Transparence de la vie publique : 10% seulement des députés ont joué le jeu

Une ancienne collaboratrice parlementaire a épluché les déclarations d’intérêts des députés et constate que seuls 61 (sur 577) ont véritablement pris le temps de les remplir.

 Sur les 577 députés, 516 n’ont pas correctement rempli la déclaration censée permettre une meilleure transparence de la vie parlementaire.
Sur les 577 députés, 516 n’ont pas correctement rempli la déclaration censée permettre une meilleure transparence de la vie parlementaire. LP/Jean-Baptiste Quentin

    Elle les a toutes téléchargées, lues et triées « en quatre jours ». Début janvier, l'ancienne collaboratrice parlementaire Tris Acatrinei, qui a lancé il y a 3 ans le Projet Arcadie pour améliorer le contrôle de la vie parlementaire, s'est plongée à corps perdu dans les déclarations d'intérêts des députés pour en révéler les défauts, et surtout les absences. Résultat, seuls 10 % d'entre eux (61 sur 577) ont bel et bien rendu le dossier complet exigé par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Aucune sanction n'a été prononcée à l'encontre des 516 autres. Un bilan qui, en filigrane, pose la question de l'efficacité du contrôle.

    « Les déclarations de patrimoine n'étant pas accessibles au grand public, les déclarations d'intérêts sont les seules informations visibles sur les parlementaires. Il serait bon de les prendre au sérieux », estime Tris Acatrinei auprès du Parisien. Si le rapport qu'elle publie ce mercredi a vocation à lutter contre la corruption des élus, les « trous » dans les dossiers seraient surtout dus à la négligence des députés. Seule une quarantaine de déclarations a selon elle omis de mentionner de véritables rémunérations ou des sociétés. « Mais il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur l'un ou l'autre car pour l'immense majorité, il s'agit de défaillances qui peuvent se corriger rapidement, comme des changements d'assistant parlementaire non signalé », souligne-t-elle en regrettant justement cette paresse.

    « C'est la crédibilité de la parole publique »

    « Derrière ça, il y a la crédibilité de la parole publique », s'inquiète cette juriste de formation. « J'entendais encore des Gilets jaunes dire que nos élus avaient trop de privilèges. J'ai d'abord pensé à l'argent mais je crois que c'est bien plus large. Les élus donnent l'impression de bénéficier d'une certaine souplesse à laquelle nous n'avons pas droit : si on oublie un document à rendre à l'administration, nous sommes sanctionnés ; pas eux lorsqu'ils ne complètent pas leur déclaration d'intérêts », fait-elle remarquer.

    Tris Acatrinei s'étonne notamment du manque de réaction de la HATVP « lorsqu'elle reçoit des déclarations parfois vierges ». Contactée, la Haute autorité refuse de commenter le rapport de l'ancienne collaboratrice parlementaire et renvoie au cadre de sa mission : recevoir les déclarations, vérifier qu'elles sont exactes, exhaustives et sincères, dans le but de signaler ce qui est pénalement répréhensible, mais sans avoir de pouvoir d'injonction sur les députés qui ne jouent pas le jeu. La HATVP effectue plutôt un contrôle au cas par cas en fonction des informations manquantes mais ne peut qu'inciter les élus à remplir eux-mêmes les cases vides. Par ailleurs, elle se concentre sur les « omissions substantielles », c'est-à-dire susceptibles de composer un conflit d'intérêts, avec « intention de frauder ». Autrement dit, elle ne perd pas de temps avec un élu qui a oublié d'énumérer ses autres fonctions politiques ou les associations auxquelles il participe. Elle n'a en outre jamais fait de signalement à la justice après examen d'une déclaration d'intérêts.

    « Mais comment détecter les conflits d'intérêts si on n'a pas l'ensemble des informations ? » interroge Tris Acatrinei qui considère que « la transparence n'est rien sans l'effectivité du contrôle ». Selon un sondage commandé par ses soins à l'Ifop*, seuls 18 % des Français pensent que l'Etat se donne réellement les moyens de lutter contre la corruption des élus. Parmi les sceptiques, 40 % sont persuadés que ce n'est pas le cas. Et alors qu'Emmanuel Macron a mené sa campagne avec l'idée de moderniser les institutions et faire élire des députés non-professionnels, parfois issus de la société civile, seuls 19 % des interrogés pensent que la lutte contre la corruption des élus s'est renforcée depuis son élection.

    Une assiduité en baisse

    A l'Assemblée, le parti présidentiel est toutefois celui qui a la plus grande proportion de « bons élèves », selon les calculs de Tris Acatrinei. Pour autant, sur 312 députés LREM, seuls 69 avaient totalement rempli leur déclaration d'intérêts après leur élection et ils ne sont aujourd'hui plus 41 (sur désormais 307) à avoir une déclaration à jour. Soit seulement 13 %, peu aidés par les alliés du MoDem qui enregistrent à peu près la même proportion.

    « La plupart avaient à cœur de bien le faire en arrivant mais ils ont eux aussi été pris dans le tourbillon politique », analyse l'ancienne collaboratrice parlementaire. Toutes formations confondues, 96 avaient bien rempli leur dossier au départ, contre 61 aujourd'hui. « Aucun président de groupe n'a une déclaration d'intérêt complète alors qu'ils devraient montrer l'exemple », insiste-t-elle.

    A gauche, un groupe mérite particulièrement le bonnet d'âne. Parmi les 16 députés de la Gauche démocrate et républicaine (communiste), aucun n'a un dossier complet. A leur tête, André Chassaigne n'a visiblement pas caché d'activité très rémunératrice mais illustre bien le cas de dizaines d'autres députés : « C'est vrai je n'ai pas pensé à enregistrer mon cinquième assistant, qui est mon suppléant, il n'a fait que quelques heures par mois… » admet l'élu Puy-de-Dôme, plaidant la bonne foi. Et de réfléchir à haute voix : « Attendez une participation, même bénévole, à un organisme… Je suis adhérent à l'ADPI (une association liée au handicap, ndlr) mais je ne pense pas que ça relève d'un quelconque conflit d'intérêts. » Toutefois, « je vais faire une note à tout le groupe, pour que chacun pense bien à actualiser sa déclaration », promet-il en convenant que certains cas peuvent être plus complexes que le sien. Et d'estimer que « la Haute autorité devrait le rappeler aux députés ». Une suggestion que devrait approuver Tris Acatrinei.

    * L'enquête Ifop a été menée entre le 8 et 9 janvier auprès d'un échantillon de 1 007 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Méthodes des quotas.