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Acte VIII: aucune Coralie, gilet jaune belge, n’a été tuée à Paris le 5 janvier

Dimanche 6 janvier, le ministre des affaires étrangères belge a démenti la rumeur de la supposée mort d’une citoyenne gilet jaune à Paris. Si ce décès a souvent été relayé avec inquiétude par des manifestants, d’autres ont contre-enquêté pour faire taire la rumeur.
par Jacques Pezet
publié le 6 janvier 2019 à 19h43

Question posée par Marion le 05/01/2019

Bonjour,

Vous êtes nombreux à nous demander de vérifier la rumeur autour de la mort présumée d'une femme belge, prénommée Coralie, qui serait morte après avoir reçu un tir de lanceur de balles de défense dans le visage lors de la manifestation du 5 janvier à Paris. Cette rumeur a été démentie par le ministre des affaires étrangères belge, dès dimanche matin: «Vérification faite: les autorités françaises nous confirment n'avoir aucune information sur le prétendu décès d'une Belge à Paris dans le cadre des manifestations des gilets jaunes Notre ambassade n'a été sollicitée par aucune famille endeuillée».

Cette rumeur a surgi sur les réseaux sociaux, et particulièrement dans des groupes Facebook de gilets jaunes, après la manifestation aux alentours de 20 heures. Elle repose sur deux témoignages: celui d'un homme en pleurs et celui d'une femme au bonnet rouge. Dans la nuit du 5 au 6 janvier 2019, CheckNews a pu consulter les vidéos originales postées par leurs auteurs Blerim P. et Elise L. avant qu'elles ne soient supprimées dans la soirée. Elles ont été reproduites sur YouTube.

Un homme en pleurs, une femme en bonnet rouge et des médias belges au conditionnel

Dans la première vidéo d'une durée de 4 minutes, postée avant 20 heures, un homme en pleurs, qui présentait la victime comme étant «une amie» dans un statut sur Facebook (archivé ici), ponctuant ses propos de «putain», revient sur la mort de «Coralie»: «C'était une femme humble. C'était une maman de famille. Ils l'ont buté. Elle a ramassé un flash-ball dans la tête. Putain, société de merde. Ils ont buté une mère de famille et il n'y a personne qui en parle. A Paris aujourd'hui, dans le 1er arrondissement, on a attendu des heures pour que les secours arrivent. Elle a perdu énormément de sang. Elle s'est ramassé un flash-ball dans la tête. Ils l'ont butée alors qu'elle avait les bras en l'air.»

L'original de cette vidéo a été supprimé sur Facebook dans la soirée de samedi, mais d'autres internautes l'ont mise en ligne sur Facebook et YouTube, permettant ainsi à la rumeur de se propager. Ce premier témoignage a ensuite été appuyé par deux vidéos diffusées en live sur Facebook par une femme coiffée d'un bonnet rouge. Là encore, les originaux ont depuis été supprimés, mais téléchargés puis mis en ligne par d'autres internautes. La femme au bonnet rouge, Elise L. y déclarait: «apparemment quand on était sur les quais au niveau du musée d'Orsay, […] on vient d'apprendre qu'une dame a été évacuée par le samu et qu'elle vient de mourir de ses blessures. […] Elle est morte aujourd'hui, elle venait de Bruxelles.» Dans une seconde vidéo, la dame insiste: «je confirme. Elle est bien morte. C'est pas un fake. c'est pas n'importe quoi. Il faut faire avec.»

En plus de ces deux vidéos, des gilets jaunes vont également citer comme preuve des articles des médias belges Sudinfo («Des témoignages sur facebook affirment qu'une gilet jaune belge est décédée à Paris») et RTL InfoDes témoignages sur les réseaux sociaux affirment qu'une belge gilet jaune serait décédée à Paris: les affaires étrangères vérifient l'information»), ainsi que de l'édition française du site d'information russe Sputnik («Une Gilet jaune belge aurait trouvé la mort à Paris»). Écrits au conditionnel, ces articles se basent uniquement sur les témoignages précédents diffusés sur Facebook, mais indiquent uniquement en fin d'article que «L'information n'est donc absolument pas confirmée pour l'instant». Les deux articles ont finalement été corrigés dans la journée de dimanche.

Dans les différents groupes de gilets jaunes, la gilet jaune martyr devient Coralie Thoreau, parfois Coralie van Der Beekenfrites (un hommage à la gastronomie belge?). Ces noms sont pourtant introuvables sur le réseau social, comme sur Google.

Une rumeur ralentie par la vérification d’un média de gilet jaune

Au milieu de ces indignations, de nombreux gilets jaunes se montrent prudents, demandant des preuves irréfutables ou des sources qui attestent cette mort. D'autres vont même dénoncer une «fake news» de la part de ceux qui annoncent la mort de ladite Coralie et citent comme preuve, l'enquête de Vécu, qui se présente comme «Le média du gilet jaune». Samedi soir, à 22h37, sur cette page Facebook suivie par plus de 20 000 personnes, son administrateur Gabin Formont organise un live Facebook d'une heure consacré à cette rumeur. Il indique qu'il a lui aussi «failli partagé cette info», mais qu'averti par son équipe, il a préféré vérifier l'information. Lors de cette émission, il indique avoir eu la dame au bonnet rouge au téléphone et interviewe Jessy, un street-médic présent sur Paris durant cette journée, qui serait la source de la gilet jaune à la coiffe rouge, pour «démêler le vrai du faux».

