Sur la couverture de son livre, un homme voûté devant la télé, mine renfrognée, en slip et marcel. Le parfait chômeur cliché, cloué au canapé depuis qu'on l'a arraché à sa chaise de bureau, au point d'en oublier de se raser. Dans la vraie vie, l'auteur du livre-témoignage 54 ans, chômeur et toujours vivant* n'a pas grand-chose à voir avec la caricature. Il porte beau, avec sa casquette et son pantalon de velours. "Je ne suis pas désespéré", insiste d'ailleurs Alain, le pseudo qu'il s'est choisi pour éviter les ennuis, assis, serviette en cuir sur les genoux, à la terrasse d'un café.

Publicité

L'histoire de cet ex-cadre dans l'informatique reflète celle de millions d'autres chômeurs ordinaires: ni trop ni pas assez diplômés, jugés "vieux" mais trop jeunes pour la retraite, et de plus en plus résignés. Alain est arrivé dans son secteur "par hasard" après une licence d'économie, à une époque où les embauches se signaient en 48 heures. Il en est sorti par une rupture conventionnelle en mai 2012, "pour faire plus rapidement le deuil" d'un licenciement déguisé.

Depuis près de deux ans, il cherche du travail, sans succès. Alain s'attendait à galérer. "Je savais que je ne retrouverais pas facilement, admet-il. Dans l'informatique, on devient rapidement obsolète quand on sort du marché de l'emploi." Il a déjà baissé ses prétentions salariales de 40% - "Pour moi c'était évident". Mais la pause s'avère plus longue que prévue, l'épreuve plus incertaine qu'attendu.

Embaucher "des profils plus juniors"

D'abord, les entreprises n'embauchent pas. "Le secteur s'est contracté, explique le quinqua. Même les géants ont licencié, alors au royaume de la sous-traitance, ça s'en ressent." Des entreprises le reçoivent, mais préviennent qu'elles ne recrutent pas. Alain peine aussi à trouver sa place dans un marché du travail devenu plus exigeant. "Je n'ai pas de compétences très pointues à faire valoir. Je ne suis pas parti avec un portefeuille de clients. J'étais chef de projet en progiciels, mais le métier a évolué, aujourd'hui ils font tous du développement. J'ai aussi fait un peu de management parce que le marché était porteur et que j'étais suiveur, mais je suis resté cadre intermédiaire."

Pour l'embaucher, "il faudrait que les entreprises investissent un peu", pour le former à de nouvelles technologies ou à des logiciels de gestion. Au lieu de ça, elles lui rappellent son âge, un handicap de plus. "Deux ou trois fois par téléphone", puis après un entretien d'embauche, des recruteurs lui répondent qu'ils "réorientent leurs politiques d'embauche vers des profils plus juniors". Alain sourit: "Que ces choses sont joliement dites..."

Où chercher? Le chômeur pense qu'il n'intéresse pas les cabinets de recrutement. Il visite les salons de l'emploi comme on s'acquitte d'une corvée. "Il y a ce forum génial, dans un ancien abattoir de la Villette [le Forum emploi senior à Paris, NDLR], raconte-t-il. Normalement dans les foires, les acheteurs tournent autour des bestiaux, mais là c'était nous, les chômeurs, qui faisions les beaux devant les employeurs." Pôle emploi et la Cnav avaient les plus gros stands. Les autres offraient surtout des petits boulots. "Serveurs, représentants en commerce, égrène Alain, ou des missions de portage salarial, cet intérim de luxe."

Les chômeurs, ces grands enfants

Il reste Pôle emploi, qui semble avoir inspiré à lui seul une grande partie de son livre. Alain insiste: il n'y a croisé que "des gens charmants". "Mais ils n'ont tout simplement pas de postes à me proposer et ils sont dans l'incapacité de traiter la masse des demandeurs d'emploi."

De Pôle emploi à l'Apec, en passant par Atouts Cadres, une formation assurée par un prestataire privé, il enchaîne les ateliers de rédaction de CV ou de préparation aux entretiens. Jusqu'à l'absurde. "Le summum a été atteint lorsque l'on m'a demandé de changer la police de caractère de l'emploi recherché et que l'on m'a félicité parce que j'avais fait ressortir en bleu le nom des entreprise par lesquelles j'étais passé", raconte-t-il dans son livre.

Il pourrait en rire s'il n'avait pas l'impression que ses interlocuteurs cherchent à se dédouaner. "Si vous n'avez pas d'entretiens, c'est que votre CV est mauvais, alors il faut le refaire, résume-t-il. Si vous n'avez pas de boulot, c'est que vous n'êtes pas bon face aux recruteurs, alors il faut vous entraînez. Ces réunions vous expliquent qu'il faut sans cesse vous améliorer. Globalement , vous êtes responsables de tout. C'est de l'infantilisation permanente."

Restaurateur ou en maison de retraite

En deux ans, Alain s'est aussi vu proposer par des conseillers d'ouvrir un restaurant ou de briguer un poste de directeur de maison de retraite, "parce que le secteur embauche". D'autres lui ont déconseillé des formations longues qui lui prendraient encore un an avant d'espérer retravailler. "De toutes façons, la seule école que j'ai approchée m'a dit que j'étais trop vieux, soupire Alain. Comme j'ai déjà encadré des équipes, ils pensaient que ce serait compliqué de me caser en stage dans une entreprise."

Quand il aura fini la promotion de son livre, Alain se remettra à envoyer des CV. Il garde un oeil sur les flux d'offres et postule en moyenne deux ou trois fois par semaine. Dans les salons de recrutement, il croise d'autres seniors chômeurs, "des gens qui ne vont pas bien, ça se lit sur leur visage". Lui tient le coup, grâce à sa famille et à l'écriture, qui lui a permis de "dépasser sa condition de chômeur". "Et surtout, conclut-il, je refuse de me sentir coupable."