Gérard Grunberg : «Pour François Hollande, c’est l’heure de vérité»
INTERVIEW - Gérard Grunberg, politologue au centre d’études européennes de Sciences po, spécialiste de la gauche, estime que François Hollande a payé au premier tour des municipales « le prix de sa politique fiscale ». Le chef de l’Etat « n’a pas d’autre choix que de changer de Premier ministre. Attendre, c’est prendre le risque qu’il soit trop tard ensuite pour rebondir », prévient-il. «Il lui reste trois ans. Ce n’est pas de trop pour redresser la barre !»
Comment expliquez-vous l’ampleur du vote sanction pour le PS ?
Je ne suis pas surpris par ce vote sanction : c’est un classique à toutes les élections de ce type. Nicolas Sarkozy avait subi une lourde défaite en 2008, un an à peine après son accession à l’Elysée. Je suis en revanche frappé par son ampleur. Le recul est très sensible même dans des villes où on ne l’attendait pas, comme Paris, Marseille, Lyon, Lille, Nantes ou Quimper.
La raison réside peut-être moins dans le désaccord avec la ligne politique générale exprimée par le président en début d’année –beaucoup de Français sont, je crois, conscients de l’état dans lequel se trouve le pays- que dans le fait que l’opinion ne voit pas clairement la cohérence des mesures prises ni les résultats obtenus. L’affaissement général du vote socialiste est lié à la perte de confiance dans le Parti socialiste, elle-même liée à la perte de confiance dans le pouvoir en place.
Je crois aussi que François Hollande et le gouvernement ont payé le prix de leur politique fiscale. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La hausse des impôts était devenue trop forte aux yeux des citoyens et, pour la première fois, elle est devenue un enjeu politique et électoral majeur.
Le pouvoir semble l’avoir compris puis que la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, vient de rappeler que « l’objectif à terme est d’aller vers une baisse de la fiscalité des ménages ».
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L’exécutif a donc raison de faire aujourd’hui miroiter des baisses d’impôts…
Oui. C’est ce que le gouvernement de centre-gauche italien vient de faire également, ce qui montre que les gauches de gouvernement sont de plus en plus obligées de renoncer au « tax and spend » traditionnel. Cependant, une telle stratégie fiscale oblige à réduire encore davantage les dépenses publiques avec les difficultés que l’on sait pour y parvenir.
Un sursaut de la gauche est-il possible dimanche ?
La gauche peut espérer empêcher la Berezina totale grâce aux triangulaires et au rassemblement au second tour dans la plupart des ballottages. Elle peut ainsi amortir la défaite, comme elle était parvenue à le faire en 1983. Mais ce sera plus difficile qu’alors dans la mesure où la perte de confiance dans le pouvoir est plus forte aujourd’hui.
Je ne crois pas à un réel sursaut qui lui permettrait de renverser la tendance du premier tour. La situation est difficile dans plusieurs villes importantes, notamment à Strasbourg, à Toulouse, à Caen, à Saint-Etienne.
Il n’est pas certain, par ailleurs, que les appels à l’unité de la gauche soient entendus par les électeurs. Les Français ont voulu adresser un avertissement au pouvoir socialiste et il n’y a pas de raison qu’ils changent d’idée entre les deux tours. Le gouvernement est affaibli dans l’opinion depuis longtemps. Ce n’est pas un hasard si l’on parle depuis quelque temps d’un éventuel remaniement. Les socialistes le savent et c’est pourquoi leurs candidats ont tout fait pour « dénationaliser » la campagne. Avec un succès très limité ! Le fait que le PS n’ait pas fait de campagne nationale est la preuve qu’il se sentait fragile.
Sociologiquement, le PS a-t-il encore un socle électoral ?
Oui, il ne faut pas exagérer. Le PS reste l’un des deux grands partis politiques et va conserver un nombre important de villes. Depuis longtemps, on a bien vu que l’électorat socialiste est « interclassiste » avec, toutefois, une sous-représentation des professions indépendantes et des électeurs les plus âgés. Géographiquement, il faut remarquer que dans un grand quart sud-est, le FN est en train de supplanter le PS comme second parti. Le cas de Marseille est emblématique de ce point de vue. Il s’est produit dans cette région une sorte de 21 avril municipal qui sera peut-être demain régional…
Que doit faire François Hollande en priorité ?
Sa situation est extrêmement difficile. Il est dans la nasse. Sous la pression de Bruxelles, il lui faut poursuivre dans la direction qu’il a indiquée et s’attaquer plus fortement encore à la réduction des déficits et des dépenses publiques. Il n’y a pas d’échappatoire. Or, le premier tour des municipales va donner, en apparence du moins, des munitions à ceux qui réclameront au contraire une politique de relance et la stabilisation des dépenses publiques. Les élus sont frappés par un vent de panique et craignent déjà de perdre leurs sièges aux prochaines élections. La pression sur François Hollande va donc être extrêmement forte. C’est la quadrature du cercle pour lui. D’où la carte de la baisse des impôts des ménages que le gouvernement vient de sortir de sa manche...
Quelles sont ses autres cartes ?
Je ne vois pas comment il pourrait donner un coup de barre à gauche. Et, continuer à louvoyer produirait les mêmes résultats aux prochaines élections. La seule solution, risquée et pas nécessairement gagnante électoralement non plus, est de dramatiser les enjeux et de former un gouvernement de combat qui assume et applique véritablement la politique engagée. Un gouvernement qui mènerait sa politique sans trop se soucier des prochaines élections.
C’est plus facile à dire qu’à faire avec la majorité parlementaire actuelle. Un changement de gouvernement ne réglera pas tous les problèmes mais il est indispensable pour donner un signe fort à l’opinion. Il faut à Matignon un chef d’orchestre qui ait l’autorité et l’expérience suffisantes pour incarner et conduire cette politique.
A mon sens, il n’a pas d’autre choix que de changer de Premier ministre. Attendre, c’est prendre le risque qu’il soit trop tard ensuite pour rebondir. Pour remplacer Jean-Marc Ayrault, je ne vois que Laurent Fabius et Manuel Valls. Dans ce contexte, il faudra beaucoup de courage et d’abnégation pour remplir cette tâche… et avoir le goût du risque !
Pour François Hollande, c’est l’heure de vérité. Il est au pied du mur. Il lui reste trois ans. Ce n’est pas de trop pour redresser la barre !
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