, capitale de la République centrafricaine, un pays peu peuplé, moins de cinq millions d'habitants, et doté d'une végétation luxuriante, d'une terre tellement généreuse, fertile, qu'il suffit, selon la formule consacrée, «d'y planter un bâton, pour qu'il se transforme aussitôt en arbre».

A l'hôpital pédiatrique de Bangui, l'unité des «cas de malnutrition aiguë avec complications» affiche pourtant complet. Une cinquantaine de lits y accueillent parfois deux enfants sur le même matelas. La plupart sont accompagnés de leurs mères, dans des pièces écrasées de chaleur, où ne résonne aucun rire. Près de l'entrée, Hockney fixe le vide avec la gravité des agonisants. Officiellement, il est âgé de deux ans. On lui en donnerait la moitié. Il gît silencieux sur un pagne, le nez obstrué par une sonde censée lui offrir d'urgence ce qui lui a le plus manqué : manger.

Il y a cinq ans, en septembre 2013 (voir Libération du 13 septembre 2013), le même hôpital accueillait déjà des enfants faméliques en état d'urgence.

Malnutrition aigüe

Reste qu’à l’époque, la capitale était au bord de la guerre civile. Une coalition de rebelles, venue du nord du pays, la Séléka, avait pris le pouvoir en mars dans un chaos total, suscitant en réaction l’émergence de groupes d’autodéfense, les anti-balaka. Désordre et exactions inquiétaient alors la communauté internationale qui se préparait à intervenir.

Près de cinq ans plus tard, alors que l’ordre institutionnel a été en principe rétabli, au moins à Bangui, les enfants victimes de malnutrition aiguë semblent néanmoins encore plus nombreux à être accueillis au sein du même hôpital.

C'est ce que confirme l'Unicef dans un rapport alarmiste publié vendredi : selon les statistiques disponibles, «depuis 2014, le nombre d'enfants atteints de malnutrition aiguë aurait augmenté d'un tiers», affirme l'organisation onusienne, qui souligne que 1,5 million d'enfants ont aujourd'hui, «besoin d'une aide humanitaire d'urgence».

Car en réalité, la crise ne s’est pas éteinte, l’incendie déclenché en 2013-2014 s’est mué en une interminable série d’étincelles qui surgissent régulièrement comme autant de clignotants sur la carte de cet immense pays, grand comme la France et la Belgique réunies. La guerre entre chefs rebelles de la Séléka et anti-balaka s’est transformée en conflit entre seigneurs de guerre, souvent repliés dans l’immense arrière-pays, qui sèment la terreur et vivent de prédation et de racket.

En conséquent, beaucoup de paysans ne cultivent plus leurs champs, les trois axes routiers bitumés, moins de 1000 km, dont dispose le pays, restent périlleux, freinant le transport de marchandises. Une insécurité chronique qui accroît le nombre de déplacés interne : ils seraient «643 000 aujourd'hui, contre 369 000 en juin 2015», rappelle le rapport de l'Unicef. Comment nourrir le pays dans ces conditions ? Alors que tous les indicateurs plongent le pays dans les profondeurs de l'abîme.

Avant-dernier pays sur la liste de l'indice développement humain (IDH), la République centrafricaine figure cette année au dernier rang de l'indice de la faim, celui qui mesure l'insécurité alimentaire. «C'est également le deuxième pays au monde pour la plus forte mortalité néonatale», souligne Donaig Le Du, porte-parole de l'Unicef sur place.

Un repas par jour

Or, au-delà des cas extrêmes, la faim touche en réalité tout le monde : même à Bangui, où la situation est moins critique qu’en province, rares sont les habitants qui mangent plus d’un repas par jour. La malnutrition chronique est une réalité quotidienne. Et bien sûr, elle frappe plus durement les plus jeunes dont les organismes fragiles risquent de subir des séquelles définitives.

Non loin des rives de l'Oubangui, au dispensaire Saint-Joseph, soutenu, tout comme l'hôpital pédiatrique, par l'Unicef, une consultation permet chaque jeudi matin d'accueillir les enfants qui, sans être en danger de mort, souffrent de l'absence de nourriture. «Mes petits pleurent souvent parce qu'ils n'ont pas à manger», reconnaît Doloka, 40 ans, mère de six enfants.

Elle est venue ce jour-là avec l'avant-dernier, Mardoché, cinq ans. Un petit garçon au regard éteint et aux joues gonflées comme celles d'un castor. «Certains jours on n'a rien à manger, on se contente de boire un peu de café», confie la mère, en regardant son fils qui peine à lever un bras pour agripper la barre de pâte d'arachide qui lui est offerte.

Le temps d'une collation hebdomadaire, le voilà rassasié. Mais ce n'est qu'un sursis pour ces enfants exténués par la faim et qui vivent une tragédie silencieuse. «Quasiment personne ne suit ce qui se passe dans ce vaste pays enclavé au cœur de l'Afrique», constate avec amertume le rapport de l'Unicef. Cette agence des Nations Unies avait sollicité, en 2018, 55,5 millions de dollars pour répondre à cette urgence humanitaire. En octobre, moins de la moitié avait été déboursée.

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