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Culture

Au cœur de la lutte pour restituer des ossements à l’Afrique

Les Africains demandent le retour des restes de leurs ancêtres depuis des décennies. Macron semble être le seul dirigeant européen disposé à leur répondre.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
crâne d’ancêtre Asmat
Le crâne d'un membre de la tribu Asmat vendu aux enchères en Allemagne. Photo : Lempertz
 

L’année dernière, le président Emmanuel Macron a évoqué la nécessité de renvoyer des objets africains volés et conservés dans des musées européens dans leur pays d’origine. S’en est suivie la publication du rapport Savoy, créé par deux universitaires : la française Bénédicte Savoy et la sénégalaise Felwine Sarr. Le rapport détaille la logistique de la restitution proposée ainsi que des statistiques sur la quantité d’œuvres africaines se trouvant actuellement en Europe. On estime que 90 à 95 % du patrimoine culturel de l’Afrique sont conservés hors du continent par de grands musées, la France comptant à elle seule 90 000 objets d’Afrique subsaharienne dans ses collections nationales. En Allemagne, plusieurs musées possèdent d'autres trésors africains. Seulement ceux-ci ne sont pas des objets, mais des squelettes humains.

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De 1881 à 1914, il s'est opéré une colonisation de la terre africaine par les puissances européennes, connue sous le nom de « Partage de l'Afrique ». L'Allemagne, la France, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, l'Angleterre et le Portugal se sont partagés des parties du continent et ont revendiqué non seulement la propriété de ressources, mais aussi de personnes. Deux pays seulement ont été relativement épargnés : le Liberia, qui était déjà une colonie américaine, et l’Éthiopie, qui a vaincu les forces armées italiennes. Les démarches entreprises par les nations européennes pour asseoir leur supériorité militaire et asservir les peuples africains incluaient de s’emparer des crânes et des squelettes de guerriers décédés et de les ramener en Europe à des fins d'étude et d'exposition dans les musées.

« La ville de Berlin comptait deux éminents collectionneurs scientifiques, Rudolf Virchow et Felix von Luschan. À eux deux, ils possédaient des milliers de restes humains. Quand Virchow est mort, Luschan a repris sa collection. Il affirmait avoir la plus grande collection anthropologique au monde, comprenant des vestiges d'environ 10 000 à 15 000 personnes », raconte Christian Kopp. Kopp coordine le projet du Berlin Postkolonial, une organisation qui travaille depuis plus de dix ans à la restitution des restes squelettiques africains. « Aujourd'hui, il y a encore jusqu'à 8 000 os à Berlin et peut-être quelques milliers supplémentaires dans d'autres collections allemandes, poursuit-il. La collection privée de Luschan, qui contenait entre 4 000 et 5 000 crânes et squelettes, a été vendue après son décès au Muséum américain d’histoire naturelle, où nous pensons qu’elle est toujours utilisée à des fins de recherche. » Le Muséum n’a pas souhaité répondre à nos questions.

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La vie de Saartjie Baartman, originaire d'Afrique du Sud, est probablement l'un des exemples les plus représentatifs de cette pratique européenne qui consiste à traiter les corps et les restes africains comme des produits non seulement de « recherche », mais aussi d'exposition et de divertissement. Baartman était une femme noire qui, pendant environ cinq ans, a été exposée en Angleterre, en Irlande et en France en tant que phénomène de foire, principalement en raison de la taille de ses fesses. À sa mort en 1815, son corps a été disséqué par Georges Cuvier, souvent considéré comme le père de la paléontologie. Cuvier a placé les organes génitaux et le cerveau de Baartman dans des bocaux et a exposé son squelette au musée de l’Homme de Paris. Il y est resté jusqu'en 1976. En 1994, Nelson Mandela a demandé que ses restes soient renvoyés en Afrique du Sud. Le gouvernement français a mis des années à y consentir. Arrivés en Europe au début des années 1800, les restes de Baartman ont finalement été renvoyés chez eux en 2002.

La barbarie de la chose semble simple et évidente, mais quand on prend en compte la politique historique et contemporaine du racisme anti-noir, rien n'est jamais simple. Pendant des siècles, dans toute l’Europe, des os africains ont été placés sous scellés, examinés au microscope et exposés dans le but de mieux comprendre le rôle de l’homme par le biais d’activités scientifiques. Le racisme anti-noir et l'eurocentrisme ont rendu la déshumanisation des Noirs banale et quelconque. Ce n’est que maintenant qu’ils risquent d’être publiquement humiliés que les pays européens prennent des mesures pour comprendre le déroulement du processus de rapatriement et du temps que cela prendra, en partant du principe que c’est même possible.

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Mnyaka Sururu Mboro, ingénieur tanzanien et cofondateur du Berlin Postokolonial, a passé plus de 40 ans à chercher les os de Mangi Meli, le chef de la tribu Chaga qui s’est battu contre la puissance coloniale allemande en Tanzanie. En 1900, il a été pendu par des militaires allemands et sa tête décapitée a été envoyée en Allemagne à des fins de phrénologie, une science aujourd'hui démystifiée qui étudiait l'intelligence, la beauté et le niveau de civilisation d’un individu d’après la forme de son crâne. L’année dernière, il a été révélé que les restes de Meli pourraient faire partie d’une vaste collection détenue par la Fondation du patrimoine culturel prussien. « Les institutions ne peuvent plus se permettre de nous tenir à distance, et nous avons de plus en plus de confrères qui soutiennent cette quête. Bien que nous ayons besoin de plus de soutien de la part des scientifiques, des conservateurs et des collections eux-mêmes, explique Mboro. Le gouvernement allemand devrait prendre ses responsabilités et soutenir cette recherche. »

En 2014, le musée d'histoire naturelle de Londres a annoncé qu’il pouvait avoir des restes zimbabwéens en sa possession. Un an plus tard, alors qu’il commémorait la Journée des héros au Zimbabwe, l’ancien Premier ministre zimbabwéen Robert Mugabe avait demandé au Royaume-Uni de restituer ces ossements en déclarant : « Nous les rapatrierons, mais avec amertume, en remettant en question les raisons qui ont poussé à les décapiter. » En 2017, les descendants des peuples Khoi et Nguni d'Afrique du Sud ont formé une coalition pour demander le rapatriement des restes de leurs ancêtres emmenés en Europe pendant la colonisation. Et au début de cette année, le poète Lemn Sissay a rejoint une coalition pour rapatrier les os du prince Alemayehu d’Éthiopie, installés en Angleterre depuis plus d’un siècle.

Dans son roman Batouala, l'auteur martiniquais René Maran a écrit : « Civilisation, civilisation, orgueil des Européens, et leurs charniers d'innocents… Tu bâtis ton royaume sur des cadavres. » Actuellement, la maison de vente allemande Lempertz, établie depuis 1845, a mis aux enchères un « crâne d’ancêtre Asmat » sur son site. Les Asmats forment un groupe ethnique de Nouvelle-Guinée et le crâne porte le numéro de lot 52. Le prix de départ est de 3 000 € à 5 000 € et l'offre gagnante semble être de 3 720 €.

Il est facile de revenir sur le commerce des esclaves et de s’en indigner à grands coups de « Mais qui vend des gens ? » Réponse : une maison de vente aux enchères, réputée en Allemagne depuis 1845.

Tarisai Ngangura est sur Twitter.

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