Ex-livreur chez Take it easy : «Ils me surveillaient, j’étais dépendant d’eux»

Jonathan, 32 ans, ancien collaborateur de Take it easy, veut faire reconnaître son statut de salarié. Ce mardi, le Conseil de prud’hommes de Paris doit rendre un jugement très attendu.

 Jonathan Gredler, ancien livreur chez Take it easy, à Paris le 23 février 2019.
Jonathan Gredler, ancien livreur chez Take it easy, à Paris le 23 février 2019. LP/Philippe Lavieille

    Il arrive, la silhouette longiligne et les yeux cernés. Depuis deux ans, Jonathan a trouvé du travail dans la restauration ; il finit tard le soir, à Paris. Une nouvelle vie pour ce passionné de vélo après une expérience en tant qu'autoentrepreneur pour la société de livraison belge Take it easy, qui a fait faillite en août 2016.

    Ce mardi, le conseil de prud'hommes de Paris doit se prononcer sur le cas de dix de ses anciens collègues, ex-autoentrepreneurs comme lui, qui réclament des dommages et intérêts et veulent faire reconnaître, plus de deux ans plus tard, leur statut de salarié. Le jeune homme, qui a entamé la même procédure en justice suivra le délibéré avec attention, tandis que l'étau se resserre autour des plateformes sur Internet.

    Fin novembre, la plus haute juridiction française, la Cour de cassation a ouvert une brèche en reconnaissant pour la première fois le lien de subordination entre David, un ancien livreur et la plateforme Take it easy. Une décision historique pour les travailleurs « ubérisés », comme David, comme Jonathan, qui considère que leur travail s'apparentait à du « salariat déguisé », dit-il.

    Un système de sanctions mis en place par la plateforme

    Début 2016, lorsqu'il commence à travailler à Lyon (Rhône) pour cette société, Jonathan se sent pousser des ailes. « Je venais d'abandonner mes études, j'adorais le vélo depuis tout petit et je me voyais bien un jour ouvrir ma propre entreprise. L'idée de pouvoir être libre, choisir mon rythme de travail m'enthousiasmait », raconte-t-il. Très vite, il se rend indispensable. « Je travaillais sept jours sur sept, j'étais hyper-fiable, toujours à l'heure, je ne refusais presque rien et j'arrivais à peine à me faire un smic mensuel », raconte-t-il.

    Noté par Take it easy, il devient l'un des 20 meilleurs coursiers sur les quelque 500 que compte la ville de Lyon. Pour éviter de récolter des « strikes » (NDLR : le système de sanctions mis en place par la plateforme), il reste tout le temps joignable, quitte à prendre des risques en téléphonant juché sur son vélo. Il ne fait pas de pauses entre deux courses, même en cas d'intempéries.

    « Take it easy nous suivait en permanence »

    « Le système de géolocalisation faisait que Take it easy nous suivait en permanence. Un matin, j'étais encore à mon domicile, 10 minutes avant l'heure du rendez-vous pour le départ. J'ai reçu un message d'alerte me disant de me dépêcher. J'étais complètement dépendant d'eux », se remémore-t-il.

    Une organisation du travail qui ne correspond en aucun cas à celui d'un autoentrepreneur, a fait valoir son avocat, Me Kevin Mention devant le conseil de prud'hommes de Paris. « Une activité indépendante se caractérise par le fait que son auteur maîtrise l'organisation des tâches. Telle n'est pas la situation de personnes à qui l'on demande de se déclarer comme autoentrepreneur, alors qu'elles travaillent en pratique sous l'autorité de leur recruteur », plaide-t-il.

    Des arguments qui commencent à faire mouche devant les tribunaux. Anciens livreurs de la société allemande Foodora, de Take it easy ou chauffeurs Uber, ils sont aujourd'hui des dizaines à entamer en France la même démarch e.