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Croix bleues : «Manifestants, CRS ou mamie qui passe, on est là pour soigner, rien de plus»

A Bordeaux, les «Street medics», identifiables grâce à leur tee-shirt blanc et leur croix bleue en étendard se glissent tous les samedis dans les manifestations des gilets jaunes, pour porter secours aux blessés.
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux Photos Thibaud Moritz
publié le 16 février 2019 à 14h30

A Bordeaux, où les manifestations de gilets jaunes ont été marquées par de violents affrontements, notamment lors de l'acte IV (le 8 décembre), les Croix bleues se retrouvent au cœur des rassemblements pour prodiguer les premiers soins. Ses membres appelés les «street medics» (secouristes, aides-soignants, infirmiers, médecins…) se veulent «neutres et apolitiques». Ils soignent tout le monde : manifestants, passants pris sans le vouloir dans un rassemblement, forces de police. Quatre d'entre eux, expliquent leur engagement.

Loïc, aide-soignant, 38 ans

«J'ai voulu intégrer les "street medics" après la marche pour le climat à Bordeaux. Elle était organisée le même jour que l'acte IV des gilets jaunes. Alors que je rentrais chez moi, je me suis retrouvé au milieu de tirs en tout genre. Il y avait beaucoup de blessés, pas mal de personnes touchées par les flashballs [LBD, ndlr] et je me suis dit "merde, il n'y a personne pour les aider" et c'est là que j'ai croisé les Croix bleues. L'acte suivant, j'ai intégré une de leurs équipes volantes pour aider moi aussi à mon tour. L'organisation est vraiment très impressionnante. Ce qui me plaît aussi, c'est le côté apolitique. Que ce soit les manifestants, les CRS ou une mamie qui passe, on est là pour soigner. Rien de plus. C'est aussi ma manière à moi de manifester, de dire non aux violences, d'où qu'elles viennent.»

Julie, esthéticienne à son compte, 31 ans

«Je suis rentrée dans les Croix bleues après l’acte IV à Bordeaux. Ça m’a vraiment marqué, j’ai du mal à comprendre comment on peut en arriver à tant de violence. J’ai donc décidé d’agir à ma manière : aider, soigner et rassurer les gens quand ça dégénère. La semaine suivante, j’ai intégré le groupe avec mon diplôme de secourisme PSE1. Depuis, je viens tous les samedis, j’ai l’impression d’être utile. Ce n’est pas toujours facile à vivre. Ce qui me frappe toujours, c’est les passants apeurés ou blessés qui n’ont rien à voir avec la manif. Je pense par exemple à une maman qui s’était retrouvée coincée avec sa fille place Pey-Berland, elle paniquait totalement, je l’ai aidée à sortir. Beaucoup se retrouvent pris au piège au milieu des manifs. Sans intervention, le résultat peut être dramatique.»

Samuel, aide opératoire, 25 ans

«La première fois que j’ai vu les Croix bleues, c’est lors du mouvement lycéen en décembre à Bordeaux. Beaucoup d’élèves se sont fait gazer, les "medics" les aidaient et j’ai voulu moi aussi me rendre utile. J’ai évidemment mes opinions politiques, mais quand j’enfile mon tee-shirt, je suis Croix bleue. On ne chante pas avec eux, on ne porte pas de banderoles. Parfois, je dois l’admettre, c’est dur à encaisser. Je pense par exemple au jeune qui a perdu un œil à Bordeaux. Sa blessure était si importante que j’aurais pu y glisser une phalange. Ça m’a travaillé une bonne semaine.»

Micka, éducateur spécialisé, 47 ans

«J’ai été secouriste actif à la Croix rouge, ce qui me permet d’aider sur le terrain. Ça fait déjà quelques années que je suis "street medic" à Bordeaux, mais de manière autonome. Après avoir vu une annonce sur Facebook, j’ai rejoint le groupe des "Croix bleues" à l’acte III. J’apprécie le fait qu’il se revendique apolitique. Pourquoi venir chaque samedi ? C’est un peu utopique, mais j’ai pas envie que les gens se fassent mal entre eux. La journée du 8 décembre m’a particulièrement marqué, c’est ce samedi-là qu’un manifestant a perdu sa main. Je me souviens encore qu’avec un autre medic, on essayait de retrouver dans la rue "les morceaux" qu’on aurait pu sauver. Ils étaient malheureusement irrécupérables. C’est des blessures qui ne sont pas courantes en manifestation. Encore aujourd’hui, je ne m’y habitue pas.»

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