Dans cet exercice de vérification, Gabin Formont est très clair, pédagogue. S'adressant aux milliers de personnes qui regardent sa vidéo, il déroule : «Première chose, on a reçu l'information de la part d'une cinquantaine de personnes. On a reçu des messages et des messages et des messages. Donc on s'est dit wow, il se passe un truc, c'est chaud.

Et moi, je me suis dit ça doit être vrai parce que j'ai vu la vidéo de ce monsieur qui pleurait, qui disait que sa famille était décédée, et cætera. Donc du coup, j'ai failli publier le truc. En en parlant avec mon équipe, ils m'ont un peu tempéré. Heureusement, parce qu'avec la fatigue et tout, j'avais peut-être pas les idées assez claires. Et du coup, ils m'ont dit: attends Gabin, il faut qu'on remonte la trace. Du coup qu'est-ce que j'ai fait? J'ai remonté la piste. J'ai vu cette dame avec le bonnet rouge poster une vidéo en disant : moi j'étais avec les street medics, c'est bien vrai cette dame est morte. etc. Donc cette dame, j'ai pisté qui elle était. J'ai retrouvé sur Facebook son profil. Et ça tombait bien elle était amie avec une amie que j'ai sur Facebook, que j'ai appelée. Je l'ai appelée et j'ai demandé son numéro. J'ai eu son numéro donc je l'ai appelée cette dame avec le bonnet rouge et je lui ai dit «est-ce que c'est vrai?» Elle m'a dit oui, j'en ai parlé avec les street médics, c'est vrai, etc. Du coup je lui ai dit: Ok, est-ce que je peux avoir le numéro de ce street médic. Ce street médic, vous l'avez en face de vous, je l'ai appelé et je lui ai demandé si c'était vrai. Voilà sa réponse.»

Gabin Formont interroge alors son invité et lui pose la question: «Explique-nous si toi sur le premier arrondissement de Paris, cet après-midi vers les coups de 14 heures, une dame, mère de deux enfants, belge, aurait pris un flash-ball en pleine tête et serait décédée à l'hôpital, des suites d'un traumatisme crânien». Jessy lui répond qu'il a effectivement rencontré la dame au bonnet rouge en début de soirée, puis indique que la personne qui coordonne l'équipe de street-médics, dont il fait partie, lui a indiqué au téléphone «qu'il n'y a pas eu de décès aujourd'hui». Alors que le street-médic lui parle, l'animateur du live Facebook, répond aux commentaires Facebook, qui citent d'autres témoins ou démentis de cette rumeur, demandant toujours des sources qui soient vérifiables et avertit: «je ne veux pas jouer avec les décès et les blessés». Gabin Formont finit par indiquer qu'il a confronté le témoignage du street-médic à la dame au bonnet rouge, qui moins certaine, lui aurait répondu: «j'ai dû confondre». Dans cet entretien, le street médic va aussi ajouter que cette dame a déjà donné des «fausses informations» la veille au sujet d'un homme séparé de ses enfants.

Les gilets jaunes et leurs groupes Facebook ont été présentés à plusieurs reprises d'être des nids à fausses informations. Au milieu de ces critiques, la performance de Gabin Formont, mérite d'être saluée: à aucun moment, le gilet jaune enquêteur n'a cessé de rappeler que faute de preuve, il ne fallait pas relayer des rumeurs, d'autant plus si elles portent sur le décès d'une personne. La qualité de son travail a été récompensée par de nombreux gilets jaunes, qui se sont servis de cette vidéo pour répondre à la rumeur de la mort de la femme belge dans de nombreux groupes Facebook.

Excuses de gilets jaunes qui avaient présenté leurs condoléances

Durant ce live, certains témoignages de personnes qui disent avoir assisté au tir mortel vont être relayés. CheckNews les a compilés et note que plusieurs d'entre eux, ont présenté leurs excuses sur Facebook, retirant ainsi leurs condoléances trop vite exprimées.

Dimanche 6 janvier 2019, un message d'excuses signé par Blerim P, l'homme qui pleurait la mort de Coralie, est apparu sur un autre compte (celui ayant diffusé la vidéo ayant disparu) avec la même photo de profil. Dans ce nouveau compte (lui aussi disparu dans l'après-midi de dimanche), l'homme présente ses excuses et explique confusément: «Je ne sais même plus si tout cela est vrai. Je ne sais pas vous en dire plus malheureusement. J'ai été manipulé et j'ai, sous l'état de choc manipulé tout le monde sans le vouloir.»

CheckNews a tenté de le contacter sur Facebook pour tenter de comprendre l’origine de la rumeur, mais ses deux profils n’étaient plus joignables.

En résumé, les «témoins» à l'origine de la rumeur d'une femme belge qui serait décédée d'un tir de lanceur de balle de défense se sont tous rétractés. Le premier homme à en avoir parlé a même expliqué avoir été «manipulé» et a supprimé sa vidéo et ses comptes Facebook. Tout comme la femme «au bonnet rouge», qui n'a pas répondu aux questions de CheckNews. Les autorités ont toutes démenti la mort d'une personne à Paris ce samedi 5 janvier.

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