Carlos Ghosn le 12 septembre 2018 au siège de Renault à Boulogne-Billancourt.

Carlos Ghosn le 12 septembre 2018 au siège de Renault à Boulogne-Billancourt.

afp.com/JOEL SAGET

Depuis qu'il a été libéré de prison, Carlos Ghosn prépare sa défense avec ses avocats japonais et français. Ayant été entendu seul par le procureur japonais dans sa cellule, à de nombreuses reprises, il passe désormais beaucoup de temps à restituer à ses conseils les échanges tenus avec le magistrat. Les sujets d'enquête se sont multipliés, au fur et à mesure que les investigations de Nissan et du parquet de Tokyo progressaient, des fêtes données à Versailles à l'utilisation d'appartements de grand luxe acquis par de discrètes filiales du groupe. Sans compter que l'audit en cours au sein de la société RNBV, qui chapeautait l'alliance des constructeurs Renault et Nissan à Amsterdam, dont un point d'étape a été livré oralement au conseil d'administration de Renault vendredi 15 mars, n'est pas terminé et pourrait livrer de nouvelles surprises.

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Au Japon, selon les informations de L'Express, les enquêteurs s'intéressent en tout cas depuis plusieurs semaines à une mystérieuse - et importante - somme d'argent que Ghosn, alors au faîte de sa puissance, aurait empruntée à un milliardaire du Sultanat d'Oman, dans le Golfe persique : 30 millions de dollars, dont le montant figure sur un document déniché dans les appartements japonais de celui qui était alors patron du premier groupe de constructeurs automobiles mondial. Il s'agit d'une reconnaissance de dettes envers un certain Suhail Bahwan.

Un milliardaire, premier entrepreneur privé à Oman

Suhail Bahwan n'est pas n'importe qui. Hormis le fait qu'il serait connu dans le secteur automobile comme étant proche de Ghosn, il est surtout le distributeur exclusif de Nissan à Oman, sur les bords de la mer d'Arabie, et est à la tête d'un conglomérat rassemblant autant des activités de construction que liées à la santé ou à l'agriculture. Riche à hauteur de plusieurs milliards de dollars, l'homme serait d'ailleurs le premier entrepreneur privé de ce petit État coincé entre l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Yémen.

Pourquoi et dans quelles conditions ce milliardaire omanais a-t-il prêté 30 millions de dollars à Carlos Ghosn ? Sollicité, l'entourage de ce dernier ne souhaite pas répondre, et la demande d'information adressée par mail au bureau de Suhail Bahwan est restée sans réponse. Mais les enquêteurs ont noté que quelque 35 millions de dollars ont été versés à Bahwan, en l'espace de 8 ans, par Nissan. Ces versements n'auraient pas été effectués au travers d'une relation financière établie de manière classique entre un constructeur automobile et l'un de ses distributeurs.

Comme le journal japonais Nikkei l'a raconté, ces 35 millions de dollars auraient été payés grâce à la "CEO Reserve" de Nissan, c'est-à-dire une caisse réservée aux paiements d'urgence, non budgetés à l'avance, et dans laquelle le patron, Ghosn en l'occurrence, avait la possibilité de puiser, pour peu que des demandes lui soient formellement adressées par des directeurs locaux de l'entreprise. La question suivante se pose donc : la somme de 35 millions de dollars payée pendant 8 ans à Suhail Bahwan par ce biais est-elle liée à la reconnaissance de dette signée par le patron du groupe envers Bahwan, d'un montant de 30 millions de dollars ?

Des millions de dollars payés d'année en année

Les enquêteurs se demandent en tout cas pourquoi ces paiements, à chaque fois de plusieurs millions, ont été effectués sur des années consécutives, alors que la caisse du CEO ne doit être utilisée que pour des dépenses imprévues. Autre question, pourquoi cette caisse avait-elle aussi été utilisée pour payer un autre milliardaire, Saoudien cette fois-ci, Khaled Al-Juffali, également distributeur des voitures Nissan ? L'histoire a déjà été racontée. Ce dernier a perçu 14,7 millions de dollars en quatre fois entre 2009 et 2012, alors qu'il aurait - c'est la thèse sur laquelle travaillent les enquêteurs - aidé Ghosn à se sortir d'une mauvaise passe financière au moment de la crise de 2008. Si il s'était agi de primes ou de bonus destinés à ces distributeurs locaux, pourquoi ne pas les avoir inscrits au budget de Nissan d'année en année ? Selon nos informations, la "CEO Reserve" est utilisée lorsque par exemple une catastrophe naturelle a endommagé une usine.

Alors que le front judiciaire s'est aussi ouvert à Nanterre, avec l'ouverture d'une enquête préliminaire pour abus de biens sociaux concernant les conditions dans lesquelles une fête donnée à Versailles a pu être en partie financée par Renault, les explications de Carlos Ghosn sur l'ensemble des questions relatives à l'utilisation des fonds des entreprises dont il avait la charge sont de plus en plus attendues.

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